Qui? Patrick Bouvier, enseignant à Laval Quoi? Un voyage de fin d'études avec 52 adolescents. Où? En Europe centrale

«Les passagers à destination de Paris sont priés...»

Parmi les 600 passagers de l'Airbus 380 tout neuf, 52 font preuve d'une attention inhabituelle. Il y a quelques jours encore, ils étaient des élèves de l'école secondaire Curé-Antoine-Labelle de Laval. Et malgré un après-bal mouvementé, ils ne veulent rien rater de l'aventure qui commence.

Les voilà donc qui s'embarquent dans l'avion géant qui les mènera, selon certains, à l'autre bout de la planète. Et déjà, les questions fusent, remplies d'incertitude et d'inquiétude: «Est-ce vrai que, dans les avions d'Air France, il n'y a que des films français?» Choc culturel, quand tu nous tiens.

Exceptionnel, ce voyage? Ces jeunes voyageurs ne partent que pour l'Europe centrale après tout. Ils ne grimperont pas le Kilimandjaro à dos de chameau, ils ne chasseront pas le gorille à dos d'éléphant.

Leur exploit se limite à suivre des enseignants: Budapest, Vienne, Munich, Salzbourg et Venise.

Leur expédition nous rappelle pourtant que la notion d'exception varie d'un individu à l'autre, car plusieurs élèves repousseront chaque jour des limites qu'ils ne se croyaient pas capables de franchir.

La limite de la proximité, d'abord. Les nombreuses heures par jour dans un autobus où la relaxation est difficile et l'odeur, plus ou moins agréable. Les nuits passées dans des chambres minuscules ou cordés dans des dortoirs.

La limite des compromis, ensuite. Les discordes à propos des vêtements éparpillés, pêle-mêle sur le plancher à côté des valises, les propos échangés trop vivement, les sensibilités exacerbées.

La limite du confort, enfin. Les séjours dans des hôtels un peu miteux, le luxe spartiate de certaines auberges sont autre chose que la vie de banlieue.

La limite du confort, encore, quand à l'arrivée, à Budapest, 10 valises manquent sur les 60 du groupe. Et que de ce nombre, trois ne retrouveront leur propriétaire qu'après le retour à Laval.

Pour un jeune qui, 16 ans durant, a été élevé seul dans sa chambre, ce séjour est autre chose qu'une virée entre amis. Pour la jeune fille qui perd sa valise et conserve le sourire pendant deux semaines, et part à l'aventure pour constater de visu que des Zara et des H&M, il y en a aussi à Vienne, c'est un passage vers une nouvelle façon de considérer le monde.

Ce périple de fin d'études, ces élèves l'ont préparé pendant près de deux ans en vendant des vêtements dans des centres commerciaux, en remplissant des sacs d'épicerie, en vendant des billets de loterie dans les dépanneurs.

Alors, oui, ce voyage est exceptionnel, parce qu'il a fallu travailler 15 heures par semaine pour se le payer. Parce qu'il a fallu le choisir, plutôt que le permis de conduire, la voiture, l'iPad ou une plus belle robe de bal. On ne réalise pas toujours que de découvrir la planète n'est qu'une chose parmi tant d'autres dans la liste des priorités de l'adolescence.

On a tendance à l'oublier, également, mais le profil de l'élève de cinquième secondaire n'est pas celui du citoyen ouvert sur le monde, la télé toujours ouverte à RDI. Le point d'origine du jeune moyen est le centre commercial (en l'occurrence le Carrefour Laval) et se rendre à Montréal demeure pour beaucoup une expédition. Surtout en métro. Les globe-trotters ne sont pas légion. Cette virée en Europe est donc en fin de compte un voyage remarquable.

La montagne sur laquelle est perché le château de Neuschwanstein, en Allemagne, ne présente pas un défi pour les alpinistes, mais sous la pluie battante, les éclairs et le tonnerre, la demi-heure de descente rapide suffira à procurer des émotions fortes à nos voyageurs débutants. Les féériques grottes de glace de Dachstein, en Autriche, et les glissoires de la mine de sel de Berchtesgaden, en Allemagne, sont amusantes et si elles ne se situent pas exactement au centre de la terre, bon nombre d'élèves doivent prendre leur courage à deux mains pour y entrer... Les adultes accompagnateurs, eux, n'y arrivent même pas. Et lorsque, le matin du retour, tous ont la larme à l'oeil, on comprend à quel point ce voyage de deux semaines a fait grandir de plusieurs centimètres ces jeunes adultes. Et on comprend que ces élèves repartiront bientôt afin de dépasser de nouvelles limites. Puis d'autres encore.

Comme le répète un ami, ce retour ne constitue pas une fin, mais le début de nombreuses aventures.

Alors, exceptionnel, ce voyage? Certainement. Pas nécessaire d'affronter les cimes les plus élevées pour aller au bout de ses limites. La grandeur du voyage dépend toujours du point de départ.

Vous avez une aventure à nous raconter? voyage@lapresse.ca