La plus petite province canadienne, l'Île-du-Prince-Édouard, recèle des surprises. On a l'impression de se trouver dans un croisement de Gaspésie et d'Îles-de-la-Madeleine, aplati par les vents de l'Atlantique. Une île paisible où le temps ne semble pas avoir de prise. C'est ce qui a attiré ici, il y a 17 ans, le New-Yorkais Michael Smith, chef et animateur de quelques-unes des émissions de cuisine les plus populaires en Amérique sur le Food Network.

Nous sommes à Dalvay by the Sea, une maison victorienne construite au XIXe siècle par un industriel américain au milieu du parc naturel Grand Tracadie, sur la côte nord de l'île, et devenue depuis, l'une des principales attractions des amateurs de bonne cuisine. L'occasion de dîner ici est belle: c'est l'une des soirées de prestige du festival d'automne qui met l'accent sur les produits locaux, et qui, pendant les deux prochaines semaines, sera placé sous la présidence de Michael Smith.

Ce festival, largement inspiré de Montréal en lumière, vise à attirer les touristes pendant la saison morte. Une saison qui correspond à celle des récoltes des principales richesses gourmandes de l'île: les pommes de terre bien sûr, les huîtres, les moules et les homards (deuxième récolte). Pour une province dont la population ne dépasse pas celle de Longueuil, ce n'est pas mal. D'ailleurs, Michael Smith l'a vite reconnu.

Ces quatre denrées sont pratiquement plus connues que la province elle-même. Peu d'entre nous savons que la plupart des pommes de terre qui servent à faire des chips ou des frites congelées viennent d'ici. Et que les Malpeque ou les Rasberry Points sont d'abord des lieux géographiques et des baies où vivent les mollusques avant d'être des appellations d'huîtres.

Entre deux bouchées, nous commentons les grands changements survenus dans cette province depuis une dizaine d'années.

«Je ne pensais pas que ça allait se produire avant un moment, mais des changements importants ont eu lieu dans les moeurs et les habitudes alimentaires des insulaires, dit M. Smith. On prend de plus en plus conscience de la nécessité d'en arriver à protéger la nature. Ça semble simple, surtout venant d'une petite île comme la nôtre. Mais en réalité, les écosystèmes sont très fragiles et sont dans la ligne de mire des grandes industries. Il faut être vigilant, imposer des normes strictes sur l'exploitation des ressources, favoriser la culture biologique, et encourager les petits marchands et la CSA (Community Supported Agriculture). Je sais que ça se fait aussi de plus en plus au Québec. Mais ici, il en a fallu du temps.»

Le chef Michael Smith

Michael Smith pense que l'un des exemples à suivre est l'agriculture soutenue par la communauté - comme cela se fait chez nous -, soit un réseau d'agriculteurs offrant des paniers hebdomadaires à leur clientèle. «C'est parti ici et ça fonctionne bien! Pour l'instant, on peut dire que c'est modeste, mais imaginez le chemin parcouru, surtout que jusqu'à tout récemment, la majorité des habitants de l'île dépendait exclusivement des grandes surfaces pour leur nourriture.»Et que penser du cas des huîtres, dont l'exploitation est menacée par l'apparition de bactéries? «Je crois que plus on exploite une ressource sans limites, plus on l'expose à ce genre de danger. Après tout, l'huître c'est un peu notre «pétrole» à nous.». Des six appellations d'huîtres de l'île, plusieurs sont pourtant encore cueillies de manière artisanale. Surtout à Rocky Bay, où je me suis retrouvé un après-midi venteux et de brouillard, sur une chaloupe à moteur, pour cueillir des huîtres avec d'immenses pinces que l'on plonge dans les bancs d'huîtres cultivées et qu'on remonte dans la chaloupe. Les mollusques sont ensuite transportés à l'entrepôt où ils sont emballés, puis envoyés partout en Amérique du Nord en moins de deux jours.

Si l'on considère qu'une huître peut vivre de sept à 10 jours dans la partie la plus froide du frigo, il importe, au moment de l'achat, de toujours bien vérifier la date de récolte pour obtenir un produit frais.

Le cas des moules et des homards est tout autre. Les moules sont ensemencées et donc cultivées dans des baies destinées à cette fin. On les traite dans d'immenses entrepôts et on les exporte en quelques heures tout au plus. En 2006, 38 millions de livres ont été cultivées.

La province en est fière et la réputation de son aquaculture auprès des Québécois et des autres Canadiens en témoigne. Le homard aussi bénéficie d'une solide réputation. Avec ses deux saisons d'exploitation (de mai à juin, puis de la fin août à la mi-octobre), l'île fournit le Québec en crustacés vivants depuis toujours. Mais, selon M. Smith, deux menaces pèsent sur la ressource: la prise de femelles qui n'ont pas atteint leur maturité, et l'augmentation des permis de pêche. «Il y a eu comme un signal d'alarme. Au début des années 2000, on a commencé à réfléchir sérieusement à ce que pouvait représenter l'affaiblissement pour notre économie d'une telle ressource de luxe», dit-il.

Michael Smith est un ambassadeur fidèle de la cuisine de l'île, qu'il habite toujours et où il élève son fils. Toutes les émissions des séries qu'il a réalisées pour le Food Network ont été filmées à sa maison, près de l'hôtellerie de Bay of Fortune, à une cinquantaine de kilomètres de la charmante capitale, Charlottetown, où il a commencé sa carrière il y a 17 ans. Avec des activités comme le festival Fall Flavours, il fait la promotion des richesses de l'île, tout en prônant leur protection.

Où manger des huîtres de l'Île-du-Prince-Édouard à Montréal?

Maestro SVP > 3615, boulevard Saint-Laurent

Joe Beef > 2491, rue Notre-Dame Ouest

Au Pied de cochon > 536, avenue Duluth Est

Où les acheter?

Noreff > 4900, rue Molson (Rosemont); 514-908-1000

La mer > 1065, avenue Papineau (à côté de Radio-Canada)

Dans la dernière série télévisée Chef Abroad, Michael Smith cuisinera pour 6000 marins sur un porte-avions américain au milieu de l'Atlantique; célébrera la fin du ramadan dans une famille égyptienne au Caire, et préparera dans une grue le plus «haut repas» jamais servi au-dessus du Cap, en Afrique du Sud. Les vendredis à 21h au Food Network.