Inquiétants, ignobles, mystérieux... Bien que repoussants, les monstres légendaires appâtent toujours plus de victimes: les touristes friands de fantastique. Surtout qu'ils peuvent constituer un excellent prétexte pour contempler de beaux cadres ou glaner des infos instructives.

Un petit selfie avec Nessie? Ou un verre de rouge avec Dracula? Il n'y a pas que cocktails, couchers de soleil, plages et autres merveilles qui attirent les nomades; certains aiment à se laisser tomber entre les griffes de monstres mythiques. À tel point que leurs antres prétendus ont parfois fondé de véritables pôles touristiques sur le globe. Mais qu'est-ce qui nous attire tant sur les traces des yétis et krakens de ce monde? Selon Pascale Marcotte, professeure à l'Université Laval et experte en tourisme et culture, ces destinations viennent faire vibrer notre coeur d'enfant.

«Souvent, ces monstres-là nous ont accompagnés depuis notre plus tendre enfance, on en a rêvé, on en a eu peur, on s'est créé tout un imaginaire à ce sujet et on veut se rendre sur place, car même si, au fond, rationnellement, on sait qu'on ne verra pas de monstre, on aura toujours une pensée magique qui nous dit: "Peut-être que moi, je verrai quand même quelque chose..."», expose-t-elle.

Se rendre sur place, fouler les pierres du «vrai» château, naviguer sur ce lac si notoire, brouille également les frontières entre l'imaginaire et le tangible. «En se rendant sur le lieu, qui est réel, on se sent proche d'un élément de vérité, même si on sait que c'est de la fiction: on est un peu dans un esprit de confusion, et c'est un jeu auquel on aime se prêter quand on est ailleurs», poursuit Mme Marcotte. Bref, «on veut se replonger dans l'atmosphère générale qu'on s'est imaginée quand on a lu ces romans ou vu ces films et toucher du doigt ces lieux».

Au-delà du monstre

Et s'il est bien un aimant touristique mondial qui récolte pleinement les fruits de sa réputation mythique, c'est bien le Loch Ness, qui attire des milliers de visiteurs depuis les années 30, en dépit des nombreux canulars désamorcés au fil des décennies. Une étape presque incontournable, même si certains voyageurs estiment que d'autres panoramas des Highlands écossais sont plus spectaculaires.

«On s'attendait un peu à ce que ce soit un moment fort du séjour, avec l'histoire liée au lac, indique le Montréalais Mathieu Valiquette, qui s'y est rendu en famille l'été dernier. Quand la guide a parlé à mon garçon de 7 ans, à qui on avait un peu expliqué la légende, il y a quelque chose de magique qui opérait. Mais le lieu en lui-même, en revanche, n'est pas tant à couper le souffle non plus. C'est beau, mais c'est pas wow. J'ai bien plus trippé à l'île de Mull [dans l'ouest des Highlands].»

Stéphane Renaud, un voyageur de Mirabel, était quant à lui intrigué par les histoires du Loch Ness, au point d'en faire une étape de son road trip britannique, l'an passé. Pas de monstre en vue, mais aucun regret. «Le fait qu'on en parle beaucoup, je voulais voir de quoi ça avait l'air. Le lac fait 39 km de long, c'était très tranquille, on était dans notre bulle. Mais je trouvais qu'on manquait un peu d'information», juge-t-il.

Fantastique... et historique

S'imprégner d'une atmosphère mythique ne dispense pas d'en récolter un bénéfice culturel. Le château de Bran, fer de lance du tourisme roumain dont la lugubre silhouette perchée sur une colline a servi de décor au fameux roman Dracula, constitue l'archétype du lieu fantastique dont l'intérêt va bien au-delà de la simple étiquette «Repaire de vampires».

Vincent Rowell, de Saint-Jean-sur-Richelieu, ne voue aucune passion particulière pour les créatures fantastiques; cela ne l'a pas empêché de garder un excellent souvenir de son passage à Bran. «Ce château n'a pas besoin de tout un appareillage lié à Dracula pour être intéressant. Il a une valeur historique en soi et m'a semblé extrêmement bien conservé et aménagé. C'est une visite qui vaut la peine», assure-t-il.

«À l'intérieur, on trouve beaucoup d'informations sur la fonction de chaque chambre, confirme la voyageuse lavalloise Isabelle Lussier. C'est très pittoresque, assez impressionnant, plutôt sombre. La vue sur les montagnes alentour et le village est très belle.»

Autre exemple de frisson à valeur ajoutée culturelle: des agences londoniennes organisent des visites guidées, très prisées, sur les traces de Jack l'Éventreur, menant au gré des rues et bâtiments historiques du quartier East End. Animé par des experts, le circuit transcende la simple exploitation de la sordide histoire du meurtrier. «Le tour Jack L'Éventreur n'est pas une attraction de style "donjon" avec des acteurs costumés qui viendraient vous faire "Bouh!". C'est une approche et une étude sérieuses de ces crimes qui ont secoué Londres en 1888», prévient le site web de l'agence Discovery Walks.

Le genre d'approche à recevoir la bénédiction de la professeure Pascale Marcotte. «C'est extrêmement tentant pour les offices de tourisme d'exploiter les mythes. Mais il faut être capable de transmettre de l'information qui est historique, pertinente, et qui n'ira pas juste dans le sens du fantasme. Le centre d'interprétation du Loch Ness fournit des informations sur la géologie et les phénomènes naturels qui donnent l'impression qu'on voit une ombre apparaître», illustre-t-elle.

En prétexte ou en annexe

Tantôt rouage principal, tantôt adjonction sympathique: le monstre, sans être au coeur d'un lieu ou d'un voyage, peut venir simplement le teinter de sa couleur mystérieuse. L'agence népalaise Bluesheep, qui organise des treks dans l'Himalaya, mise ainsi sur le yéti pour l'un de ses circuits à travers la vallée de Thame. «Espèce réelle ou légendaire, elle fascine et inspire la terreur des habitants de la région. Tous disent l'avoir vu, l'avoir entendu, mais personne ne l'a jamais attrapé. Sur un trek de neuf jours, partez à la chasse du Yéti aux confins des hautes chaînes de l'Himalaya», propose l'organisation. Et si la bête ne se montre pas, pas de déception en vue, les «monstrueuses» montagnes suffisent à combler les aventuriers.

Quant à certains endroits, leur réputation est déjà tellement titanesque qu'ils se paient le luxe de laisser leurs créatures dans l'ombre. Ainsi en va-t-il de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, qui n'a nul besoin de mettre le célèbre bossu de Victor Hugo au premier plan. Le site web officiel du monument n'en fait d'ailleurs aucune mention! À en croire que, parfois, la magie du voyage lui-même a le pouvoir d'étancher notre soif de fantaisie.

Photo Philippe Lopez, archives Agence France-Presse

La cathédrale Notre-Dame-de-Paris n'a pas besoin de tirer profit de Quasimodo, tant sa réputation est immense.

HUIT AVENTURES FANTASTIQUES

Même si les risques que les monstres convoités ne soient pas au rendez-vous restent extrêmement élevés, certains circuits touristiques peuvent toutefois en mettre plein les yeux, et ce, sans avoir forcément recours à notre imagination. Voici huit exemples de destinations avec créatures mythiques en option, mais caractère majestueux garanti.

Norvège: Des trolls et des fjords

Les trolls pullulent sur l'internet. Mais il est ici question des «vrais» trolls, ceux issus des légendes scandinaves et qui sillonnent montagnes et forêts. Un de leurs berceaux? Le comté de Romsdal, sur la spectaculaire côte ouest norvégienne. Mais si les créatures se dérobent à votre regard, attention les yeux: la route panoramique Geiranger-Trollstigen, qui peut se faire à vélo, réserve fjords, pics et cascades en pagaille. L'office de tourisme local organisera même un safari de trolls l'été prochain, où seront traquées les créatures transformées en pierres ou en buissons.

Roumanie: Sang pour sang draculesque

En Roumanie, le flux touristique est vampirisé par une destination phare: le château de Bran, au coeur de la Transylvanie, qui a servi d'inspiration à Bram Stoker pour planter le décor de Dracula. Perché sur son rocher, dominant un remarquable paysage, l'édifice truffé de passages secrets compte près de 60 pièces plantant une atmosphère frissonnante. Et ce, même si le «vrai» Dracula, Vlad l'Empaleur, n'y a jamais séjourné; il résidait plutôt à une centaine de kilomètres à l'ouest, dans la citadelle de Poenari, ruinée mais impressionnante à sa manière avec ses 1400 marches à gravir.

Chili: Ciel! des OVNI

Quand on pense aux petits hommes verts, le site de Roswell, au Nouveau-Mexique, envahit notre esprit. Mais le Chili se veut aussi un champion de l'observation des êtres venus d'ailleurs, en particulier sa région centrale. La petite ville de San Clemente, à près de 300 km au sud de Santiago, a ainsi officialisé un parcours de randonnée équestre de 30 km jusqu'à El Enladrillado, un mystérieux site de 200 pierres quadrillées que certains désignent comme autant de plateformes d'atterrissages d'OVNI ou de traces laissées par une civilisation éteinte. Mais c'est aussi un bon prétexte pour traverser la superbe réserve nationale d'Altos de Lircay.

Écosse: Des lochs et des scotchs

L'une des créatures les plus connues du monde a choisi de se nicher dans les Highlands écossais: comme cadre, il y a pire. Le Loch Ness peut se traverser en bateau et être admiré à partir des ruines du château d'Urquhart, datant du XIIIsiècle. Pour de «meilleures» chances d'apercevoir Nessie, un visiteur peut participer au circuit guidé de dégustations de whisky organisé par Highland Taste à partir du village de Drumnadrochit, sur les bords du lac. Pousser l'exploration des Highlands récompensera assurément les curieux adeptes de panoramas paisibles.

Photo David B. Torch, archives The New York Times

Des touristes contemplent le Trollstigen, un des endroits les plus spectaculaires de Norvège. L'été prochain, l'office de tourisme local organisera une chasse aux trolls dans le secteur.

Népal: Marcher dans les pas du yéti

Tintin au Tibet en a fasciné plus d'un, et nombre d'aventuriers seraient enjoués à l'idée de croiser le yéti au détour d'un sentier. La rencontre n'est pas garantie, mais d'autres monstres encore plus gigantesques attendront les randonneurs de pied ferme: les sommets himalayens, auxquels tout trek à travers le Népal vous conduira.

Égypte: Sans mots face aux momies

Dans la plupart des destinations que nous avons évoquées jusqu'ici, apercevoir des créatures fantastiques reste hautement improbable. En revanche, Le Caire recèle les clés de réelles rencontres en chaire et en baume. Après avoir admiré les pyramides de Gizeh, on peut se pencher sur leurs anciens locataires, les énigmatiques momies, au Musée égyptien du Caire. La plupart des corps embaumés trouvés depuis deux siècles, dont celui de Ramsès II, y sont exposés au public dans deux salles spécialement aménagées. Avec, parfois, des «invités spéciaux», comme la «momie hurlante», exhibée depuis février. S'animeront-elles sous vos yeux? Peu probable; à moins que n'ayez pillé une tombe royale en route...

Colombie-Britannique: Où se cache le sasquatch?

Le pendant nord-américain du yéti, connu comme bigfoot ou sasquatch, fait aussi fantasmer les randonneurs. Sa présence a été «signalée» dans de nombreux États américains, particulièrement sur la côte Ouest, mais la Colombie-Britannique n'est pas en reste : la ville de Harrison Hot Springs, qui a établi un parcours consacré à la bête folklorique, n'hésite pas à en faire sa marque de commerce. Musée, statues et randonnées dans le parc provincial de Sasquatch sont au menu. Sans oublier les sources d'eau chaude pour se relaxer l'imagination...

Suisse: As-tu vu le dahu?

Connaissez-vous ce mythe montagnard qui gambade à travers les Pyrénées et les Alpes? Le dahu, une sorte de chèvre sauvage qui ne vit que sur des pentes, serait pourvu de deux pattes latérales plus courtes. Bien entendu, il s'effarouche facilement. En Suisse, une boucle de randonnée accessible à tous d'une dizaine de kilomètres à partir du village d'Anzère, au coeur des Alpes valaisannes, lui rend hommage. Elle se pratique aussi en raquettes pendant l'hiver.

Photo Navesh Chitrakar, archives Reuters

Cette silhouette, là-bas, serait-ce celle d'un yéti? Ah non, c'est un sherpa. Si on n'aperçoit pas le monstre, impossible en revanche de rater le mont Kongde.

CRÉATURES D'ICI

Même si le Québec ne jouit pas d'un endroit touristique légendaire rayonnant internationalement, il n'en reste pas moins friand de contes et légendes. Quelques pistes locales pour les traqueurs de mythes et de créatures.

La Dame blanche

La légende veut qu'au XVIIIe siècle, les amants Mathilde et Louis se retrouvaient souvent au sommet de la chute Montmorency. Mais peu avant leur mariage, le soldat tomba au combat. Désespérée, Mathilde, parée de sa robe de future mariée, se jeta du haut de la chute. Depuis, on raconte qu'une forme blanche erre parfois dans les environs.

La Corriveau

Ce célèbre mythe qui mêle histoire et folklore relate la pendaison et l'exposition dans une cage d'une femme qui aurait assassiné plusieurs de ses maris au XVIIIsiècle. Dans ce cas, la légende n'est pas liée à un lieu particulier, souligne la professeure Pascale Marcotte, mais plutôt à la cage, rapatriée du Massachusetts en 2013, qui est aujourd'hui exposée au public au Musée de la civilisation de Québec.

Memphré et consorts

Nous aussi, au Québec, on a des lacs. Alors forcément, on a également des monstres. Au lac Memphrémagog, la rumeur d'une créature lacustre court depuis des siècles, rapportée même par les autochtones. Sinon, on peut toujours guetter Ponik, prétendu locataire du lac Pohénégamook, dans le Bas-Saint-Laurent, ou encore Champ, l'anguille géante que même Samuel de Champlain aurait aperçue sur le lac portant aujourd'hui son nom.

Les trous du diable

Il existe plusieurs «trous du diable» au Québec, cavernes et phénomènes géologiques d'où ont jailli toutes sortes d'histoires fabuleuses et inquiétantes. Le plus connu ? Celui de Shawinigan, où une cavité s'est formée au fond des chutes de la ville, où échoua le corps du prêtre Jacques Buteux, dit le mythe. Si on veut en avoir le coeur net, on peut toujours arpenter la grotte du trou du diable de Saint-Casimir-de-Portneuf, longue de près de 1 km et accessible au public.

Les monstres autochtones

Les mythologies amérindiennes regorgent de monstres malfaisants, comme Ahkiyyini, le squelette-fantôme marin, ou Amarok, l'esprit du loup traquant les chasseurs imprudents, chez les Inuits. L'un des plus répandus est sans doute le wendigo, créature anthropophage maudite et tapie au fond des bois.

Photo Pascal Ratthé, archives Le Soleil

La cage où l'on suppose que fut enfermé et exposé le corps de la Corriveau, accusée d'avoir assassiné plusieurs maris.