La proportion des nomades remettant en question l’impact de leurs séjours sur l’environnement ne cesse de croître. Parmi eux, la journaliste et autrice Marie-Julie Gagnon, spécialiste du voyage, poussée à sillonner le monde par sa soif de découvertes et à des fins professionnelles, se trouve constamment taraudée par les choix et solutions potentielles pour tenter d’épargner la planète. Dans son essai Voyager mieux, est-ce vraiment possible ?, elle explore ces questionnements éthiques et des stratégies pour réduire notre empreinte — que certains voyageurs québécois mettent déjà en œuvre.

Hantée par son bilan carbone et l’impact environnemental de ses déplacements, la journaliste a saisi le taureau écologique par les cornes, prospectant parmi les façons de les atténuer, à défaut de les réduire à néant. Surtourisme, croisières, tout-inclus, éthique animale, véhicules polluants… en consultant une large palette d’experts en environnement et de professionnels de l’industrie, la voyageuse a sondé de nombreuses facettes de ce cube Rubik visiblement insoluble, tâchant de trouver des réponses concrètes et réalistes à mettre en application.

Voyager mieux, est-ce vraiment possible ? Oui, à certaines conditions, conclut l’ouvrage, notamment en éclairant notre conscience par nos choix et nos recherches. Mais cette même conscience pourra-t-elle rester tranquille si nous nous plions à tous les impératifs ? « Non, ce n’est pas suffisant, concède Marie-Julie Gagnon. Quand on connaît les conséquences de nos actions, avoir la conscience tranquille est une utopie. Par contre, on peut l’apaiser un peu en agissant à notre échelle, sans se fixer des objectifs irréalistes. Le voyage est tellement riche à beaucoup d’autres égards, comme l’ouverture sur le monde. »

Se priver totalement de déplacements d’agrément, comme le prônent de nombreux experts et militants, serait-elle la seule issue ? L’autrice n’en est pas convaincue, l’ascétisme touristique lui paraissant également utopique, ne serait-ce que pour les regroupements familiaux ou amicaux, explique celle qui a eu du grain à moudre avec la notion de « voyage essentiel », qui a proliféré pendant la pandémie.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie-Julie Gagnon, journaliste, chroniqueuse et autrice

On pourrait se demander comment mieux faire ce voyage : rester plus longtemps, moins bouger, privilégier les transports actifs sur place… bien des façons de voyager sont moins dommageables.

Marie-Julie Gagnon, journaliste, chroniqueuse et autrice

Elle note également que divers paramètres agissent comme autant de bâtons dans les roues des bonnes intentions ; on pense aux limites financières, ou au nombre de jours de congé plutôt restreint au Québec. « Beaucoup de choses ne sont pas toujours possibles, mais si cela reste à notre portée, on devrait privilégier les vols directs, éviter de faire la “run de lait”, limiter les sauts de puce, s’assurer que ce voyage est important », brandit en exemple l’autrice.

Autant de principes que certains voyageurs n’ont pas hésité à mettre en œuvre, comme Sylvie Lepage, qui a décidé de réduire la fréquence de ses déplacements en avion et de moduler ses séjours. Sa dernière visite touristique remonte à 2019 et elle prévoit partir prochainement en Espagne. « On rallonge la durée, nous resterons trois semaines au lieu de deux. Sur place, on utilisera le train et les bus pour les transferts entre les villes. Au retour, on achètera des crédits carbone pour compenser. On se rappellera que nous avons eu ce privilège et on attendra patiemment avant de repartir », explique-t-elle, soucieuse également de réduire son impact localement en planifiant ses trajets en automobile et en privilégiant le vélo et la marche.

Des crédits carbone crédibles ?

La question des crédits carbone vous semble obscure ? Vous n’êtes pas seul ; Marie-Julie Gagnon, qui y consacre un chapitre de son livre, a longtemps erré dans ce microcosme à la complexité rebutante. Entre mauvais programmes, arnaques et écoblanchiment, pas simple de séparer le bon grain de l’ivraie. « C’est complexe, c’est aride, mais cela mérite d’être creusé par chacun, de se pencher sur les critères d’un programme et de le magasiner », recommande-t-elle. À titre d’exemple, après mûre réflexion, elle a été séduite par Carbone Boréal de l’UQAC, misant sur la pérennité et des vérifications sérieuses, le tout dans un carcan de recherche universitaire.

Serait-ce donc une bonne avenue ? La réponse récurrente pendant ses recherches fut positive, mais considérée en dernier recours : c’est-à-dire de faire en sorte d’avoir le moins d’impact possible et de compenser ce qui ne peut être réduit. « Ce n’est pas simple : dois-je compenser le transport ou l’ensemble du voyage, y compris la nourriture ? Plus on s’y intéresse, plus ça devient un automatisme. On s’en met beaucoup et on se sent coupable, mais je trouve intéressant, plutôt que de se freiner, de chercher des solutions positives, de faire d’un déplacement à vélo ou en bus un choix numéro un. »

Les efforts d’une industrie 

Lorsque l’on pense à l’impact environnemental du tourisme, on pointe d’emblée les moyens de transport permettant de se rendre du point A au point B (puis au point C, etc.), avec avions et bateaux de croisière particulièrement dans la ligne de mire. Marie-Julie Gagnon a examiné de près la question, des carburants innovants aux vols à bas coût en passant par l’option ferroviaire.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

La question du transport aérien est largement examinée dans l’ouvrage.

« On est très critiques face aux transports, mais j’ai senti un réel désir d’amélioration au sein de l’industrie. Personne n’a intérêt à garder un bilan carbone désastreux et des équipements désuets », dit cette inconditionnelle du train, citant les efforts de Transat ou de VIA Rail.

Plusieurs Québécois ont ainsi opté pour le rail pour leurs futurs voyages, tout en restreignant leur rayon de possibilités. C’est le cas de Danyelle Barrette et de son conjoint, qui ont décidé de faire une croix sur l’Europe. « Depuis la pandémie, nous avons bien réfléchi et nous prévoyons de voyager plutôt en train au Canada et aux États-Unis. Bien sûr, cela nous limite, mais il faut être conscient que si nous voulons laisser une planète en santé à nos petits-enfants, nous devons “modérer nos transports” dans le vrai sens de cette expression », confie-t-elle.

Voyager mieux, est-ce vraiment possible ?

Voyager mieux, est-ce vraiment possible ?

Québec Amérique

168 pages