Elles avaient 17 et 29 ans. Une vie faite de voyages, d’aventures et de rêves à réaliser les attendait, mais le cancer les a emportées toutes les deux en 2021. Pour garder vivante la mémoire d’Héloïse et de Gabrielle, leurs parents ont uni leurs forces pour lancer une formidable initiative, celle des pierres qui voyagent.

Depuis septembre, quelque 200 galets peints en bleu (la couleur préférée d’Héloïse) ou en jaune (la couleur de la manucure que portait Gabrielle le jour de sa mort) ont été semés dans le monde, transportés dans les valises de voyageurs qui connaissaient parfois les jeunes femmes, mais pas toujours.

Depuis, on les a vus à la Sagrada Familia de Barcelone, dans un parc aquatique du Viêtnam, devant une mosquée d’Abu Dhabi ou sur le bord d’un glacier en Colombie. Un couple sillonne à l’heure actuelle les États-Unis avec deux pierres peintes à bord de son VR. Un galet a même trouvé son chemin jusqu’en Russie, récupéré sur une plage de Varadero, à Cuba, par une femme du nom d’Irina.

  • Les pierres peintes d’Héloïse et de Gabrielle à Central Park, à New York

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    Les pierres peintes d’Héloïse et de Gabrielle à Central Park, à New York

  • Des galets peints ont été déposés au creux des bras de ce couple de bronze du centre-ville de Montréal.

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    Des galets peints ont été déposés au creux des bras de ce couple de bronze du centre-ville de Montréal.

  • En ski dans les Rocheuses…

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    En ski dans les Rocheuses…

  • Une photo croquée à San Diego, en Californie

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    Une photo croquée à San Diego, en Californie

  • Devant la mosquée d'Abu Dhabi, l’une des plus magnifiques au monde

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    Devant la mosquée d'Abu Dhabi, l’une des plus magnifiques au monde

  • Un voyageur a apporté un galet au nom d’Héloïse jusqu’au Temple du Lotus de New Delhi, en Inde.

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    Un voyageur a apporté un galet au nom d’Héloïse jusqu’au Temple du Lotus de New Delhi, en Inde.

  • Des pierres peintes ont aussi été déposées au Parc olympique. Une heure après ce cliché, elles avaient disparu.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Des pierres peintes ont aussi été déposées au Parc olympique. Une heure après ce cliché, elles avaient disparu.

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Tous ceux qui ont transporté les galets d’Héloïse et de Gabrielle les ont photographiés dans des paysages souvent superbes avant de les laisser bien en vue pour que d’autres les trouvent… et leur permettent de poursuivre leur voyage. L’initiative fait fureur. Chaque pierre étant dotée d’un code QR, les photos s’accumulent à un rythme surprenant sur la page Facebook Faites-nous voyager, créée en l’honneur de ce touchant projet.

Le jour de l’entrevue avec La Presse, deux galets ont été déposés à la place Nadia-Comaneci, au Parc olympique. Une heure plus tard, ils avaient disparu, partis pour un périple qui les mènera Dieu sait où.

Un projet pour continuer à vivre

Les parents de Gabrielle, Sylvie Leblanc et André Doyon, ainsi que la maman d’Héloïse, Danielle Boulanger, ont vécu chacun de leur côté la pire des tragédies qu’un parent puisse imaginer : la perte d’un enfant. Les deux mères se sont rencontrées dans un groupe de deuil organisé par un salon funéraire ; elles ont aussitôt connecté. « Quand on perd son enfant, on n’a plus de mots pour dire ce qu’on ressent. Toutes les deux, on parlait le même langage », lance Danielle Boulanger.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

André Doyon, Danielle Boulanger et Sylvie Leblanc ont lancé le projet Faites-nous voyager pour garder la mémoire de leurs filles vivante.

Lors d’un week-end partagé à Saint-Donat, les deux mères ont eu l’idée de cacher autour du chalet où elles logeaient deux pierres sur lesquelles elles avaient peint les noms de leurs filles. « On s’est dit qu’on reviendrait dans 15 ou 20 ans pour les retrouver », explique Sylvie Leblanc.

De fil en aiguille, le projet s’est transformé. Héloïse et Gabrielle étaient de jeunes femmes pleines de vie, qui caressaient le projet de faire le tour du monde (et dans le cas d’Héloïse, de devenir première ministre du Québec). Pourquoi ne pas les faire voyager autrement ?

« Au départ, on a surtout voulu se faire du bien », lance Sylvie Leblanc. « Mais l’idée a vite créé un engouement auprès des amis de Gabrielle, dit son conjoint André Doyon. C’est devenu comme une mission pour eux d’emmener Gabrielle partout avec eux. »

Ce projet m’aide à continuer. Il faut que je le fasse, il faut que je rende ma fille fière. C’est ce qui me tient.

André Doyon, père de Gabrielle

Son épouse le rassure tout de suite : « Nos filles doivent être tellement fières de nous ! » « Et elles doivent nous trouver intenses », réplique le père de famille.

Des anges voyageurs

Intenses ou non, ces parents se sentent portés par le projet. « Ça nous fait un bien immense et je crois que ça aide aussi ceux qui voyagent avec Héloïse et Gabrielle », estime Danielle Boulanger. « Ils sont accompagnés par des anges », ajoute André Doyon.

« Nos filles étaient des rassembleuses, des leaders positives, se souvient le père de Gabrielle. Elles ne se sont pas connues de leur vivant, mais on voit bien les similitudes qui existent entre elles. C’étaient de vieilles âmes, mais aussi de vraies boules d’énergie, tout le temps. » Et toutes deux ont traversé la maladie avec une détermination et une résilience qui ont marqué leurs proches.

Avant sa mort, Gabrielle a eu le temps de faire plusieurs voyages avec des amis. L’Espagne, la Grèce, la Thaïlande, Singapour, la Malaisie, le Belize. « Elle organisait tout, ses amis la suivaient les yeux fermés. Elle n’avait pas 30 ans lorsqu’elle est partie, mais elle a voyagé plus que la moyenne des gens. C’est comme si elle avait toujours su qu’il fallait profiter de la vie au maximum. »

Dans le cas d’Héloïse, lorsque le diagnostic de cancer de la glande surrénale est tombé (« un cas sur un million », dit sa mère), la famille a multiplié les voyages avec l’adolescente. Le tour de la Gaspésie en van life, Hawaii, Paris, l’Ouest canadien. « En deux mois, elle a fait quatre voyages. Elle refusait qu’on parle de la mort ; elle voulait qu’on mette l’accent sur le positif. » Lorsqu’elle s’est éteinte, le jour de Noël 2021, la chambre était remplie d’amis, de membres de la famille. Son père et sa sœur aînée Laurence étaient aussi à son chevet, tout comme sa mère.

Avant de partir, elle nous a répété de profiter de la vie et de réaliser nos rêves. Elle m’a donné le courage de commencer une nouvelle carrière. Je veux garder sa curiosité et découvrir le monde. Je ne veux pas visiter deux fois le même endroit. Sauf Paris ! Parce que c’est Paris et que j’ai visité la ville avec Héloïse.

Danielle Boulanger

Les deux mamans ne quittent jamais la maison sans avoir dans leur sac une pierre aux couleurs de leurs filles. Elles ont ainsi incité de parfaits inconnus à faire une place pour Héloïse et Gabrielle dans leurs bagages : deux pilotes d’Air Transat, un olympien rencontré à Lake Placid, une employée de Trévi au Quartier DIX30. « Au début, je voulais numéroter les roches pour pouvoir suivre le trajet de chacune, mais j’ai perdu le compte », admet Danielle Boulanger.

Elle poursuit : « C’est une épreuve terrible de perdre son enfant, mais il y a aussi de belles choses qui arrivent, de belles rencontres qui se font. Tellement de gens nous ont soutenus dans cette épreuve. Une vraie petite armée ! »

Un acte de sensibilisation

Pour ces parents endeuillés, le projet Faites-nous voyager agit comme un baume sur leurs plaies, mais sert aussi un double objectif : celui de sensibiliser les gens au deuil pédiatrique.

« Les gens ont de la difficulté parfois devant des parents qui viennent de perdre leur enfant, ils sont inconfortables. On a perdu des amis à cause de cela. Un de mes rêves serait de passer à Tout le monde en parle pour sensibiliser le public. Nos filles sont mortes et c’est comme si nous n’avions plus le droit de vivre. Mais on est encore là. On rit, on danse. On est beaucoup plus que le nuage de peine que les gens pensent voir. Parfois, un café, un jogging partagé, un verre de vin peut suffire pour aider. Il faut qu’on en parle. »

Danielle Boulanger poursuit avec émotion : « On dit que dans la vie, on meurt deux fois. Le jour de notre mort et le jour où les gens arrêtent de dire notre nom et de penser à nous. Et je ne laisserai pas ma fille mourir deux fois. »

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