Pour notre numéro spécial «La Presse est à vous», notre lecteur Marc Chalifoux nous raconte son voyage.

Le 16 septembre 1997. Illuminé par une pleine lune apaisante, je quitte la petite ville portuaire de Quellon avec le sentiment que ce qui allait se présenter à moi durant les prochains jours sur la Carretera australe relèverait de la magie. Je ne me trompais pas. Loin de là.

Une fois la traversée effectuée à bord du Comodoro, par une fin d'après-midi à la luminosité du printemps austral, nous -«352», ma bicyclette et moi-même-, débarquons à Chaitén, notre porte d'entrée de la Carretera. Après une nuit sans histoire, la tente bien installée sous le kiosque couvert (ôh grand luxe!) du centre communautaire, nous faisons connaissance avec cette route.

De prime abord peu invitante, puisqu'il s'agit d'un bon «chemin de gravelle», je suis surpris de voir combien elle est agréable à rouler. En espagnol, on la nomme également «camino de penetracion». Le chemin de pénétration. Excellente expression, puisqu'elle nous amène, réellement, par sa voie unique, à entrer dans cet immense jardin qu'est l'extrême sud du Chili.  Ce qui saute aux yeux, dans sa première partie (300 km), c'est la beauté des paysages avec en prime, pour la saison, les montagnes habillées de blanc.

Au fil des kilomètres et des lieux de camping totalement improvisés, nous visiterons le magnifique parc national Queulat où je ferai ma première rencontre avec un pudu, petit mammifère de la région. Côté climat, il faut s'attendre à beaucoup d'humidité et j'ai droit à quelques journées sous la pluie. Peu importe, la beauté du paysage et la tranquillité des lieux (oubliez la circulation!) compensent largement.

Coyhaique, ville de services de plus de 35 000 habitants, est située à 420 km de Chaitén. Je profite de mon passage pour un repos bien mérité. Je vois et je comprends à quel point la solidarité des gens de ce coin du monde est grande. Tous sont extrêmement sympathiques, calmes et disposés à venir en aide ou simplement à échanger. Ces rencontres, au passage, me permettent de faire le plein d'énergie et de continuer ma route.

De Coyhaique, la deuxième partie de la carretera australe débute. Il reste un peu plus de 350 km pour rejoindre Cochrane. Ce qui change assez rapidement, après Villa Cerro Castillo, c'est le paysage qui tend à s'ouvrir sur l'immense et magnifique lac General Carrera. Ses eaux d'un bleu profond contrastent totalement avec la piste. Les montagnes et les collines dénudées nous entourent. Le petit village de Puerto Tranquillo m'incite à m'y arrêter le temps d'acheter du pain et quelques sucreries: le vélo, ça exige beaucoup d'énergie!

Peu à peu, je prends conscience que l'objectif, mon objectif, est plus que jamais à portée de main. Cochrane sera pour moi, plus ou moins la fin de mon odyssée «du Pacifique». Par la suite j'entrerai en Argentine pour atteindre ultimement Ushuaia; l'objectif. Pas mal, tout compte fait, moi qui suis seul sur la route (avec «352») depuis plus de 16 mois déjà, à savoir depuis mon départ de Saint-Jovite.

Ça devient du sport. Montées et courtes descentes se succèdent. Étant donné l'état de la piste et l'importance des pentes, je marche beaucoup pour ménager «352» et, surtout, pour éviter toute chute stupide qui hypothéquerait gravement la suite des choses.

Finalement, Cochrane se fait réalité et en lisant sa devise qui est «Bienheureux le village qui a confiance en Dieu», je me dit que ce dernier ne doit pas être bien loin.