Ils se sont rencontrés, ils se sont aimés, puis les kilomètres se sont glissés dans l'équation, le temps d'un voyage de rêve ou d'une occasion professionnelle. Comment vivre la distance après avoir connu la proximité? Confidences et conseils.

Mission Antarctique

Marion Spée, 35 ans

Julien Labruyère, 34 ans

Enfants: Basile, 3 ans Romy, 3 mois

En octobre 2009, Marion et Julien se rencontrent lors d'une mission en Antarctique. Marion y fait un doctorat sur les manchots et Julien travaille dans les installations comme ébéniste. Loin du reste du monde, sans divertissement ni compagnie autre que les autres envoyés spéciaux, l'amour de Marion et Julien décolle vite et fort. À leur retour en France, quatre mois plus tard, ils habitent deux villes différentes, mais s'appellent tous les jours et se voient toutes les trois semaines. Des moments magiques, sans nuages.

Conquis par son expérience, Julien souhaite toutefois retourner en Antarctique. En 2010, puis encore en 2012. Mais pas Marion.

«Les deux fois, nous avons pris la décision ensemble, dit Marion. Je suis toujours heureuse pour lui, car je sais que c'est une aventure extraordinaire, mais je suis également triste de le perdre.»

«La distance se vit différemment pour la personne qui reste dans le quotidien. Ce qui m'a aidée, c'est que je connaissais bien la base et l'équipe. Je pouvais imaginer où Julien dormait, mangeait, faisait une excursion...»

Impossible de s'envoler sur un coup de tête pour un week-end en amoureux, ni même de jaser par vidéo. La base n'a qu'un seul téléphone satellite, dans une cabine à l'extérieur du bâtiment principal. Même les courriels partent au maximum deux fois par jour, le matin et le soir.

«Au moins, je ne perdais pas mon temps à attendre ses messages! relativise Marion. Chaque jour, on se racontait nos journées, mais aussi nos états d'âme. Quand on en avait marre de la distance, on le disait.»

La motivation du couple? Utiliser l'argent de cette occasion professionnelle pour un éventuel voyage d'un an en amoureux, avant l'arrivée des enfants.

«J'aurais pu avoir très peur de le voir partir, mais je n'ai jamais douté de son engagement. Est-ce que ç'aurait été plus difficile s'il était parti dans un autre décor, sur une autre base? Peut-être. Ce qui nous a aidés, c'est qu'on savait tous les deux que c'était temporaire et qu'on y gagnerait au final la réalisation d'un beau projet commun.»

Coup de foudre en mer

Catherine Desforges, 31 ans

Lewis White, 30 ans



En voyage avec une amie, en 2008, Catherine rencontre Lewis sur un bateau de plongée sous-marine à Cairns, en Australie. Le jeune Néo-Zélandais convainc la graphiste de se joindre à l'équipage en tant que guide de plongée.

«Tout était si beau et simple avec Lewis. On travaillait ensemble, on vivait ensemble... Notre relation est vite devenue fusionnelle, même si parfois, je ne comprenais pas son accent!»

C'est le grand amour. Catherine s'installe en Nouvelle-Zélande pour un an, puis Lewis déménage au Québec pour une autre année. Le couple décide ensuite de travailler sur les super yachts privés, en Floride. Un défi qui enchante Lewis, mais qui rend Catherine de plus en plus malheureuse. Après six mois, un choix déchirant s'impose: «Je n'ai même pas eu besoin de m'expliquer, Lewis voyait bien que je n'en pouvais plus. Et, inversement, je savais qu'il n'avait pas encore été au bout de son rêve.»

Après qu'ils ont été soudés l'un à l'autre pendant deux ans et demi, Catherine quitte le navire. Les amoureux ignorent alors quand, comment et où ils se retrouveront, mais jamais ils n'ont remis en doute leur relation.

En attendant leurs retrouvailles, ils multiplient les textos et planifient chaque soir un appel vidéo de 45 minutes. «Les conversations, même banales, nous donnaient l'impression de rester dans le quotidien de l'autre, dit Catherine. On ne pouvait pas se voir beaucoup, parce que nous n'avions pas d'argent, mais en cas de besoin, Lewis sautait dans un avion de la Floride pour me retrouver.»

Le plus difficile? Ne pas savoir ce qui les attend au cours des prochains mois.

«Avec la distance, on oublie peu à peu l'effet grisant de la présence physique de l'autre, les bienfaits de sa chaleur humaine. Il faut avoir foi, vraiment!», avoue Catherine Desforges.

Lewis reste sur le navire pendant une autre année, des montagnes russes émotives que Catherine ne souhaite plus revivre. Transparente, elle fait part de son insatisfaction à Lewis: la distance, c'est assez.

En 2012, le couple se retrouve et soude son union en se mariant. Maintenant installés au Québec, ils forment de nouveau une équipe personnelle et professionnelle au quotidien, en tant que copropriétaires du Café White, à Sainte-Adèle. Et Lewis apprend maintenant le français.

Photo Olivier PontBriand, La Presse

Catherine Desforges et Lewis White dans leur café de Sainte-Adèle

Un voyage nécessaire

Danny Kronstrom, 37 ans

Benjamin Poitras, 35 ans



Quand il rencontre Benjamin pour la première fois, en novembre 2017, Danny ne cherche rien de sérieux. La vie lui réserve toutefois une surprise. «Dès qu'il est entré dans le café où nous avions rendez-vous, j'ai eu un choc. Mais comme il était clair que je partais bientôt, je n'avais aucune attente.»

C'est que Danny caresse un ambitieux projet, un voyage de six mois, du Sri Lanka au Viêtnam en passant par l'Europe du Nord. «Une personne proche de moi est autiste. Sortir lui est parfois difficile, alors j'ai décidé de voyager pour lui.»

Benjamin comprend vite qu'il s'agit d'un passage obligé pour son nouveau partenaire. Au lieu de tirer sa révérence, il y voit une occasion de se rapprocher, de l'encourager, de le soutenir dans son objectif.

Après deux mois de fréquentations, Danny part en janvier 2018. «On a gardé le contact naturellement, jour après jour. Le matin, je recevais un message de Benjamin qui me racontait sa journée. Il lisait ma réponse en soirée, en raison du décalage horaire. On se planifiait des vidéoconférences, plusieurs fois par semaine. Même quand la connexion internet était difficile, on prenait toujours du temps l'un pour l'autre.»

À la mi-temps de son voyage, Danny repasse au Québec pour régler quelques papiers. Il en profite pour passer deux semaines avec Benjamin. En mai, le couple se retrouve au Viêtnam, des retrouvailles fort bénéfiques.

«Il est agréable de recevoir un message de son copain, mais c'est encore mieux de le voir en personne, de lui dire: "je t'aime" au creux de l'oreille.»

Comme le couple n'a pas encore un long historique, ce voyage aurait pu signer son arrêt de mort. «On le savait pertinemment tous les deux, admet Danny. Mais j'ai découvert en Benjamin ce que je cherchais dans une relation sérieuse. La distance a été salutaire, elle nous a permis de faire le point sur nos vies respectives, de bien réfléchir à ce qu'on souhaitait pour la suite des événements.»

En clair, la relation démarrait sur des bases différentes, mais solides. «Cette communication intensive nous a beaucoup rapprochés, même si on était à plus de 10 000 km l'un de l'autre, dit Benjamin. Nous avons appris à nous connaître autrement. Nous avons pris notre temps, ce qui fait qu'aujourd'hui, nous vivons une relation encore plus unique.»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Danny Kronstrom et Benjamin Poitras

Aimer à distance, mode  d'emploi

Une relation à distance exige une communication de tous les instants, de la patience, de la confiance et une excellente capacité d'adaptation.

La bonne nouvelle? Certaines études démontrent que la distance peut augmenter le niveau de satisfaction au sein du couple. Ironique? Pas nécessairement...

«Un couple établi qui choisit de vivre à distance pour un certain temps, c'est très différent de commencer une relation dans la distance, alors qu'on n'a jamais fréquenté l'autre au quotidien», explique la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre des psychologues du Québec.

Mais attention! Ne gère pas bien la distance qui veut. Certains ingrédients doivent être réunis pour que les coeurs impliqués se renforcent dans l'épreuve.

1. La prise de décision 

Plus on est en relation depuis longtemps, plus il est difficile de concevoir qu'une telle décision soit prise de façon unilatérale. «Il est beaucoup plus facile d'accepter l'éloignement de notre partenaire si on en a discuté ensemble, si on sent qu'on a été entendu et compris dans nos besoins et limites», précise la psychologue.

2. Le mode de communication

Doit-on se contenter de courriels expéditifs, ou peut-on organiser des appels vidéo d'une ou deux heures, avec un verre de vin chacun dans sa ville? Séances de clavardage, appels téléphoniques, vidéoconférences... Le véhicule compte!

3. La qualité des échanges

Parle-t-on de détails factuels ou de sujets intimes et profonds? «Quand on se retrouve au loin, sans proximité physique, l'intimité affective et psychologique devient encore plus importante, explique Christine Grou. Il importe de nommer nos ressentis, de rester connecté émotivement à l'autre.»

4. Le degré d'engagement

Si l'éloignement physique est interprété comme une porte de sortie, la distance risque d'être vécue difficilement. Si le couple réaffirme souvent son désir de poursuivre la route ensemble, les kilomètres seront beaucoup moins menaçants.

Et le retour?

Quand le couple se scinde en deux entités éloignées, on change ses habitudes, son mode de vie. Après les retrouvailles tant attendues, quels sont les risques pour la relation?

On évite de basculer dans la fusion, un réflexe compréhensible après ces longs mois d'ennui, mais qui pourrait rapidement miner le couple. «Chacun doit se garder un espace individuel, s'il veut pouvoir enrichir l'espace commun, explique Christine Grou. Il n'existe pas un seul modèle de couple harmonieux. La clé, c'est de trouver un équilibre entre l'autonomie de chacun et notre volonté commune d'être ensemble.»

Photo fournie par Getty images