Au son d'un piano mécanique égrenant une marche nuptiale, Wang Dan foule un tapis rouge en direction d'une chambre d'hôpital baptisée la «Maison-Blanche», quelques minutes après avoir accouché dans une piscine éclairée de bougies.

La chambre - une suite - est décorée d'un énorme canapé de style rococo et d'une reproduction de La Joconde. Wang, 28 ans, qui a donné naissance à un garçon, déclare: «Je voulais rester à la Maison-Blanche parce que c'est grand et bien décoré».

La suite «présidentielle» de l'hôpital Antai de Pékin - un établissement privé recherché par les classes fortunées de la capitale - n'est pas la seule particularité qui entoure la naissance du premier enfant de Mme Wang.

Dans un pays où la plupart des femmes actives dans les villes choisissent d'accoucher par césarienne, Wang Dan, elle, a opté pour une naissance «naturelle».

La proportion des naissances par césarienne en Chine a plus que doublé en moins d'une décennie, passant de 20 % en 2001 à plus de 46 % en 2008, et dans les villes, elle frôle les deux tiers, selon l'Organisation mondiale de la santé.

En Asie, le phénomène a pris des proportions «épidémiques», constatait l'OMS dans un rapport en 2010.

Pour les experts, la césarienne est nécessaire dans les cas où l'état de la mère ou de l'enfant rend un accouchement naturel risqué. Mais ils estiment aussi que les risques entraînés par les césariennes «choisies» sont souvent plus grands que les avantages.

Le taux de césariennes en Chine est «incontestablement trop élevé», juge Shenlang Tang, chercheur en médecine publique à l'Université Duke aux États-Unis, ajoutant que «le facteur-clé est le financement de l'hôpital».

La Chine a fait d'immenses progrès en réduisant de près des deux tiers la mortalité infantile depuis le milieu des années 90, essentiellement grâce à la promotion des naissances en milieu hospitalier.

Mais le financement par l'État des hôpitaux chinois est faible et ces derniers génèrent près de la moitié de leurs ressources grâce à des opérations comme les césariennes, le reste provenant principalement des examens médicaux et des médicaments.

«Le prix d'un accouchement avec césarienne peut aller jusqu'à trois ou quatre fois celui d'une naissance naturelle», explique ainsi M. Tang.

La politique de l'enfant unique joue également un rôle certain, dit-il: les parents ont plus d'argent à mettre dans l'unique naissance attendue et ne rechignent pas à la dépense pour une forme d'accouchement jugée plus sûre.

En outre, «il existe nombre de préjugés selon lesquels si vous accouchez naturellement, cela affectera votre vie sexuelle», explique-t-il.

Certaines autorités locales ont lancé des campagnes de promotion des accouchements naturels, mais il n'y a pas de politique claire sur ce point au niveau central, relève M. Tang.

C'est pour encourager les femmes à choisir une naissance naturelle que l'hôpital Antai offre des naissances en piscine et enseigne aux femmes enceintes les techniques d'hypnose pour maîtriser la douleur.

Et la facture est la même que pour une césarienne, ce qui coupe court à toute incitation à les promouvoir.

«Notre problème majeur, c'est que les femmes enceintes en Chine ont très peur de la douleur», déclare à l'AFP le directeur d'Antai, Chen Fenglin. «Même les naissances en piscine ne réduisent pas la peur de nos patientes, c'est pourquoi nous avons introduit l'hypnose».

Un long tapis rouge relie la salle d'accouchement à une série de chambres de repos, tels la «Maison-Blanche», ou «le Palais d'Islamabad» - à destination de la clientèle musulmane -, ou encore une autre inspirée du conquérant mongol Gengis Khan.

«Les parents espèrent que leur enfant deviendra empereur, princesse ou président. Les chambres sont là pour leur faire faire de beaux rêves», raconte Chen, précisant que sa clinique a réalisé plus de 2000 naissances en piscine.

Quant au piano automatique avec ses marches nuptiales, il est là pour «exprimer qu'une naissance est aussi joyeuse qu'un mariage».

Wang Dan confirme: «Je me suis sentie vraiment heureuse quand le piano s'est mis à jouer. Certaines femmes sont encore écrasées de douleur après leur accouchement. Moi, j'étais simplement excitée», assure-t-elle, précisant n'avoir pas eu d'anesthésie.

Pendant ce temps-là, au rez-de-chaussée, les médecins de l'hôpital s'affairent à leurs césariennes. Le directeur ne croit pas que celles-ci vont diminuer rapidement en Chine: «Vous pouvez promouvoir les naissances naturelles, mais en fin de compte, c'est d'argent qu'il s'agit».