Virée de comptoirs à jus, 5 à 7 sans alcool et bientôt un rave matinal à Montréal. Se pourrait-il que la tendance santé et vitalité de l'heure rime aussi avec sobriété?

Faire la fête sans mal de tête

C'est jeudi matin que ça se passe. Dès 6 h, le rave matinal qui attire les foules de New York à Paris en passant par San Francisco et Londres arrive en ville. Une centaine de participants sont attendus pour le tout premier Daybreaker, un événement de yoga, danse et performances, dans une boîte de nuit du boulevard Saint-Laurent, 100 % sobre, 100 % énergisant.

L'instigatrice du concept, une trentenaire qui, selon plusieurs observateurs, est en train de révolutionner la définition même du concept de fête, est une fille de Montréal. Radha Agrawal vit à New York depuis 15 ans et a fondé l'événement Daybreaker en 2013. «J'étais avec mon meilleur ami un soir, on mangeait des falafels, et puis on se demandait: mais pourquoi est-ce qu'on va dans les clubs? Les gens sont tous ivres, personne ne se parle, ce n'est vraiment pas un environnement où on peut se laisser aller. C'est plutôt une zone où tout le monde se juge. Bref, il était 4 h du matin, on mangeait nos falafels à Brooklyn, et on s'est dit: et si on faisait ça le matin? Avec du jus vert à la place de l'alcool?», se souvient-elle en riant.

Ainsi est né Daybreaker, un rave matinal qui fait danser les foules autrement dans 11 métropoles du monde.

«C'est clairement une tendance macro: le clean clubbing, ou sortir en toute conscience.»

Mais attention, dit-elle. Elle n'est pas là pour vous faire la morale. Au contraire. «On ne prêche pas la sobriété. Ça n'a rien à voir avec ça. On propose juste une alternative.» À quoi? Ici, pas besoin de s'habiller chic, encore moins de consommer pour être bien. «Vous pourrez avoir de vraies conversations, connecter en toute authenticité, être vous-même dans un état qui ne sera pas altéré.» Elle résume l'expérience en cinq termes: bien-être, pleine conscience, expression personnelle, camaraderie et espièglerie. «Danser avec une communauté sobre, c'est vraiment très thérapeutique!»

5 à 7 virgin

Elle n'est pas la seule à avoir fait le virage sobriété. Dernièrement, le New York Times a fait grand cas de 5 à 7 sans alcool nouveau genre. Organisées d'abord à Los Angeles, puis à New York (et prochainement à Toronto), les soirées baptisées The Shine sont des événements de méditation, d'inspiration, de connexion. Avec un volet alimentation et une foule d'options végétaliennes ou sans gluten au menu. 

«Quand je me suis plongé dans le yoga et la méditation, j'ai réalisé que l'alcool ne m'apportait pas grand-chose dans la vie, explique Light Watkins, fondateur de ces 5 à 7, en entrevue. J'ai arrêté de sortir parce que je ne trouvais pas de lieu pour les gens comme moi.» D'où l'idée de lancer des soirées plus «spirituelles» et surtout inspirantes, avec un volet philanthropique et des discours de motivation en prime, alors que la tendance yoga bat justement son plein. 

«J'ai décidé de créer une communauté de gens comme moi.» 

Ici non plus, il n'est pas là pour faire la morale, dit-il, mais plutôt pour encourager les contacts et la communication. «L'alcool ne fait tout simplement pas partie du mix, dit-il. Ce qu'on veut, c'est démontrer ce que c'est que d'être sous l'influence non pas de l'alcool, mais de l'inspiration!»

Tournée de «bars»... à jus

Autre événement qui fait jaser: les virées de «bars» à smoothies et autres boissons santé. Lancées il y a deux ans à New York, elles incarnent cette tendance santé-sobriété à merveille. Il faut dire qu'elles ont été imaginées par une jeune musicienne, Anna Garcia, aux prises avec des problèmes de santé, qui n'a pas eu le choix de changer son mode de vie. 

Du jour au lendemain, elle est devenue végane et a décidé de ne plus boire d'alcool. «Mais socialement, surtout dans le monde de la musique, cela vous coupe du monde!», témoigne-t-elle au bout du fil. D'où son concept: «J'ai voulu créer quelque chose d'amusant, dit-elle, pour permettre aux gens de se retrouver autrement» (c'est-à-dire: ailleurs que dans un bar). Aujourd'hui, elle réunit une cinquantaine de participants une fois par mois, pour une tournée de bonnes adresses de jus à travers Soho, Williamsburg et l'East Village.

Une mode?

Mode passagère ou tendance de fond? Andrea Rice est professeure de yoga à Brooklyn et journaliste pour le site de Wanderlust. «Depuis deux ans, on a vu une nouvelle communauté se former», observe-t-elle. Cela a commencé avec les adeptes de yoga, la méditation, les jus santé, etc. « Les gens font un virage santé, wellness, et ont besoin de lieux de socialisation », dit-elle.

La mode étant à la pleine conscience (mindfulness), «il y a un retour vers ce désir de connecter vraiment, croit-elle. Pourquoi être sobre? Pour que les liens soient authentiques. Ce qui n'est pas toujours le cas quand vous êtes saouls...»

Et selon elle, on n'a encore rien vu. «Je pense que c'est une tendance de fond, et qu'on n'en est qu'aux débuts, dit-elle. Les gens veulent être en santé et en forme. Et surtout se retrouver avec des gens qui pensent et vivent comme eux.»

Pour en savoir plus

Consultez la page Facebook de Daybreaker: https://www.facebook.com/events/1726514747607877/

Consultez le site de The Shine: http://www.theshinemovement.org/#intro

Consultez le site de Juice Crawl: http://www.juicecrawl.com/

Témoignages

Ils sont jeunes. Ne boivent pas. Ou presque plus. Voici pourquoi.

Le barman

Vijay Pillay est le barman du restaurant Chambre à part, à Montréal. Et depuis plus de deux ans maintenant, il est sobre. Il ne le cache pas: «J'étais alcoolique. Je l'ai découvert en travaillant dans un bar et j'ai décidé de me prendre en main.» Il a décidé de prendre soin de lui, de manger mieux, de dormir davantage, et aussi de faire de la médiation quotidiennement. Au resto, il propose aussi cinq cocktails chaque jour sans alcool, avec des produits du terroir, changeant au gré des saisons. «Cinquante pour cent des cocktails vendus sont sans alcool, dit-il. Il y a une tendance vers ça avec tous les jus, le kombucha, le vin sans alcool, on importe même de la bière sans alcool.» Pourquoi? «En restauration en ce moment, on est vraiment très nombreux à être sobres: des chefs, des sommeliers, on est vraiment beaucoup!»

La végétalienne

Audrey Sckoropad est mannequin, blogueuse et coach santé. La jeune mère de 25 ans n'a jamais bu une goutte d'alcool. «J'ai toujours été health conscious», confie la jeune femme qui court, fait du yoga, de la méditation, en plus d'avoir une alimentation végétalienne. Même sa petite fille est végétalienne. «Cela fait partie d'un esprit sain dans un corps sain. Les gens vont dire que je suis extrême, mais pour moi, c'est juste prendre soin de mon corps.»

La prof de yoga

Andrea Rice enseigne le yoga à Brooklyn. «Je buvais beaucoup dans ma vingtaine, mais j'ai réalisé que ça ne m'apportait pas grand-chose. Et puis je me suis mise à faire beaucoup de yoga. J'ai travaillé mon sentiment de connexion intérieure. Et du coup, je me suis sentie très détachée du mode de vie de party.» L'idée de boire toute une nuit, et de se réveiller avec un mal de bloc, très peu pour elle. «Je ne suis pas une ex-alcoolique et j'aime encore boire un verre de vin avec mes amis. Mais les activités qui sortent du cadre m'allument maintenant beaucoup plus!»

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Vijay Pillay est maître d'hôtel du restaurant Chambre à part, à Montréal.