Du formol pour les infirmières, des pesticides pour les agriculteurs, du «perchlo» dans les nettoyeurs, un mélange varié pour les dockers...: les produits toxiques sont partout, avec parfois des conséquences désastreuses pour la santé.

La journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, le 28 avril, sera placée sous le signe de ces risques chimiques, qui souvent se cumulent pour former des cocktails très nocifs.

Dans un rapport rédigé pour l'occasion, l'Organisation internationale du travail (OIT) relève que «les produits chimiques posent un problème potentiel dans tous les types d'emploi», des salons de coiffure (méthacrylate de méthyle) aux chantiers (amiante, diluants et autres vapeurs de soudage) en passant par le secteur du nettoyage.

«Même dans les bureaux, le personnel est exposé aux particules de toner et autres produits similaires», souligne l'OIT, notant que l'exposition à certains de ces produits peut se traduire par des cancers des années après.

L'OIT avance le chiffre de 4,9 millions de morts dans le monde en 2004 (8,3% du total) directement imputables aux produits chimiques (au travail ou ailleurs).

En France, selon le ministère du Travail, 10% des salariés, soit près de 2,2 millions de personnes, ont été exposés à au moins un cancérogène au cours de la dernière semaine travaillée (enquête Sumer 2009-2010).

«Sous-estimation des effets»

Pour Annie Thébaud-Mony, spécialiste des cancers professionnels, «les risques chimiques ne sont pas du tout maîtrisés dans le travail» et leurs effets sont «sous-estimés».

Elle explique à l'AFP que, souvent, sont exposés «les très jeunes, les intérimaires, les stagiaires, les sous-traitants et les femmes» et que «les dispositifs de protection qui existent ne sont même pas utilisés».

Elle pointe le cas du nettoyage et de la gestion des déchets où la situation est «hors de contrôle et complètement catastrophique».

Chez les dockers, une «Association pour la protection de la santé au travail dans les métiers portuaires 44» s'est créée lorsqu'un Nantais s'est interrogé en 2008 sur les causes de son cancer du rein.

Lorsque les bateaux transportent des produits périssables par exemple, ils sont «traités à mort» pour éviter que des rats viennent dans les cales. «Et les gars, quand ils ouvrent les cales, ils inhalent ces produits», raconte à l'AFP Serge Doussin, aujourd'hui président de l'association.

Une consultation auprès de dockers en activité depuis 1992 a rapidement montré «un taux anormalement élevé de pathologies graves» (cancers du rein, larynx, vessie, prostate...). Dans le cadre d'un projet baptisé «Escales», un chercheur a travaillé pendant 18 mois sur une reconstitution des carrières des dockers malades.

Ses travaux ont montré que «les dockers et les portuaires du port de Nantes Saint-Nazaire ont été soumis à une poly-exposition à des cancérogènes», selon M. Doussin.

«Pour la première fois, c'est écrit noir sur blanc», dit-il, espérant que cela facilitera la reconnaissance de maladies professionnelles.

Le compte pénibilité, qui doit entrer en vigueur en 2015, doit aussi permettre aux salariés exposés de cumuler des points afin de se reconvertir, de travailler à temps partiel ou de partir plus tôt à la retraite. Reste à fixer les seuils d'exposition (intensité et durée) ouvrant droit à des points.

Mais Mme Thébaud-Mony souligne que l'exposition à des cancérogènes peut être néfaste «dès la première molécule, la première fibre, la première poussière». Fixer des seuils n'a donc pas de sens et ceux-ci pourraient même être «utilisés comme une permission d'exposition», prévient-elle.

La chercheuse a piloté pendant plus de dix ans une enquête baptisée «Giscop», qui reconstitue, avec trois hôpitaux de Seine Saint-Denis, le parcours professionnel de patients atteints d'un cancer.

«Sur 1200 patients, 84% de personnes ont été lourdement exposées à des cancérogènes, souvent en poly-exposition sur des durées supérieures à 20 ans», relève-t-elle.

Et Mme Thébaud-Mony s'insurge: comme avec l'amiante, le délai de latence entre l'exposition aux produits et la maladie «est mis à profit» alors que «les produits sont connus, les employeurs les connaissent et ils ont une obligation de sécurité».

«Quand on expose quelqu'un à un produit mortel», c'est de l'ordre de la «criminalité», dit-elle.