Il nous arrive tous de nous sentir plus stressés, plus anxieux, particulièrement à la rentrée: nouvel horaire, nouveaux cours, accompagnement du plus jeune à l'école... Ou lors d'un nouvel emploi, d'un examen ou encore, au moment de prendre la parole en public. Mais si les situations de la vie quotidienne vous rendent anxieux au point d'en ressentir de la souffrance, il vaut mieux consulter.

Il est parfois difficile de tracer la ligne entre ce qu'est l'anxiété «normale, raisonnable» et l'anxiété généralisée, celle qui cause des souffrances en permanence. «Les gens souffrant du trouble d'anxiété généralisée (TAG) ont une incapacité à vivre dans la zone grise. Ils peuvent avoir peur de mourir, peur d'être malades ou qu'un proche le devienne, peur de perdre le contrôle», explique Camillio Zacchia, chef professionnel en psychologie de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas.Louise Lessard, 58 ans, a vécu de l'anxiété toute sa vie. Elle considérait cela comme un trait de sa personnalité. «Avec le recul, je constate que j'ai toujours été très anxieuse, trop parfois, raconte-t-elle. Les enfants me disaient souvent de me calmer. S'ils retardaient de cinq minutes, j'imaginais le pire scénario catastrophique.»Mère de trois enfants, Louise a aussi eu une vie professionnelle très active dans le milieu de l'enseignement. C'est à partir de l'âge de 50 ans qu'elle a commencé à éprouver des troubles de santé sérieux. L'événement déclencheur: une situation familiale difficile suivie de la mort de sa mère et de sa meilleure amie. «Après un arrêt de travail pour burn-out, le retour ne s'est pas passé comme prévu, dit-elle. Je n'arrivais pas à reprendre le dessus. Malgré la thérapie et la médication, j'allais de plus en plus mal et je suis retombée en décembre 2006. J'ai dû prendre ma retraite prématurément l'année dernière. Ce n'est qu'en 2007 que le diagnostic de trouble d'anxiété généralisée a été posé.»Comme Stefie Shock, Louise a décidé d'en parler publiquement parce qu'elle considère que «ce n'est pas pire que d'avoir le cancer ou le diabète». Elle aurait bien aimé que le diagnostic soit posé plus tôt. «Cela m'aurait évité tant de souffrances. Si j'avais su avant, sans doute que je ne me serais pas autant détériorée.» Louise a suivi une thérapie comportementale et consulte un psychiatre. «Je dois maintenant reconstruire ma vie, organiser mon temps et essayer de voir les événements autrement», souligne-t-elle.C'est quoi le TAG?La définition du trouble d'anxiété généralisée (TAG) est restée vague et controversée pendant de nombreuses années. On parlait davantage d'angoisse. En 1980, le TAG a été officiellement reconnu, mais ce n'est qu'en 1994 que l'on trouve une description précise de ce trouble dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, qui classe les comportement anormaux selon des critères précis.On estime qu'environ 6% de la population souffre du TAG qui se décrit ainsi: présence d'inquiétudes excessives et difficiles à contrôler, survenant plus d'une journée sur deux et ce, depuis au moins six mois. Il se caractérise également par la présence d'au moins trois des six manifestations somatiques suivantes: agitation ou sensation d'être survolté ou à bout; fatigue; difficulté de concentration; irritabilité; tension musculaire; perturbation du sommeil. Les personnes aux prises avec ce trouble ont toujours l'impression qu'un problème ou un malheur peut survenir. Les inquiétudes concernent souvent leur santé et celle de leurs proches. Elles anticipent toujours le pire. Les craintes prennent surtout la forme de pensées plutôt que d'images.Parmi les autres troubles anxieux, il y a le trouble panique, le trouble d'anxiété sociale, la phobie spécifique (concernant surtout des objets), le trouble obsessif compulsif et le stress post-traumatique. Les personnes qui souffrent du TAG peuvent avoir un autre trouble anxieux.Difficile à diagnostiquerLe trouble d'anxiété généralisé se manifeste souvent par des symptômes physiques comme des palpitations, des douleurs thoraciques, des tremblements et des maux de tête. Des malaises qui amènent souvent les personnes à consulter et faire parfois le tour de plusieurs cliniques avant d'avoir un diagnostic clair.Les symptômes peuvent durer jusqu'à 15 ans avant qu'ils ne soient détectés. Le diagnostic est parfois posé à la suite d'une crise majeure provoquée par un élément déclencheur (décès, séparation, etc.). Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souffrir de ce trouble, bien que ceux-ci osent moins en parler. Socialement, ce serait encore moins bien vu dans leur cas.Le TAG entraîne dans certains cas une consommation d'alcool ou d'autres substances «dans le but de calmer cette anxiété», explique Pascale Brillon, psychologue à la Clinique des troubles anxieux de l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal.La dépressionJean Blouin, 46 ans, a été diagnostiqué en 2007. Il souffre du TAG et du trouble panique. Père de deux adolescentes dont il a la garde depuis 13 ans, il a commencé à vivre des crises d'anxiété et des attaques de panique il y a deux ans. «Les premières fois, je pensais que c'était un problème cardiaque à cause des douleurs thoraciques, de l'étouffement, raconte-t-il. J'ai consulté un cardiologue et un pneumologue et j'ai subi une batterie de tests, tous jugés négatifs. Mais les crises ne cessaient pas pour autant.» Au travail, il subissait alors une forte pression. «J'ai eu un premier arrêt d'un mois. J'ai consulté le psychologue du programme d'aide aux employés. De retour au boulot et face à des dossiers plus lourds à gérer, les symptômes ont repris de plus belle.» Résultat: deuxième arrêt de travail en mai 2007 d'une durée d'un an cette fois.Dirigé vers un psychiatre, il a appris qu'il souffrait non seulement de trouble d'anxiété généralisée et de trouble panique, mais aussi d'épisodes de dépression majeure.D'après les spécialistes, la moitié des personnes souffrant du TAG feront une dépression. Cela se produit parce que le diagnostic arrive souvent trop tardivement. «J'avais des idées noires, pas pour mourir vraiment, reconnaît-il avec le recul, mais pour que ces souffrances cessent.»Médication et psychothérapie lui ont été prescrites. Pour améliorer son état, il fait aussi des exercices de relaxation, pratique des sports et s'adonne à la photographie. Inscrit à des groupes d'entraide à Revivre, il amorcera une seconde thérapie afin d'acquérir d'autres outils pour l'aider à faire face aux situations anxiogènes.Jean a repris le travail progressivement. «Pas facile, car je manque encore de concentration même si la dépression est guérie.» Lui aussi souhaite que son témoignage serve à sensibiliser le public. «J'ai crié au secours six mois. Pourquoi a-t-il fallu que je me retrouve si malade, jusqu'en dépression? La gravité pourrait être amoindrie si on était traité au début.»»Le diagnostic a été un soulagement»Sylvie a toujours été anxieuse. En 2006, à la croisée des chemins, alors qu'elle vit une rupture et qu'elle n'a plus de travail, elle craque. «Je vivais une insécurité et je n'arrivais pas à la verbaliser. Je faisais des crises de larmes, des crises de panique», se rappelle-t-elle. Malgré la prise d'antidépresseurs, elle n'arrive pas à s'en sortir. En crise aiguë, elle se présente aux urgences d'un hôpital. On la dirige en psychiatrie où elle apprend qu'elle souffre du TAG et de cyclothymie (caractérisée par des troubles de l'humeur). «Le diagnostic a été ressenti comme un soulagement parce que cela confirmait ce que je vivais depuis longtemps sans le savoir et à la fois, cela créait de l'incertitude.»Le plus important actuellement pour Sylvie, qui a suivi une thérapie et a trouvé de l'aide à Revivre, est de vivre le moment présent. «Avant je voyais cela comme une grosse affaire, j'étais le diagnostic. Maintenant, je prends cela au fur et à mesure. Je suis plus fonctionnelle, c'est comme pouvoir nager la tête hors de l'eau.»LES CAUSESLe trouble d'anxiété généralisée (TAG) a des causes diverses et variables selon les individus. L'ensemble des études suggère que des prédispositions génétiques seraient responsables dans une proportion de 15%. Il y a aussi l'hypothèse familiale: comme on apprend de nos parents, on peut apprendre à être anxieux (»Ne fais pas ça, c'est dangereux; attention, tu peux te faire mal»). De plus, les moments difficiles de la vie rendent plus fragile.Et que penser du rôle de la sérotonine? Michel Dugas, psychologue et chercheur au Laboratoire des troubles anxieux de l'Université Concordia, apporte une nuance concernant le dérèglement des neurotransmetteurs comme la sérotonine. «Ce n'est pas clair que c'est la cause ou la conséquence, dit-il. Il est faux de dire que si un médicament change l'action des neurotransmetteurs et si la personne se sent mieux, ça prouve que c'est la cause. Car rien ne prouve que le dérèglement a précédé le trouble anxieux. Ça prouve seulement que lorsque le dérèglement est réparé, l'anxiété diminue. Mais est-ce que le dérèglement était là avant? Ce n'est pas aussi clairement établi.»LA RELAXATIONLa méthode de relaxation appliquée ou musculaire est efficace et peut être profitable. Par contre, des données provenant de la plus récente étude de l'équipe du psychologue-chercheur Michel Dugas (dont la présentation sera faite en novembre prochain) viennent nuancer ces bienfaits. «Si on offre une thérapie cognitive et comportementale (TCC) sans relaxation, c'est aussi très efficace et les symptômes physiques de l'anxiété diminuent, dit-il. Ce qui amène à croire que les deux formes de thérapie sont efficaces, mais la TCC a un certain avantage à long terme, particulièrement sur la tendance à s'inquiéter.» Il est aussi reconnu que certaines activités artistiques ou de détente, comme le yoga, apportent des bienfaits complémentaires à la thérapie.THÉRAPIE, LA SOLUTION?La prise d'antidépresseurs comme le Zoloft ou le Prozac est efficace à court terme. Le traitement le plus prometteur, à moyen et long terme selon les spécialistes, est la thérapie cognitive et comportementale (TCC), qui modifie les attitudes inadéquates et dont l'efficacité a été mesurée et analysée.Une fois le diagnostic posé, la personne doit apprendre à contrer la tendance à l'évitement, comprendre que les réactions ressenties ne posent pas de danger et trouver des façons de mieux contrôler la situation. Comment? «On apprend aux gens à se bâtir une boîte à outils pour s'auto-apaiser, à faire face aux situations anxiogènes de la vie, à se faire confiance, s'encourager et réussir», explique la psychologue-chercheuse Pascale Brillon. La TCC dure en moyenne de 12 à 14 semaines, en séance hebdomadaire, individuelle ou de groupe.Cette thérapie est offerte par de nombreux psychologues dans les cliniques des troubles anxieux et dans les cabinets privés.L'équipe dirigée par Michel Dugas a réalisé quatre études qui confirment que 75% des personnes ayant un TAG comme trouble anxieux principal sont en rémission complète après la thérapie et qu'elles continuent de s'améliorer après deux ans. Et environ 25% des personnes ont encore un TAG mais de niveau moindre. L'équipe poursuit actuellement une étude afin justement d'analyser ces différences.Pour participer à cette étude et entreprendre la thérapie, il faut contacter le Laboratoire des troubles anxieux de l'Université Concordia au 514-848-2424. poste 5085.