La fromagerie Île-aux-Grues amorce un virage important cet automne avec le lancement non pas d'un, mais de six nouveaux fromages fins. Le cheddar, son produit phare, passerait bientôt au second plan de la production.

Six? Oui. Alors qu'une fromagerie se concentre généralement sur le lancement d'un et un seul produit à la fois, rarement plus d'une fois par année, la fromagerie Île-aux-Grues a mis le paquet cet automne pour se repositionner sur le marché des fromages artisanaux. Loin des cheddars qui l'ont fait connaître dès sa fondation, en 1976, la fromagerie mise cette fois sur des préparations à pâte molle, surtout, et à croûte fleurie ou lavée. Une décision essentiellement motivée par des considérations économiques, explique Daniel Leduc, directeur général de la coopérative.

«Il est de plus en plus difficile de produire du cheddar en concurrence avec de gros industriels qui transforment des quantités de lait nettement plus importantes.»

Or, la fromagerie n'avait pas la possibilité d'augmenter la quantité de cheddar produit puisqu'elle n'utilise que le lait produit dans l'île (elle a d'ailleurs été créée expressément pour écouler les surplus insulaires). C'est donc vers des «produits à plus grande valeur ajoutée» que la direction s'est tournée, indique Daniel Leduc. On espère aussi être en meilleure position pour faire face à l'afflux de fromages européens dans la foulée du nouvel accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, qui permet l'importation de 16 000 tonnes de fromage de plus.

Investissement et embauche

Un quart de million de dollars ont été investis à ce jour dans l'aventure. Un expert français a été recruté pour épauler l'équipe québécoise dans la mise au point des recettes et former la fromagère en résidence, puis résoudre certains problèmes de constance dans la production du Riopelle ces deux dernières années. Le peintre Marc Séguin (copropriétaire de l'île aux Oies, reliée par les battures à l'île aux Grues) a été recruté pour dessiner les étiquettes de l'une de ces nouveautés, le Bête à Séguin, une pâte molle à croûte fleurie affinée 60 jours. Pour la première fois de son histoire, la fromagerie produira une pâte persillée qui tient à la fois de la fourme d'Ambert et du gorgonzola. «Et ce n'est que la première phase», prévient Daniel Leduc.

Dans une deuxième phase, la direction aimerait faire augmenter le ratio de fromages fins à 60 % de la production totale, comparativement à 50 % cet automne, et ramener la quantité de lait transformé au niveau de 2013, soit 3 millions de litres, comparativement à 2 millions en 2018. D'autres nouveautés sont à prévoir, dit-il, pour asseoir la position de la coopérative dans le créneau des fromages fins.

Dans le lot des nouveautés, le Bête à Séguin est celui qui semble recevoir le meilleur accueil du public, remarque-t-on en boutique. «La qualité des fromages reçus ces deux dernières semaines était très, très belle», dit Gilles Jourdennais, de la fromagerie Atwater.

Max Dubois, à Saint-Lambert, est d'avis que le Bécart de l'Isle est une pâte persillée «intéressante, qui a sa place dans les bleus du Québec, plus crémeux que les autres déjà offerts», quoique l'ensemble des produits soit «assez accessible». «C'est vendeur, cela devrait bien marcher en Ontario et dans le reste du Canada, mais cela ne s'adresse pas nécessairement à un palais qui est très initié à des fromages plus goûteux». Reste à savoir, aussi, si les commerçants trouveront de la place dans leurs comptoirs pour six nouveaux fromages d'une même maison ou s'ils choisiront plutôt de les offrir en rotation.

Les six nouveaux fromages d'Île-aux-Grues pour l'automne 2018

- Bécart de l'Isle

- Bête à Séguin

- Cheval noir de l'Isle

- Curé Quertier de l'Isle

- Hauts Marais de l'Isle

- Houblonneux de l'Isle