Un jeu vidéo peut-il porter «atteinte à l'honneur» d'une personne? La justice française examine mercredi le recours de la famille de l'ancien chef rebelle angolais Jonas Savimbi, qui estime que le jeu à succès Call of Duty représente leur père en «brute barbare».

«Le voir tuer des gens, couper le bras de quelqu'un... ça ne correspond pas à papa»: lorsque Cheya Savimbi, 42 ans, découvre par hasard le visage de son père dans l'opus Black Ops II sorti en 2012, c'est le «choc».

Leurs réclamations restées vaines, trois des enfants Savimbi, dont Cheya, installés en région parisienne, ont alors assigné en diffamation la branche française basée à Levallois-Perret (région parisienne) de l'éditeur américain du jeu de tir et de guerre, souvent décrié pour sa violence, Activision Blizzard.

Devant le juge civil du tribunal de Nanterre, à l'ouest de Paris, ils demanderont le retrait de la version du jeu incriminée et un million d'euros de dommages et intérêts. Mais «la question n'est pas l'argent», jure Cheya Savimbi: «il s'agit de réhabiliter la mémoire et l'image» de son père.

Seigneur de guerre aussi charismatique que controversé, Jonas Savimbi, surnommé le «coq noir», a dirigé d'une main de fer les rebelles de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) lors du conflit contre le colonisateur portugais puis lors de la guerre civile qui a déchiré le pays à partir de 1975.

Fils d'un pasteur protestant, de formation maoïste, mais longtemps allié des États-Unis contre le régime pro-communiste du Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), il était presque toujours vêtu de son uniforme, revolver à la hanche. Sa mort au combat en 2002 avait mis un terme à 27 ans de conflit, permettant la signature d'un cessez-le-feu.

Dix ans plus tard, c'est en béret rouge et tenue militaire que Savimbi refait surface en allié du héros de Call of Duty, Alex Mason, et dans son rôle de chef de guerre face au MPLA: dans une des séquences, il apparaît dans le feu des rafales ennemies, haranguant ses troupes depuis un char, lance-grenades à la main, aux cris de: «Il faut les achever!»

«Ami» de Mandela

Pour la famille, cette mise en scène «outrancière» élude sa personnalité de «stratège» et de «leader politique». «Chef de guerre, oui», mais pas seulement: «ami» de Nelson Mandela, «il a été un personnage important de la Guerre froide, il était défendu par les grands de ce monde, comme (Ronald) Reagan», assure l'avocate des enfants, Carole Enfert.

En face, la défense de Call of Duty argue que Savimbi a été représenté «pour ce qu'il était»: un «personnage de l'histoire angolaise», «un chef de guérilla qui combat le MPLA», résume l'avocat d'Activision, Étienne Kowalski. D'autant que, relève-t-il, Savimbi apparaît sous un jour «plutôt favorable», en «gentil» allié du héros. Au-delà du fond, l'avocat entend par ailleurs plaider la prescription des faits.

En Angola, l'affaire a eu un certain retentissement dans de nombreux médias et a même ému au sein du principal parti de l'opposition, l'Unita, qui considère toujours Savimbi comme un héros national.

À ce jour, la justice française n'a semble-t-il jamais eu à se saisir de cas de diffamation dans les jeux vidéo. Or pour Me Enfert, l'affaire Savimbi peut concerner «tout le monde»: «un jeu vidéo peut vous prendre votre nom, votre visage et remettre en cause votre notoriété».

Avec 250 millions d'exemplaires écoulés dans le monde depuis sa création en 2003, Call of Duty a déjà mis en scène Fidel Castro, John F. Kennedy ou encore l'ex-dictateur déchu du Panama Manuel Noriega, 81 ans.

Ce dernier avait déclaré la guerre au jeu culte, l'accusant de voler son image et de l'incarner en traître patibulaire. En vain: la justice américaine avait rejeté sa plainte en 2014. Une «victoire» pour la liberté d'expression avait alors salué Activision.