Avec Iga Świątek, il n’est pas seulement question d’un talent qui domine sa génération. Il est question d’une championne intemporelle. Nul doute qu’en étant sacrée championne de Roland-Garros en vertu d’un gain de 6-2 et 6-1 en finale, samedi, la Polonaise de tout juste 23 ans fait déjà partie des plus grandes.

Habituellement, lorsqu’on calcule la durée d’un match de tennis en minutes plutôt qu’en heures, c’est en raison soit d’un abandon, soit d’une domination. Dans le cas de cette finale entre Świątek et Jasmine Paolini, on a affaire au second scénario.

Soixante-huit minutes auront suffi à la numéro un mondiale pour se débarrasser de la dernière joueuse la séparant d’un autre titre sur le sable rouge du court Philippe-Chatrier.

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Iga Świątek

Cette analyse sera fort simple, car plus on approche de la perfection, moins les mots importent.

Świątek ne dispose pas de la puissance exceptionnelle d’Aryna Sabalenka. Elle ne peut s’appuyer non plus sur la fougue dévastatrice de Coco Gauff. Et même si son jeu, dans l’ensemble, n’a rien de visuellement spectaculaire ou de fondamentalement explosif, la championne se distingue des autres par sa seule faculté de gagner les matchs les plus importants sans broncher.

Sur le plan technique et tactique, Świątek ne fait pas tout de manière impeccable, mais elle ne fait rien de mal. Et c’est la grande différence entre elle et toutes les autres joueuses déterminées à prendre sa place. Même si aucune n’a encore trouvé la solution pour la déloger de son trône.

« C’est le défi le plus imposant qui soit de t’affronter ici », a lancé Paolini à sa tombeuse sur la scène assemblée après la rencontre.

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À gauche, Jasmine Paolini

Dans les faits, les données de Świątek lors de cette finale n’ont rien de remarquable : 62 % de ses premiers services réussis, 69 % de points gagnés en première balle, 56 % en balles de bris et seulement 5 coups gagnants de plus que de fautes directes.

Cela dit, avec Świątek, tout est dans la manière. Même si le résultat importe souvent davantage dans son cas. Brisée à son deuxième jeu au service, la droitière a brisé Paolini le jeu suivant pour ne plus jamais être réellement embêtée. Sans artifice et sans extravagance, la Polonaise a filé vers un autre titre. L’Italienne a retourné du revers le dernier service du match derrière la ligne de fond et Świątek a pu célébrer un autre triomphe.

Dans l’histoire

À 23 ans et 9 jours, Świątek est devenue la plus jeune joueuse à gagner quatre fois le seul tournoi du Grand Chelem disputé sur terre battue. Pour la troisième fois de suite, elle a terminé la compétition avec le trophée au bout des bras.

En étant seule dans sa catégorie, la chasse au record peut officiellement s’entamer pour la championne. Elle n’est plus qu’à trois titres de Chris Evert, tenante du record de titres à Roland-Garros avec sept.

Świątek a soufflé ses 23 bougies le 31 mai dernier et elle vient de décrocher son quatrième titre à sa sixième participation au tournoi de Paris.

Une moyenne favorisant drôlement les pronostics. Avant de franchir la trentaine, elle pourrait devenir la joueuse de tennis la plus titrée de Roland-Garros.

Il s’agit aussi, en quelque sorte, d’une passation des pouvoirs. Rafael Nadal, éliminé dès le premier tour, a été évasif lorsqu’il a été question de son avenir. Mais les fins renards auront compris que l’édition 2024 ressemblait à son dernier tour de piste au tournoi qu’il a remporté à 14 reprises.

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Rafael Nadal après sa défaite contre Alexander Zverev au 1er tour.

Métaphoriquement, ce sacre de Świątek, c’est un peu comme si Nadal venait de remettre les clés de la maison à la nouvelle propriétaire du court central. Personne n’excelle sur cette surface comme elle le fait, et parions qu’elle prendra soin du legs offert par l’Espagnol.

Cette année, elle avait gagné deux des trois tournois sur terre battue disputés avant Roland-Garros. Porte d’Auteuil, elle a perdu une seule manche, et ce, à son deuxième match face à Naomi Osaka. Sinon, elle a remporté tous ses duels en deux manches sans jamais céder plus de quatre jeux à ses opposantes.

Le parcours de Paolini

Complètement aux antipodes, Paolini entre dans le top 10 pour la première fois de sa carrière à 28 ans.

L’Italienne a connu un tournoi délirant. Auparavant, elle avait remporté seulement deux tournois en carrière. En Slovénie en 2021 et à Dubaï il y a quelques mois. Les deux titres acquis sur le dur.

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Jasmine Paolini

Malgré son manque d’expérience dans un contexte de finale de tournoi du Grand Chelem, Paolini n’a jamais paru intimidée par Świątek. Dès le début du match, elle a fait comprendre à son adversaire que la peur, la crainte et le sentiment d’infériorité ne seraient pas des facteurs. Elle a été offensive en entame de première manche, sauvant même une balle de bris dès le deuxième jeu.

Même après avoir perdu la première manche, elle a commencé la seconde avec aplomb. Elle a été combative et provocatrice. Peut-être un peu trop. En tentant de déstabiliser Świątek, Paolini est sortie de son jeu habituel. Elle a forcé les erreurs et elle a tenté de trop en faire. Elle a commis 11 de ses 18 fautes directes dans le set ultime.

On ne peut toutefois pas reprocher cette tactique à Paolini. Contre la meilleure au monde, il faut tenter.

Il faut viser les lignes et il faut provoquer un changement de rythme. Ça n’a pas fonctionné, samedi, mais il sera intéressant de voir la suite.

Fera-t-elle comme Jelena Ostapenko, Francesca Schiavone et Anastasia Myskina, qui ont gagné Roland-Garros avant de s’effacer par la suite ?

Dur à dire à ce stade-ci. La réalité étant qu’en disposant de Bianca Andreescu, Elena Rybakina et Mirra Andreeva pour se rendre en finale, elle a prouvé qu’elle avait les attributs nécessaires pour éviter de tomber dans le piège des joueuses nommées dans le paragraphe précédent.

« J’ai perdu, mais je suis fière de moi », a-t-elle déclaré après le match.

Son parcours a été inspirant, ces deux dernières semaines, mais ça aurait été un coup de théâtre monumental de renverser Świątek en finale. Ça aurait été un peu comme chambouler le cours de l’histoire.