Il n’y a rien de plus poétique et de plus gracieux sur un terrain de tennis qu’un revers à une main exécuté à la perfection. Toutefois, comme les placeurs de quilles, les joueurs au revers à une main sont presque complètement disparus. Un phénomène facile à expliquer, mais plus difficile à accepter.

En 1994, ils étaient 4 joueurs du top 10 à frapper leur revers à une main. En 2004, ils étaient rendus trois. En 2014, ils n’étaient plus que deux. Et grâce à sa finale à Miami la semaine dernière, Grigor Dimitrov a sauvé l’honneur de ses semblables en se réinvitant dans le top 10. Il n’y en avait plus un seul dans les semaines précédentes.

Ils ne sont plus que 11 dans les 100 meilleurs du classement de l’ATP. Du nombre, Dimitrov, Stan Wawrinka et Dominic Thiem sont au bord de la retraite. Les joueurs au revers à une main sont une espèce en voie de disparition. Parmi les survivants, on trouve le Canadien Denis Shapovalov. Ce coup signature est devenu sa marque de commerce. Celui que les bulletins de nouvelles ont utilisé à moult reprises pour illustrer les faits saillants de ses matchs.

Le joueur de 24 ans décrit les survivants à cette tendance un peu comme il expliquerait la sélection naturelle ou la théorie de l’évolution : seuls les plus forts survivent.

Je pense que le jeu a juste grandement évolué. Les joueurs frappent plus fort, ils sont plus gros, c’est juste plus compliqué de travailler avec un revers à une main.

Denis Shapovalov

Le 121e joueur mondial refuse de croire à la disparition complète des joueurs de son espèce. « Ce sera plus rare », reconnaît-il de Houston au téléphone, mais ce sera toujours une question de préférence. « Les gens qui jouent à une main, c’est parce qu’ils sont plus naturels. »

Robby Ménard, entraîneur certifié, expert des statistiques avancées et analyste ayant travaillé avec certains des meilleurs joueurs au monde, évoque quant à lui des raisons biométriques pour expliquer le déclin des revers à une main.

La zone de confort pour les athlètes utilisant un revers à deux mains se trouve entre l’épaule et la hanche. Tandis que celle pour les joueurs ayant un revers à une main se situe entre le pectoral et la hanche.

« Il y a donc une perte de quatre à six pouces pour les joueurs favorisant le revers à une main. Et c’est une différence importante considérant la force de frappe des joueurs aujourd’hui », explique-t-il.

À son avis, l’absence de modèles comme Roger Federer ou Pete Sampras nuira à long terme à la prospérité de ce coup magistral.

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Le revers à une main de Roger Federer, maintenant à la retraite, aura été un modèle du genre.

L’éducation

Les entraîneurs ont également un rôle à jouer dans la survie du revers à une main. Dans tous les sports, non seulement au tennis, les instructeurs tentent de formater les jeunes athlètes au maximum pour les développer le plus rapidement possible.

En portant attention aux détails, on se rend compte qu’à l’exception de quelques cas, tous les jeunes hockeyeurs patinent de la même manière, que tous les golfeurs s’élancent de la même manière et que tous les joueurs de tennis frappent de la même manière.

« On vit dans une société impatiente, indique Ménard. Pour arriver au succès plus tôt, on entraîne les joueurs avec des revers à deux mains. »

Toutefois, une tonne d’éléments sur lesquels peu de gens prennent le temps de se pencher pourrait faire en sorte qu’un jeune se sente plus à l’aise avec un revers à une main.

D’abord, l’œil dominant. « Si c’est l’œil avant, ça favorise un revers à une main. Si c’est l’œil arrière, ça favorise un revers à deux mains », précise l’expert.

Ensuite, il fait mention du « timing naturel ». La clé, selon lui, pour réussir un revers de qualité comme celui de Wawrinka, « le meilleur revers au monde ».

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Stanislas Wawrinka

Puis, la personnalité du joueur. « Il faut que le revers vienne avec une personnalité. Avant d’enseigner le revers à une main à un joueur, je regarde comment il est comme personne. Il faut qu’il aime prendre des risques, qu’il aime jouer, qu’il ait l’instinct, l’explosivité et la patience. […] J’espère que les entraîneurs n’iront pas avec la tendance, mais avec la personnalité. »

D’après lui, Shapovalov est l’exemple parfait d’une combinaison gagnante entre personnalité et technique. « Denis s’exprime grâce à son revers. Il a du fun ! »

D’ailleurs, le gaucher en a marre de voir les entraîneurs tenter de standardiser la technique des joueurs. « Je crois que ça revient vraiment aux joueurs de décider, en fonction de leurs sensations. »

Le revers à une main lui allait naturellement dès son plus jeune âge. Il s’est écouté, il a persisté, et son curriculum vitæ a fini par lui donner raison.

« Je ne pense pas que j’aurais accompli autant de choses sans un revers à une main. Rien n’aurait été pareil », raconte l’ancien 10e mondial.

Les avantages

Roger Federer, Pete Sampras et Ivan Lendl ont partagé 32 titres majeurs en jouant avec des revers à une main. Même si Federer a souvent évoqué qu’à retourner dans le passé, il choisirait un revers à deux mains, il doit bien y avoir des avantages pour que des jeunes comme Shapovalov, Stefanos Tsitsipas et Lorenzo Musetti l’utilisent encore.

« Certains sont plus à l’aise avec un revers à deux mains et d’autres se sentent moins coincés avec un revers à une main », répond Shapovalov, d’une part.

D’autre part, il fait allusion à la puissance décontractée exprimée par un coup à une main avec le bras et le torse en pleine expansion : « Je pense que ça permet de jouer plus agressivement, d’avoir plus de coups et d’avoir des frappes plus lourdes. Avec deux mains tu es plus restreint. Il y a peut-être plus de contrôle, mais il n’y a pas l’effet élastique du revers à une main. »

Parmi les élèves de Ménard aspirant à faire partie de l’élite, il y en a « 1 ou 2 sur 40 » qui s’expriment à une main. Il constate le changement de paradigme chaque jour à l’entraînement.

Un paradigme qu’on pourrait appeler également une nouvelle réalité.