Les meilleurs joueurs au monde s’apprêtent à fouler la terre rouge de Roland-Garros alors que s’amorce, ce dimanche, le deuxième Grand Chelem de la saison. Les principales têtes d’affiche du Canada y seront, dont Bianca Andreescu, qui cherche à confirmer son retour en forme, et Gabriela Dabrowski, qui s’est récemment hissée parmi les meilleures joueuses de double de la planète. Tour d’horizon avec Nicholas Richard.

Bianca Andreescu : retour réussi, mission en cours

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Bianca Andreescu s’apprête à disputer à Roland-Garros son premier tournoi majeur depuis les Internationaux des États-Unis en septembre 2021.

Bianca Andreescu avait passé six mois sans compétitionner. Elle est revenue au jeu il y a quelques semaines sur terre battue, la surface la plus difficile à maîtriser. Avec trois tournois en poche, elle entamera Roland-Garros avec le goût de vaincre, à nouveau.

Les doutes étaient nombreux et légitimes à l’égard du retour d’Andreescu. Habituée des blessures et en plein cœur de la saison de terre battue, la Canadienne était elle-même ambivalente, mais fébrile, juste avant de renouer avec l’action.

À Stuttgart, en Allemagne, elle a remporté son premier match, mais s’est inclinée devant Aryna Sabalenka, troisième tête de série. Néanmoins, l’Ontarienne de 21 ans a livré une bataille admirable et montré énormément de caractère lors de ce match en trois actes.

À Madrid, en Espagne, elle s’est rendue en ronde des 16. Elle a disposé d’Alison Riske, une cliente imprévisible au premier tour, puis de Danielle Collins, finaliste des derniers Internationaux d’Australie et huitième mondiale. Elle a baissé pavillon face à l’une des meilleures joueuses du moment et future finaliste du tournoi, l’Américaine Jessica Pegula.

À Rome, elle a été splendide en ayant le meilleur sur Emma Raducanu, Nuria Parrizaz Diaz et Petra Martic, avant de s’incliner devant Iga Swiatek, meilleure joueuse au monde, en quarts de finale. Elle a toutefois livré une furieuse opposition à la future gagnante du tournoi.

Chaque match disputé depuis son retour a été bénéfique pour la gagnante des Internationaux des États-Unis en 2019. De son propre aveu, ils lui ont donné beaucoup de confiance et elle a pu apprendre énormément sur elle-même. Elle a même affirmé que son retour avait été plus facile qu’elle ne l’avait espéré sur le plan physique. Elle constate n’avoir jamais pu profiter d’une aussi longue période de préparation et ça fait, à son avis, une immense différence. Sa tenue physique est d’ailleurs ce qui la rend la plus fière depuis trois semaines.

« Mon match contre Collins m’a prouvé que je pouvais élever mon niveau, comme c’était le cas auparavant, et c’est peut-être encore mieux aujourd’hui », a-t-elle expliqué, à peine débarquée à Rome, juste avant le tournoi.

Maintenant qu’elle sait que son corps peut tenir le coup, elle doit réapprendre à gérer ses parties. Bien contrôler ses émotions sera la clé si elle souhaite connaître du succès sur la terre parisienne. Pour illustrer sa pensée, elle se rappelle notamment son match contre Pegula :

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Bianca Andreescu au tournoi de Rome

C’était très difficile, mais j’ai senti que mes émotions ont pris le dessus. Je jouais bien, mais ça s’est plus joué dans ma tête. De jouer ce match m’a permis de me recentrer sur moi-même et m’a aidée à comprendre que je ne devais pas dépendre de mes émotions.

Bianca Andreescu

Somme toute, affronter quatre joueuses du top 15 mondial à ses six premiers matchs après un long retour s’est révélé extrêmement positif pour Andreeescu. En matière de préparation, elle n’aurait pu espérer mieux. Ces matchs ont aussi été une bonne manière de se comparer et ils ont aussi servi d’indicateurs, car la Canadienne veut réintégrer les plus hautes sphères du classement avant longtemps. « Je sens que j’élève mon niveau quand je joue contre des filles très bien classées. Je sens que mon niveau se rapproche d’elles. »

De retour en Grand Chelem

Bianca Andreescu s’apprête à disputer son premier tournoi majeur depuis les Internationaux des États-Unis en septembre 2021.

Andreescu a déjà remporté un titre à Roland-Garros. C’est en 2017, en double, chez les juniors, avec son amie Carson Branstine. C’était son premier titre majeur. Même si ce n’est peut-être pas sa surface de prédilection, l’athlète de 21 ans affirme adorer jouer sur la terre battue.

Cette surface ayant ses particularités propres, comme être plus lente, plus mordante et plus propice aux effets, les joueuses rapides et plus défensives sont habituellement avantagées. Cependant, même si Andreescu est une joueuse plus agressive et qui aime avancer dans le terrain, elle se plaît sur le sable rouge de Paris et la terre battue en général.

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Iga Swiatek, gagnante du tournoi de Rome le 15 mai dernier

Jouer un tournoi du Grand Chelem n’est jamais simple et ce l’est de moins en moins étant donné la quantité de joueuses talentueuses qui peuvent aspirer au titre, surtout en 2022. La Polonaise Iga Swiatek est dans une classe à part depuis la fin de l’hiver, certes, et la terre battue est sa surface favorite. Sauf que pas moins d’une demi-douzaine de joueuses ont d’excellentes chances d’enlever les honneurs à Roland-Garros. Comme d’habitude, le classement féminin bouge énormément, mais cette saison, le talent émerge de manière fulgurante. Toutes les joueuses semblent être meilleures et le niveau paraît plus relevé que jamais.

« Le niveau est très relevé, mais je ne dirais pas qu’il est plus élevé ou plus faible qu’auparavant », relance Andreescu.

J’ai l’impression qu’il y a plus de variété et le niveau est plus égal. Avant, par exemple, il y avait Serena et Venus [Williams] qui dominaient et qui étaient seules dans leur catégorie. C’est incroyable, ce qu’elles ont fait ensemble. En revanche, la variété actuelle est très bonne pour le tennis féminin. C’est plus divertissant pour les amateurs et je crois que c’est bon pour le sport.

Bianca Andreescu

Au-delà de ses performances et d’un retour progressif à un classement plus représentatif de son talent, Bianca Andreescu a retrouvé le plaisir de jouer au tennis, et c’est ce qu’elle souhaitait depuis un bail. Sur le terrain, elle ressemble étrangement à la joueuse qui avait gagné Indian Wells, la Coupe Rogers et les Internationaux des États-Unis en 2019. Lorsqu’on y fait allusion, Andreescu semble un peu gênée, mais heureuse, à l’autre bout du téléphone : « C’est plaisant d’entendre ça, ça veut dire que mon plan fonctionne. »

Gabriela Dabrowski : les deux pieds sur terre

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La Canadienne Gabriela Dabrowski s’est hissée parmi les meilleures joueuses de double au monde.

Même si elle vient de remporter le titre en double à Madrid, qu’elle a atteint la finale du tournoi de Rome la semaine dernière et que son duo est parmi les favoris à l’approche de Roland-Garros, Gabriela Dabrowski garde la tête froide, parce que tout est toujours à recommencer, surtout en double.

Dabrowski et sa partenaire Giuliana Olmos participaient à leur neuvième tournoi ensemble à Madrid. C’est un travail de longue haleine qui a été récompensé en Espagne et qui a permis à la native d’Ottawa de remporter son 11titre en carrière.

« Avec Giugiu, on travaille vraiment bien ensemble, je dirais depuis Indian Wells. On a eu un dur début de saison, mais je pense que ça va de mieux en mieux », a expliqué Dabrowski tout juste après un entraînement à Rome, avant de disputer son premier match au tournoi italien.

Ce petit creux de vague n’a cependant pas été à l’image de la dernière année de Dabrowski. En 2021, elle a gagné l’Omnium Banque Nationale à Montréal, en plus d’être finaliste aux tournois de Madrid, San Jose et Cincinnati. Cette année, avant de triompher en Espagne, elle était membre de l’équipe canadienne qui a permis à l’unifolié de se qualifier pour les finales de la Coupe Billie Jean King, en avril.

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Gabriela Dabrowski (à droite) et Carol Zhao lors des qualifications de la Coupe Billie Jean King à Vancouver, le 16 avril dernier

Même si elle a accumulé les bonnes prestations et qu’elle s’est hissée parmi les meilleures joueuses de double au monde, l’athlète de 30 ans n’est pas prête à dire qu’elle joue nécessairement le meilleur tennis de sa carrière à l’heure actuelle.

Je pense toutefois que j’offre un jeu constant à un très haut niveau.

Gabriela Dabrowski

Les favorites pour Roland-Garros ?

Habituellement, les joueurs et joueuses qui remportent l’un des tournois préparatoires en vue de Roland-Garros, comme Stuttgart, Madrid ou Rome, sont automatiquement placés dans le groupe des prétendants au titre aux Internationaux de France.

Actuellement sixième mondiale en double, Dabrowski refuse de croire qu’Olmos et elle sont l’équipe à battre. Elles jouent bien, certes, mais la Canadienne tenait aussi à préciser que Katerina Siniakova, Barbora Krejcikova et Veronika Kudermatova, respectivement première, troisième et quatrième au classement mondial, étaient absentes à Madrid.

« Je ne pense pas qu’on est l’équipe à battre », explique Dabrowski. Les choses se seraient peut-être passées différemment en Espagne si elles avaient dû affronter l’une de ces joueuses. Ça aurait pu être un excellent indicateur pour évaluer leur niveau de jeu. Néanmoins, ce qui est arrivé est arrivé, avec ou sans impondérable, et l’Ottavienne est heureuse de son rendement et de ses résultats malgré tout.

L’une des raisons qui pourraient expliquer le succès de Dabrowski depuis le début du printemps est certainement la gestion de son calendrier. Elle en est très fière : « J’ai bien organisé mon horaire et mon calendrier pendant cette saison de terre battue, je n’ai pas trop joué. »

Dabrowski et sa coéquipière avaient décidé de faire l’impasse sur les tournois de Charleston et de Stuttgart. Il s’agissait d’un couteau à double tranchant. D’une part, elle s’économisait en continuant à s’entraîner. D’autre part, comme la terre battue est une surface difficile à maîtriser, il est important d’y jouer régulièrement pour être bien à l’aise. Comme il est important pour les nageurs de toucher à l’eau régulièrement.

Finalement, elles sont arrivées prêtes et fraîches à Madrid et ça a porté ses fruits.

« J’ai toujours de grandes attentes envers moi-même. Probablement que nos attentes en tant qu’équipe sont un peu plus élevées qu’elles ne l’étaient au début de l’été », affirme Dabrowski, questionnée à savoir si elle sent qu’elle arrive à Roland-Garros avec une pression supplémentaire.

La marche entre un titre WTA 1000 et un titre du Grand Chelem est immense. Dabrowski n’a encore jamais goûté à la victoire en tournoi majeur. Toutefois, elle pense connaître la recette pour pouvoir triompher dans les plus grands tournois : un très bon travail d’équipe, un bon plan de match, une pincée de chance et une bonne attitude. « C’est une combinaison de plusieurs choses », souligne-t-elle.

Le grand paradoxe

La terre battue a ses particularités propres. Surface plus lente, plus capricieuse, mais plus propice aux effets. Les joueuses doivent continuellement s’y habituer. Le plan de match n’est pas le même que sur les autres surfaces.

En double, où tout est une question de centièmes de seconde, le jeu n’est pas aussi influencé qu’on pourrait le croire, insiste Dabrowski. D’autant plus que cette année, le sable de Madrid et de Rome était plutôt rapide. Elle explique qu’une grande partie du match est influencée davantage par les adversaires que par la surface.

« La seule chose que je peux dire, c’est que je n’aime pas nécessairement la terre battue, dit-elle en riant. Surtout parce que je ne peux pas bien sentir le positionnement de mes pieds, je sens que je glisse beaucoup et que je manque un peu d’équilibre. Je ne me sens pas aussi bien ancrée dans le sol. »

Ce qui est certain, c’est que malgré ses récents succès, Dabrowski refuse de se faire des idées et évite se s’enfler la tête. Son tennis va bien. Son corps tient le coup. Elle sait transformer les occasions en réussites. La chimie avec sa coéquipière lui plaît énormément. Trop humble pour le souligner elle-même, c’est peut-être ça, au fond, la bonne recette pour espérer gagner son premier titre du Grand Chelem.

Les Canadiens auront leur chance

Bianca Andreescu et Gabriela Dabrowski ne sont pas les seules joueuses canadiennes à avoir connu du succès depuis le début de la saison sur terre battue. Leurs compatriotes ont aussi assuré et il serait fort possible de voir l’un d’entre eux en action très tard dans la deuxième semaine d’activité à Roland-Garros.

Félix Auger-Aliassime

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Félix Auger-Aliassime

Après son début de saison endiablé et l’acquisition de son premier titre sur le circuit de l’ATP, en février, à Rotterdam, il était facile de croire que l’année 2022 serait celle de Félix Auger-Aliassime. D’autant plus que le Québécois est à l’aise sur la terre battue, lui qui s’entraîne régulièrement sur cette surface à Monte-Carlo. Toutefois, les choses se sont un peu gâtées pour l’athlète de 21 ans. Il a été sorti de manière précoce à Marrakech, Monte-Carlo, Barcelone et Estoril. Son manque de régularité et sa gestion de match lui ont coûté certaines victoires. Cependant, ça a semblé se replacer pour lui à Madrid, où il a battu Christian Garin et le talentueux Jannik Sinner, deux excellents joueurs de terre battue. Il a ensuite perdu en quarts de finale aux mains d’Alexander Zverev, mais le Québécois lui a quand même offert une belle opposition. Puis, la semaine dernière, on a revu le FAA du début de saison à Rome, notamment lors de son match de quarts de finale contre Novak Djokovic. Un service efficace, un jeu de jambes précis, une forme d’enfer, une précision sensationnelle et une combativité de fer. Il a perdu 7-5 et 7-6 contre le meilleur joueur au monde et le match s’est joué à peu de choses. Il ne serait pas surprenant de revoir le Québécois atteindre les demi-finales d’un deuxième Grand Chelem de suite, après les Internationaux d’Australie en janvier.

Denis Shapovalov

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Denis Shapovalov

Denis Shapovalov n’a pratiquement pas joué sur terre battue cette saison. Il avait connu un début de saison difficile, ponctué par une demi-finale à Dubaï, mais sans plus. À Madrid, ça avait l’air compliqué pour Shapovalov. Chaque frappe semblait lourde et son incapacité à rester constant nous faisait retenir notre souffle à chaque frappe. Il a perdu contre le vétéran Andy Murray, mi-homme, mi-métal, au deuxième tour. Sauf qu’il est revenu en force avec une excellente séquence à Rome. Il a eu le meilleur sur Lorenzo Sonego, Nikoloz Basilashvili et son idole Rafael Nadal, diminué car blessé. En quarts de finale, il a livré une admirable bataille à Casper Ruud, huitième joueur mondial, et spécialiste de la terre battue. Il a perdu 7-6 et 7-5, mais le Canadien a été combatif, hargneux et sans complexe. La dernière fois qu’il avait aussi bien joué, c’était à Wimbledon l’été dernier. Comme d’habitude, le jeune homme devra gérer ses émotions, lui qui a invectivé un officiel la semaine dernière. Le pire ennemi de Shapo, c’est Shapo. S’il peut rester concentré sur sa tâche et profiter d’un bon tableau, il est permis de rêver.

Leylah Annie Fernandez

PHOTO DARRYL DYCK, LA PRESSE CANADIENNE

Leylah Annie Fernandez

Leylah Annie Fernandez n’a plus été l’ombre d’elle-même depuis son titre remporté à Monterrey en mars. Elle a aussi très peu joué sur terre battue avant de se lancer dans le deuxième Grand Chelem de la saison. Elle a joué à Charleston, où elle s’est inclinée à son premier match devant Magda Linette, 54joueuse au classement. Elle a ensuite joué à Madrid et ça n’a pas été simple. Elle a eu de la difficulté d’entrée de jeu contre une qualifiée et elle a ensuite perdu contre Jill Teichmann, classée 35e. Puis, la semaine dernière, à Rome, elle a bien joué contre la 14e tête de série, Anastasia Pavlyuchenkova, avant de se faire barrer le chemin par Daria Kasatkina, 23e au monde et talentueuse sur terre battue. La Québécoise de 19 ans aimerait évidemment racheter sa saison sur terre battue, mais aussi très certainement bien faire en tournoi majeur, elle qui a connu des difficultés en Australie, en début d’année.