À 8 h 15, la journée commence pour les sept jeunes du Centre national de tennis. Elle se terminera 10 heures plus tard.

Les Québécois Jaden Weekes, Christophe Clément et Annabelle Xu arrivent par leurs propres moyens.

Les Ontariens Stefan Simeunovic, Kayla Cross, Victoria Mboko et l’Albertaine Mia Kupres – qui vivent dans leur famille d’accueil respective – profitent des services du chauffeur offerts par le Centre national de tennis (CNT).

La recette et les ingrédients varient de jour en jour, mais le menu quotidien qui les attend présente généralement de trois à quatre heures de tennis, une proportion équivalente de temps en classe et une à deux heures d’entraînement en gymnase.

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Victoria Mboko reçoit l’aide du consultant scolaire André Barette.

À notre arrivée, en milieu d’avant-midi, les garçons, tous trois âgés de 16 ans, sortent de près de deux heures de cours et se dirigent vers les courts. Victoria Mboko, elle, se trouve toujours en classe, en compagnie d’André Barette, consultant scolaire à temps plein auprès des jeunes.

On présume que le tennis occupe la plus grande part de leur concentration. Alors, comment se passe l’école ?

« C’est sûr qu’ils ne se ruent pas sur leurs livres, reconnaît l’ex-professeur de mathématiques au Collège Laval, qui en est à sa 12e année au CNT. Mais par rapport aux élèves que j’ai fréquentés dans ma carrière auparavant, ils sont dans la moyenne supérieure. Parce qu’ils sont déjà disciplinés, organisés. Puis, ils sont motivés et leur entrain pour le sport déteint un peu sur les habitudes scolaires. »

D’ailleurs, à une exception près, tous les athlètes qui sont passés par le Centre national ont acquis leur diplôme secondaire. Il y en a même un, Jack Mingjie Lin, qui a été admis à l’Université Columbia, à New York.

André Barette accompagne les jeunes dans leur cheminement scolaire. La matière et les exercices proviennent des écoles en ligne dans lesquelles ils sont inscrits. N’empêche, vu les régions d’origine diverses de ses élèves, il a plusieurs approches, plusieurs programmes à apprivoiser.

« Mais ça reste du secondaire. Ce n’est pas de la physique nucléaire », illustre-t-il, soulignant par ailleurs que la petite taille du groupe lui permet de répondre bien plus rapidement aux questions.

Seuls quelques pas séparent la classe des 12 terrains de surface dure du complexe intérieur du parc Jarry. Une proximité qui efface toute perte de temps et facilite la cohabitation entre le scolaire et le sportif, indique Louis Borfiga, vice-président du développement de l’élite chez Tennis Canada, qui qualifie la mission du CNT de « double projet ».

« C’est parfois difficile de concilier le tennis et l’école, mais avec toutes les ressources qu’on a, ça rend les choses plus faciles, dit Victoria Mboko, 14 ans, au Centre depuis l’été dernier. J’aime l’horaire et j’ai une très bonne famille d’accueil. J’adore la vie ici. »

Fort contingent féminin

Pendant que Victoria est en classe, Kayla Cross échange des balles avec le coach Simon Larose. Sous l’œil attentif de l’entraîneur André Labelle, qui chapeaute le programme féminin du Centre national.

La gauchère de 15 ans passe du fond, à la volée, au service.

Cette cohorte chez les filles serait l’une des meilleures depuis fort longtemps.

« Oui, on a un très bon groupe en ce moment, c’est encourageant, corrobore André Labelle. Vicky a seulement 14 ans et elle est tellement puissante, c’est incroyable. Elles n’ont pas joué beaucoup de tournois depuis un an et c’est ça qui manque en ce moment. Les filles s’emmerdent un peu, ce n’est pas toujours évident. »

Mais cette absence de compétition donne le temps au personnel de mettre l’accent sur d’autres facettes du jeu et de la préparation de leurs sept surdoués.

« On a décidé de les faire travailler énormément techniquement et physiquement puisqu’il n’y a pas de tournois, explique Louis Borfiga. Mais rien ne remplacera la compétition, c’est sûr, et on est obligés de faire avec. »

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Louis Borfiga, vice-président du développement de l’élite chez Tennis Canada

Il faut essayer de trouver des moyens de les garder motivés en leur faisant prendre conscience de l’importance de la technique et de l’entraînement physique. Et puis, aussi, en leur laissant entrevoir qu’il y aura des tournois bientôt. Sans ça, la motivation tomberait.

Louis Borfiga, vice-président du développement de l’élite chez Tennis Canada

Malgré cela, l’attitude de ses filles est exceptionnelle, se réjouit le coach Labelle.

« Elles sont à 100 % chaque jour. Les mauvaises journées sont très rares. »

En outre, une « belle chimie » s’est forgée entre elles depuis un périple en Espagne avec Simon Larose, à l’automne.

« C’était le premier voyage qu’elles faisaient ensemble, et quand elles sont revenues, on a vu qu’elles s’appréciaient encore un peu plus », relate André Labelle.

Éloge de la terre battue

En empruntant l’allée entre les deux rangées de six terrains, on rejoint l’ascenseur qui donne accès au gymnase. Vide, lors de notre passage.

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Le Centre possède quatre courts de terre battue.

Puis, un étage plus haut, le troisième, les portes s’ouvrent sur les quatre courts en terre battue, construits en 2011, quatre ans après l’ouverture du Centre.

On a l’habitude, à la télé, de la terre battue ocre de l’Europe ou de l’Amérique du Sud. Ici, elle est grise. L’air, très humide.

  • Jayden Weeks

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    Jayden Weeks

  • Christophe Clément et Stefan Simeunovic

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    Christophe Clément et Stefan Simeunovic

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Seul de son côté du filet, Jaden Weekes renvoie tour à tour la balle à Stefan Simeunovic et Christophe Clément.

Le coach Martin Laurendeau les scrute en se déplaçant constamment. Puis, Guillaume Marx, entraîneur-chef du programme national masculin, apparaît et les observe de plus loin, immobile.

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L’entraîneur Martin Laurendeau prodigue quelques conseils à Christophe Clément.

Clément inverse les rôles avec Weekes et les échanges reprennent.

« Les garçons arrivent à maturité plus tard que les filles en tennis. Il y a un an ou deux de décalage », relève Louis Borfiga.

Dans le passage portant sur Bianca Andreescu, les auteurs du Dictionnaire amoureux du tennis – Laurent Binet et Antoine Benneteau –, paru l’automne dernier, écrivent ceci au sujet du responsable du développement de l’élite canadienne :

« Malheureusement, nous avons eu la mauvaise idée de laisser partir le formateur de Tsonga, Monfils et Simon. Les gens le connaissent peu. Louis Borfiga, dit “Luigi’’, est arrivé à la tête de Tennis Canada en 2006. Il y est parti les valises pleines du meilleur de l’expertise française : Nicolas Perrotte [préparateur physique], Guillaume Marx et Fred Fontang [tous deux entraîneurs].

« Il avait fait construire des terres battues à l’INSEP, c’est aussi la première chose qu’il a demandée en arrivant à Tennis Canada. Car, pour lui, le fait de beaucoup jouer sur terre battue est la meilleure formation qui soit : cette surface permet des échanges plus longs et demande plus de créativité pour gagner le point. Le joueur ou la joueuse progresse autant techniquement et tactiquement que physiquement. »

Le principal intéressé avait entendu dire que l’ouvrage le mentionnait, mais n’avait pas lu l’extrait.

Il reconnaît cette importance qu’il accorde à la terre battue dans la formation des jeunes joueurs.

Mais, d’abord et avant tout, en arrivant au Canada, il a œuvré à la mise sur pied d’un Centre national, inauguré en 2007.

Je croyais beaucoup au rassemblement des meilleurs au même endroit, avec de très bons entraîneurs. C’est vraiment la pierre angulaire du programme.

Louis Borfiga, vice-président du développement de l’élite chez Tennis Canada

Son Centre national jouira dorénavant du soutien de Rogers, qui en devient le commanditaire présentateur, a-t-on annoncé vendredi.

« Nous sommes vraiment très heureux de renouveler notre partenariat avec Tennis Canada, cette fois-ci en mettant l’accent sur la croissance et le développement du sport directement dans les communautés partout dans la province, a fait savoir Édith Cloutier, présidente régionale de Rogers Québec. Notre appui au Centre national de tennis s’inscrit dans cette volonté d’aider les plus jeunes à atteindre le niveau supérieur en leur fournissant toutes les ressources dont ils ont besoin pour réussir. »

Tennis Canada compte également cinq centres régionaux, à Montréal, Toronto, Vancouver, Calgary et Halifax, pour les moins de 14 ans. À cet âge, ils n’y sont toutefois pas à temps plein.

Objectif : le grand circuit d’ici cinq ans

On espérait voir Victoria Mboko frapper des balles en revenant vers notre point d’origine. Malheureusement, elle s’était blessée au dos et avait quitté le court après seulement 15 minutes d’entraînement.

Pas trop grave ? « Non, rien d’important », assure-t-elle.

Lorsqu’on lui parle de sa puissance qui fait déjà jaser, la jeune Ontarienne répond qu’elle ne veut pas s’y fier exclusivement.

Je veux baser mon jeu sur plusieurs aspects. Oui, on me dit que je suis très puissante et je suis d’accord avec ça, mais j’essaie aussi d’incorporer un bon jeu de pieds et de la vitesse.

Victoria Mboko, 14 ans

Sa joueuse favorite : Naomi Osaka. Pour son jeu et pour sa personnalité, très engagée.

La Canadienne compte bien aller la rejoindre sur le grand circuit d’ici quelques années. Vers la fin de l’adolescence, espère-t-elle.

« J’y pense constamment ! Chaque jour, je travaille fort parce que je sais où je veux me rendre. »