À 5-3 en troisième manche, à quatre points de la victoire, Roger Federer avait peine à retenir ses larmes. Alors qu'il avait soutenu une pression toujours plus forte au cours des derniers jours, il entrevoyait enfin la réalisation d'un rêve amorcé en 2003, à Wimbledon, avec son premier titre majeur.

Après avoir perdu trois fois en finale contre l'Espagnol Rafael Nadal, le Suisse a finalement remporté, hier, les Internationaux de France, le seul tournoi du Grand Chelem qui manquait à son glorieux palmarès.

Federer a fait fi de la pluie et des conditions difficiles pour vaincre facilement le Suédois Robin Soderling, 6-1, 7-6 (1), 6-4.

«Je ne sais pas si je suis le plus grand joueur de tous les temps, mais je suis fier de ce que j'ai réussi aujourd'hui, a déclaré Federer, au terme d'un match très émouvant. C'est dur, très dur, de remporter tous ces titres, de rester en santé, de rester au sommet.

«Je suis tellement soulagé. C'est la plus belle victoire de ma carrière, avec la première à Wimbledon. J'ai l'impression que je vais maintenant être soulagé d'une grande pression, que la suite de ma carrière va être moins stressante; personne pour me dire que je n'ai pas gagné Roland-Garros.»

Il est difficile d'imaginer à la fois l'ampleur de l'exploit complété hier par le champion suisse et le poids de la pression qui s'est exercé sur lui pendant sa réalisation. En gagnant à Paris, Federer devient seulement le sixième joueur de l'histoire à avoir remporté les quatre tournois du Grand Chelem, le premier depuis Andre Agassi en 1999 (les autres sont Fred Perry, Don Budge, Roy Emerson et Rod Laver).

Il égale aussi le record de 14 titres du Grand Chelem de l'Américain Pete Sampras, qui n'est toutefois jamais parvenu à s'imposer à Roland-Garros. À 27 ans, visiblement en grande forme après une période de doute en 2008, Federer aura de bonnes chances d'améliorer cette marque, peut-être même dès Wimbledon, dans moins d'un mois, alors qu'il sera encore le favori du public.

«Pete (Sampras) doit être heureux pour moi et je suis heureux d'être avec lui, a déclaré Federer à la télé américaine. Cette semaine, il n'a pas cessé de m'envoyer des messages d'encouragement.»

«Merci pour la leçon»

Alors qu'il avait offert un niveau de jeu phénoménal depuis deux semaines, Soderling a joué hier comme le 25e mondial qu'il était en arrivant à Paris. Le Suédois semblait écrasé par l'événement, les jambes lourdes, et Federer a facilement maîtrisé les services qui avaient fait tant de victimes, à commencer par Nadal.

«Merci pour la leçon de tennis, a d'ailleurs concédé Soderling, sur le podium, après le match. Roger est le meilleur joueur de tous les temps et il l'a montré encore aujourd'hui.»

Soderling présente maintenant une fiche de 0-10 en carrière face au Suisse. «Je blaguais avec mon entraîneur avant le match en disant que personne n'aurait une telle fiche contre moi. O.k. Roger m'a battu dix fois d'affilée, mais personne ne me battra 11 fois de suite!» a déclaré le Suédois, mi-sérieux.

Chose certaine, plus personne ne prendra Soderling à la légère. Sa victoire sur Nadal passera à l'histoire, mais ses gains contre des pointures comme David Ferrer ou Felipe Gonzalez ont démontré qu'il faudrait désormais le surveiller. «Mon but est d'arriver dans le top 10, a déclaré le finaliste. Je suis déçu de ma performance aujourd'hui, mais heureux de mon tournoi.»

«Aussi durs qu'une finale»

Depuis cinq ans, alors qu'il avait déjà remporté les trois autres tournois majeurs, Federer tentait de s'imposer sur la terre rouge de Paris, une surface qui convient moins bien à son jeu, mais qu'il a réussi à maîtriser.

Battu en demi-finale par Nadal en 2005, le Suisse a perdu trois finales consécutives contre le redoutable Espagnol. N'a-t-il jamais douté? «La première fois, je me suis dit : "Combien de chances aurais-je encore de vaincre Rafael?" a-t-il admis hier. Chaque fois ensuite, je me posais la même question.»

L'élimination de l'Espagnol par Soderling, au quatrième tour, a débarrassé Federer d'un rival, mais pas de la pression. «On ne souhaite jamais la défaite d'un autre joueur; j'ai quand même été soulagé quand il a perdu, a-t-il reconnu. Mais ensuite, tous les matchs étaient aussi durs qu'une finale, avec une pression insoutenable. J'ai souvent été près de perdre, mais je me suis battu, j'ai survécu et je peux enfin soulever ce trophée», a lancé le champion, geste à l'appui, aux journalistes qui l'entouraient sur le court, longtemps après le match.

Federer a en effet dû disputer deux matchs de cinq manches, au quatrième tour face à l'Allemand Tommy Hass, puis encore en demi-finale devant le jeune Argentin Juan Martin Del Potro. Chaque fois, son métier, sa classe et un brin de chance lui ont permis d'avancer.

Sous la pluie, les larmes aux yeux, Federer revivait sans doute ces matchs mémorables, hier, pendant qu'il posait sur le court central. Il pensait peut-être aussi aux défaites cruelles du passé, au long chemin parcouru, à ceux qui commençaient à dire qu'il était fini.

Il pensait sûrement enfin à l'enfant qui grandit présentement dans le ventre de sa conjointe Mirka et qui couronnera, en août, la plus belle année de sa glorieuse carrière.