« Là, m’entends-tu ? », lance Kim Clavel au bout du fil. Où elle se trouve à La Havane, trouver du réseau n’est pas simple et on l’expérimente avec elle quand, au bout de sept minutes de phrases coupées et de longs délais entre les réponses, la ligne coupe.

Nouvelle tentative, pas de réponse. Tant pis, on termine l’entrevue par messages vocaux, un jeu auquel la toujours généreuse pugiliste se prête sans broncher.

De toute façon, le réseau, c’est probablement le dernier souci de Kim Clavel, en ce moment. À La Havane, où elle a choisi de faire un camp d’entraînement depuis une semaine et jusqu’au 12 février, la boxeuse québécoise vit dans l’inconfort le plus total.

« Ici, tu te mets dans la misère. C’est la pauvreté. Il n’y a pas de glamour, de sacs évolués, de gadgets dans les gyms. C’est la boxe, vraiment la boxe. »

Là-bas, elle réside dans ce qu’elle qualifie de « taudis » et dort sur un matelas qu’elle décrit comme « juste des springs ». « Je n’ai pas d’eau potable, il faut tout le temps que je coure pour essayer de trouver des bouteilles d’eau et ce n’est pas si simple que ça. De la bouffe, il n’y en a pas. J’ai apporté des galettes de riz, des boîtes de thon. J’ai apporté des protéines et des choses comme ça. Mais il y a plein de fourmis… partout. »

« Tu marches, il fait chaud, continue-t-elle. Tu as beau mettre de la glace dans ta bouteille d’eau, c’est fondu après 10 minutes et tu bois de l’eau chaude tout ton entraînement. »

Autrement dit, « c’est inconfortable tout le temps », et c’est en plein ce qu’elle voulait. À notre question spontanée qui ressemblait à quelque chose comme « t’es folle ? », Clavel répond : « Peut-être un peu ! »

Depuis qu’elle est arrivée à Cuba, où elle s’entraîne en vue de son prochain combat le 4 avril, Clavel écrit. Ses états d’âme, des tranches de vie… Les quelques images qu’elle nous envoie de son cahier nous permettent de prendre davantage la mesure de ce qu’elle vit. Les pages sont titrées : « L’adaptation », « L’ennui », « La boxe » …

« Recommencer dans le luxe du Canada, ça fait mal, alors dans l’inconfort de Cuba, c’est un martyre. Nécessaire ? On va voir. Le confort, je vais le trouver dans ma tête, parce que rien d’autre ne peut compenser », écrit-elle dans sa page sur l’inconfort.

Un peu plus loin, dans sa page titrée « Dia Buena ! » : « C’est fou comment je déteste attendre, je veux que tout fonctionne right fucking now mais c’est pas ça la vie, parfois faut apprendre à aimer ce qu’on aime pas. Le plus cool ici c’est que j’ai personne à qui me plaindre alors je continue sans broncher et finalement ça marche, bonne leçon de vie à rapporter au Québec. »

De grandes réflexions

On commence à connaître Kim Clavel ; s’il y en a une qui ne fait pas les choses à moitié, c’est bien elle. Après sa dernière défaite crève-cœur aux mains d’Evelin Nazarena Bermúdez par décision partagée, le 7 octobre dernier, l’athlète a passé trois mois sans boxer ni s’entraîner.

On se souviendra de tout le chaos avec la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) qui a suivi son combat. Son promoteur, Yvon Michel, vient d’être suspendu deux mois pour les évènements disgracieux survenus après la défaite.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Kim Clavel (à gauche) lors de son combat contre Evelin Nazarena Bermúdez, le 7 octobre dernier

La boxeuse a d’ailleurs reçu, au cours des semaines suivant le combat, une lettre lui mentionnant que son permis pourrait lui être retiré si elle devait tenir d’autres propos comme ceux qu’elle a tenus contre le juge Benoit Roussel après sa défaite.

Au cours des trois derniers mois, donc, Clavel n’a pas boxé. Elle ne s’est pas entraînée. En fait, elle en était pratiquement incapable. « La seule fois où j’ai sué, c’est parce que j’ai mangé une pizza et elle était trop chaude, lâche-t-elle. Je n’ai pas fait d’exercice, rien, rien, rien. J’ai mangé, j’ai dormi, j’ai retravaillé comme infirmière auxiliaire. »

En trois mois, elle a traversé plusieurs étapes, de la frustration à la peine, en passant par la colère puis, « tranquillement », l’acceptation. Elle a songé à la retraite, aussi. « Peut-être que c’est fini pour moi, que j’ai affronté les meilleures et qu’il me manquait un petit quelque chose », a-t-elle pensé.

Elle a eu besoin de s’« effacer, de sortir de la map, d’être fière [d’elle] pour autre chose que la boxe ».

Une fois dans la phase d’acceptation, ses réflexions se sont transformées. L’amertume s’est frayé un chemin.

« Crime, ça ne peut pas se finir comme ça, a-t-elle pensé. Je suis à ce niveau de ces filles-là, il ne manque pas grand-chose, donc je vais me relever les manches, je vais partir en camp d’entraînement, je vais aller voir ce que ça donne, mais je vais me mettre moins de pression, je vais boxer pour m’amuser. »

Après 15 ans à s’entraîner avec la même équipe, elle avait envie d’un changement d’environnement temporaire, de se « retrouver juste avec [elle-même] ». Elle a opté pour La Havane, avec l’appui de ses entraîneurs au Québec. Là-bas, elle fait notamment du sparring avec des membres de l’équipe nationale cubaine.

« C’est une expérience super enrichissante, unique. Je pense que même si tu n’es pas boxeur, tu devrais te mettre dans le trouble comme ça au moins une fois dans ta vie. Je peux te dire que quand je vais revenir à Montréal, je vais me trouver gras dur, chanceuse d’avoir tout ce que j’ai. »

Prochain combat

Le 4 avril, donc, Clavel remontera sur le ring. Ne vous méprenez pas : elle n’a pas besoin de reprendre confiance. Sa confiance, elle est toujours bien là, parce qu’elle a livré un solide duel en octobre dernier. Ce prochain combat lui permettra plutôt de retrouver ses repères, explique-t-elle.

En conférence de presse, jeudi, le promoteur Yvon Michel a mentionné que sa boxeuse a retrouvé « le feu sacré, son enthousiasme ». « Je pense que [les derniers mois] lui [ont] fait réaliser que tu ne peux pas mettre tous tes œufs dans le même panier, que la vie, c’est plus qu’un combat de boxe, a-t-il ajouté. Ça a fait en sorte que ça lui a redonné le gout de revenir. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Yvon Michel et Kim Clavel

Malgré les questionnements, les remises en question, les émotions, l’objectif de Kim Clavel demeure le même qu’il y a quelques mois. Faut-il le préciser ? Allons-y, pourquoi pas : « Je veux devenir championne du monde, rien de moins. »

« Le chemin n’est pas facile pour se rendre en haut de la montagne. Je l’ai déjà fait une fois ; la vue est très, très belle. J’ai envie de revoir ça », dit-elle en s’excusant pour les motos qu’on entend passer en bruit de fond.

Sur ce, on lui souhaite donc encore de l’inconfort, mais un peu plus d’eau froide. Comme elle l’écrit si bien dans une des pages de son journal, « l’humain s’adapte, s’il le veut ».

Pas de commentaire

Interrogée sur la décision de la RACJ de suspendre son promoteur Yvon Michel pendant deux mois à la suite de son comportement après la défaite du 7 octobre, Clavel a préféré ne pas commenter l’affaire. « Je ne vais faire aucun commentaire là-dessus », a-t-elle répondu.