(Manchester) Un intervieweur du promoteur Boxxer discutait à bâtons rompus avec Marie-Ève Dicaire avant le début d’une séance photo, mercredi soir.

« À quoi peut-on s’attendre samedi soir ? a demandé Spencer Olivier, lui-même ancien boxeur.

— Sais-tu garder un secret ? lui a répondu la boxeuse québécoise.

— Oui.

— Moi aussi… »

Le petit entourage de Dicaire s’est esclaffé. C’est une blague classique de la Québécoise. « Ils ne la connaissent pas ici », s’est-elle défendue, satisfaite de son effet.

La séance s’est étendue sur une grosse demi-heure dans une petite salle près du hall de l’hôtel situé dans le nord de Manchester, à quelques encablures de l’aréna où sera présenté le gala de championnat du monde de samedi.

Arrivée dimanche en Angleterre, l’athlète de 36 ans est allée faire un tour à l’enceinte devenue tristement célèbre pour un attentat suicide lors d’un spectacle de la chanteuse américaine Ariana Grande en 2017. L’explosion d’une puissante bombe artisanale à la sortie avait fait 22 morts et des centaines de blessés, dont des jeunes femmes et des parents venus les chercher.

Dicaire s’est cogné le nez sur des portes fermées et s’est fait dire que l’admission était réservée aux employées. « C’est moi qui serai employée samedi », a-t-elle rigolé.

Une employée toute spéciale puisque le mandat qu’elle s’est donné est assez simple : « Moi, je suis juste ici pour casser le party de tout le monde ! », a-t-elle lancé avant d’enfiler le peignoir blanc et doré qu’elle paradera jusqu’au ring sous les huées et les invectives, prévoit-elle et espère-t-elle, d’un public friand d’algarades.

PHOTO FOURNIE PAR SAMUEL DÉCARIE-DROLET

Marie-Ève Dicaire

Combien seront-ils ? « Environ 10 000 », a prédit le relationniste de Boxxer. En plus de deux finales opposant Dicaire et la Britannique Natasha Jonas et deux boxeurs locaux pour un titre national, les spectateurs pourront revoir leur grand héros Ricky Hatton, un enfant de Manchester, qui remet les gants à 44 ans pour un duel hors-concours contre le Mexicain Marco Antonio Barrera.

C’est Jonas, tenante des ceintures WBC et WBO des super-mi-moyennes, qui a la pression de donner le spectacle et de vendre des billets, a souligné Dicaire, championne IBF maintenant négligée à plus de 4 contre 1 par les preneurs aux livres.

Âgée de 38 ans et mère d’une petite fille, Jonas (12-2-1, 8 K.-O.) a mis la main sur les deux couronnes cette année après avoir grimpé de trois catégories de poids. Les deux gauchères, qui se disputeront également la ceinture du magazine The Ring, se retrouveront pour la première fois en personne à l’occasion d’une conférence de presse jeudi.

Avec le sourire

Dicaire se prépare à tout… avec le sourire.

« Je pense qu’il n’y a rien de plus effrayant qu’un boxeur qui arrive à 48 heures du combat avec le sourire le plus confiant du monde. Je pense que c’est bien plus effrayant que des petites crises de poussaillage. Quand ça arrive, tu sais que tu as gagné la guerre psychologique, tu sais que ton adversaire a perdu le contrôle. »

Arborer mon plus beau sourire, c’est une façon de lui dire : je suis en pleine possession de mes moyens et toi, tu es dans le trouble…

Marie-Ève Dicaire

Presque un an après son dernier combat, Dicaire dit avoir trouvé « un surplus de motivation » depuis qu’elle a posé les pieds en Grande-Bretagne.

PHOTO FOURNIE PAR SAMUEL DÉCARIE-DROLET

Marie-Ève Dicaire

Si elle est nerveuse, elle le cache très bien à près de 72 heures du duel le plus important de sa vie.

« Je suis vraiment mauvaise perdante, ça fait que je veux sûrement plus gagner qu’elle. Et l’autre affaire, c’est que l’entraînement, c’est tellement souffrant et dur. Le soir du combat, c’est la partie le fun, là où on récolte tout ce qu’on a semé. Donc pour moi, c’est la partie de plaisir qui commence. Plus on approche du combat, plus les papillons sont là. Mais ils sont dans la bonne direction. Ils sont là de façon positive. »

Celle qui détient une fiche de 18 gains et 1 revers réitère qu’elle ne pense pas plus loin que samedi. Victoire ou défaite, elle assure ne pas savoir si ce sera son dernier affrontement professionnel.

« C’est vrai que je n’ai pas réfléchi à la suite, a dit la conférencière qui œuvre aussi dans les médias. Je bâtis mon après-carrière depuis mon premier combat [en 2015]. Je sais qu’il y a quelque chose qui m’attend quelque part. Je ne suis pas mal prise. On a tout fait en sorte pour que je sois à 100 % lorsque je vais monter dans le ring le 12, à 10 heures le soir. Après, on verra, mais je sais que la vie a quelque chose de beau à m’offrir. »

Après l’entrevue, Dicaire s’est prêtée de bonne grâce aux exigences du photographe. Le poing à telle hauteur, le visage un peu plus bas, bouge à droite, non comme ça, gauchère, régulière, ceinture, pas de ceinture… 

Devant l’avalanche de flashes, son coach Stéphane Harnois est sorti du studio improvisé, craignant la crise d’épilepsie… Dicaire blaguait avec son autre entraîneur Samuel Décarie-Drolet, qui immortalisait la scène avec son téléphone.

La Québécoise a accordé une dernière entrevue, racontant à la caméra de Boxxer à quel point elle était emballée de découvrir le public connaisseur et enflammé de Manchester, le comparant à celui, aussi passionné, du hockey à Montréal.

« Je mets la foule au défi : soyez plus bruyants que ce que je connais déjà ! », a-t-elle lancé avant de se prêter à un égoportrait avec une partisane et de s’engouffrer dans l’ascenseur. Il était temps de se changer, son équipe l’attendait pour le souper.