Eleider Alvarez a tout de suite pensé à sa mère quand Sergey Kovalev est tombé pour la troisième fois et qu'il a su qu'il devenait champion du monde.

C'est elle, Ayda Eliza, qui a obligé son fils à faire de la boxe. Pour lui inculquer une discipline, l'éloigner des rues dangereuses de Turbo, en Colombie. Quand elle est morte en 1999, Alvarez n'avait que 14 ans. Il a décidé de s'investir dans son sport pour lui rendre hommage. Depuis, c'est pour celle qu'il boxe.

C'est avec sa mère en tête qu'il a ravi le titre WBO des mi-lourds, samedi.

« Si elle était devant moi, je voudrais qu'elle voie que son fils, c'est un vrai homme, un champion du monde. Je sais qu'elle n'avait jamais imaginé ça dans sa vie. »

Alvarez est revenu à Montréal, dimanche, et une trentaine de membres de la diaspora colombienne l'attendaient pour célébrer. Avec vuvuzelas, drapeaux, pancartes « El Campeón ». La totale. C'était la cohue quand le champion a traversé les portes.

Alvarez est revenu dans sa deuxième maison au Québec, il est retourné dans son petit appartement de Laval, mais tout a changé. « Je suis le même, mais je suis champion du monde maintenant. » L'image est forte. Alvarez a longtemps vécu dans la frugalité. Il envoyait toutes ses économies à sa femme et à sa fille, demeurées en Colombie. Il a commencé à faire des bourses un peu plus intéressantes quand il est devenu aspirant obligatoire au titre WBC d'Adonis Stevenson en novembre 2015.

Maintenant champion, auteur d'un foudroyant K.-O. technique contre l'un des meilleurs boxeurs du monde, son avenir est assuré, aux yeux de tous sur HBO. La logique veut que ses futures bourses atteignent les sept chiffres. Bref, après avoir quitté la Colombie avec presque rien, Alvarez deviendra millionnaire. Son gérant Stéphane Lépine sera là pour l'épauler.

« On va prendre le temps de s'asseoir et vraiment guider sa carrière. Pour la suite, c'est important d'aller chercher le plus de sous possible. Je dois gérer son argent pour qu'il en reste à la fin de sa carrière. »

RETROUVAILLES DE LÉPINE ET ALVAREZ

Lépine et Alvarez se sont longtemps enlacés à l'aéroport. « On est attachés, à la vie », a dit le gérant, fort ému. Il se voit surtout comme un grand frère pour Alvarez et Oscar Rivas.

Lépine a accepté de s'occuper des jeunes boxeurs dès leur arrivée de Colombie en 2009. Marc Ramsay avait organisé l'évasion des boxeurs, mais s'était fait trahir par celui qui devait devenir leur premier gérant. Il cherchait de l'aide, Lépine a accepté le mandat risqué. Puis en 2010, quand Alvarez est resté coincé 14 mois en Colombie pour un problème de visa, Lépine ne l'a pas laissé tomber.

« Je me battais avec l'immigration pour réparer l'erreur, je payais le loyer [d'Eleider] parce que je me disais qu'il arriverait bientôt. Il s'imaginait que je l'avais abandonné, on n'avait pas beaucoup de communications, mais il a réalisé que je ne l'avais pas abandonné. J'ai toujours envoyé des sous à sa famille pour qu'il ne manque de rien. On se sent redevables l'un envers l'autre. »

Donc, quand la petite fille de Stéphane Lépine a été frappée d'un cancer, une leucémie myéloïde 3, Alvarez n'a pas cherché ailleurs, même si sa carrière faisait du surplace. Pourtant, on le lui a conseillé, de changer d'agent, de changer d'entraîneur. Il n'a jamais laissé tomber Lépine et Ramsay, et le voici aujourd'hui champion du monde.

« Beaucoup de gens me disaient ça, a reconnu Alvarez. Je suis très fier et très loyal. »

« Je suis ému, a répondu Lépine. Ça me fait chaud au coeur. J'ai toujours cru en la loyauté. J'ai été loyal envers eux, ils me le rendent bien. C'est ma famille. Ça dépasse de loin l'aspect travail. »

« J'AI DEUX CHAMPIONS »

Lépine n'a pu aller à Atlantic City car il restait au chevet de sa fille de 10 ans, qui venait de subir une greffe de moelle osseuse. Mais il a vécu samedi une soirée magique, puisque sa fille a obtenu un congé temporaire de l'hôpital et a pu regarder à la télévision Alvarez gagner la ceinture. « J'ai deux champions aujourd'hui. »

Au-delà de l'aspect sportif, Lépine voit la fin de l'épreuve pour sa fille. Il semble que la greffe ait pris, la moelle osseuse fabrique du sang, et si tout va bien, elle quittera demain l'hôpital. « [Cette leucémie] était une récidive. Il fallait faire une greffe de moelle osseuse pour repartir à zéro, sinon le cancer serait toujours revenu. »

Alvarez a été patient, après trois ans à courir, sans succès, avec Stevenson pour son combat. Alvarez a été fidèle, quand plusieurs lui disaient que sa carrière n'irait nulle part s'il ne changeait pas d'entourage. Il a eu le dernier mot.

Maintenant, le nouveau champion a-t-il un message pour Stevenson ?

« Quand j'ai signé le contrat avec Kovalev, je lui ai donné une claque au visage. Avec la performance [de samedi] soir, c'est une autre claque, sur l'autre joue. »

Photo Catherine Lefebvre, collaboration spéciale

Une trentaine de membres de la diaspora colombienne attendaient le retour d'Alvarez à l'aéroport de Montréal, dimanche, pour célébrer.

Photo Catherine Lefebvre, collaboration spéciale

Eleider Alvarez a enlacé son gérant Stéphane Lépine à son arrivée à Montréal, dimanche.