S’il y avait encore des doutes sur les capacités de magicien de Lionel Messi dans la MLS, ils se sont envolés dès le premier match de la saison, lorsqu’il a fait disparaître un joueur adverse.

C’était une de ces transitions que le soccer nord-américain a élevées au rang d’art dadaïste. Un défenseur du Real Salt Lake s’était effondré sans raison apparente, forçant le gardien à reculer vite lorsque le ballon est tombé devant Messi, qui a déjoué un homme en coupant en arrière à un angle invraisemblable.

Seul obstacle devant lui, le défenseur Andrew Brody, toujours effondré à la limite de la surface de réparation.

L’arbitre n’ayant pas sifflé, le jeu continuait. Ignorant l’adversaire au sol, Messi a enchaîné avec un des jeux les plus drôles et irrespectueux de sa carrière. Il fait passer le ballon au-dessus de Brody avant de contourner ce dernier puis de récupérer le ballon dans la foulée pour tirer au but.

Le tir a été bloqué par un défenseur, mais le jeu est devenu viral. « Pour ceux qui se posent la question, a écrit Brody sur X, oui, c’était moi, le cône par terre, là. »

Même les coéquipiers de Messi n’en revenaient pas. « Il a juste lobé au-dessus du gars à pleine vitesse et il a tiré », a dit après le match le milieu de terrain Julian Gressel, de l’Inter Miami, qui a vu le jeu de près.

Regardez le jeu de Lionel Messi

Voilà ce qui se passe quand le plus grand joueur de tous les temps s’installe en Floride. À 36 ans, même si Messi s’entraînait comme un semi-retraité en sirotant un petit verre sous un parasol la veille des matchs, les fans se presseraient quand même pour le voir jouer. Au lieu de cela, comme LeBron James ou Tom Brady en fin de carrière, il s’obstine à enrichir sa légende bien après que le joueur moyen de son âge, usé à la corde, a pris sa retraite.

Quelques mois après son huitième Ballon d’or, Messi continue de faire évoluer son jeu. Il reviendra sous les feux de la rampe cet été, quand il rejoindra l’Argentine pour la Copa América. Mais même face à des équipes comme le Sporting de Kansas City et le Revolution de la Nouvelle-Angleterre, chaque minute de soccer qu’il lui reste est un plaisir étourdissant.

À ce propos, Messi est peut-être en train de réaliser la meilleure saison individuelle de l’histoire de la MLS.

Si vous avez suivi le FC Barcelone durant la dernière décennie, la composition de l’Inter Miami vous est familière.

Devant Messi, son partenaire d’attaque Luis Suárez continue de marquer à un rythme effrayant. Derrière eux, le milieu défensif Sergio Busquets organise le jeu avec calme et précision. Jordi Alba est moins rapide quand il surgit de l’arrière gauche, mais il reste la cible préférée de Messi dans le dernier tiers du terrain. Même l’entraîneur, Tata Martino, a dirigé la plupart de ces joueurs à Barcelone en 2013-2014.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Benjamin Cremaschi, Lionel Messi et Luis Suárez

Mais les similitudes s’arrêtent là. Au lieu d’une bande de prodiges éduqués au centre de formation du Barça à La Masia, l’Inter Miami a entouré ses stars vieillissantes d’un peloton de jeunes espoirs sud-américains. Le jeu y est plus ouvert qu’au Barça et on court souvent d’un bout à l’autre du terrain.

Pas de tiki-taka à Miami

Pendant presque toute sa carrière, Messi avait rarement besoin de s’impliquer tant que son équipe n’avait pas travaillé en mode tiki-taka et franchi la médiane. Il pouvait arpenter patiemment la zone attaquée comme un officier effectuant une inspection, observant la défense et calculant où apparaître sur le ballon au bon moment pour terminer une action.

Dans la préparation moins fine de Miami, il s’implique plus tôt que jamais.

Au lieu de recevoir le ballon sur l’aile pour dribler la défense, il fait souvent signe à Gressel, qui joue milieu droit, de rejoindre la ligne de front et de se placer aux côtés de Busquets pour faire avancer le ballon par des passes courtes.

Au Paris Saint-Germain, il pouvait botter des passes intercontinentales à Kylian Mbappé. Avec l’équipe argentine, Julián Álvarez et Lautaro Martínez lui ouvraient le chemin à toute vitesse. À Miami, Messi a moins le rôle du quart-arrière. Au lieu de chercher de l’œil un coéquipier loin devant, depuis le tiers central, il se faufile entre les lignes avec de rapides passes une-deux qui contournent les défenseurs sans risquer le tacle ou la faute.

Il aime prendre de la vitesse grâce à un passe-et-va. Je deviens son bloqueur, si on veut. Il s’agit de le mettre dans l’espace sur le demi-tour et vers l’avant.

Julian Gressel

Une fois parti entre les lignes, son œil pour la passe est plus mortel que jamais. Il réalise en moyenne une passe décisive par 90 minutes de jeu. Ses 10 passes décisives – 12 si l’on compte les passes secondaires, comme le fait la MLS – le plaçaient en tête du championnat en date du 18 mai. Il a inscrit cinq d’entre elles en une seule demie, lorsqu’il a éviscéré les Red Bulls de New York.

La plus belle, une passe décisive sur le but du milieu de terrain paraguayen Matías Rojas, est l’essence même de Messi à Miami. Il récupère le ballon sur le côté gauche de la ligne médiane, à des kilomètres du danger. Il se retourne vers le milieu de terrain, mais au lieu de faire circuler le ballon vers Busquets, il fait un une-deux inattendu avec Rojas et comme par magie se retrouve à dribler une défense exposée.

Après lui avoir rendu le ballon, Rojas savait quoi faire. Alors que les adversaires fondent sur Messi, Rojas continue à sprinter vers le but. Messi tourne à gauche, puis fait une longue passe vers la droite dans un angle que lui seul a pu voir – une copie presque conforme de sa passe décisive pour Nahuel Molina contre les Pays-Bas à la dernière Coupe du monde.

Tout ce mouvement, de la médiane au but, déjouant sept adversaires, a pris seulement trois passes entre deux joueurs.

C’est la dernière évolution de Messi : il n’est ni un faux neuf ni un ailier dribleur, mais un progresseur de ballon implacable dans le cœur du jeu. Encore et encore, il parvient à s’échapper et recevoir le ballon au milieu de terrain, dribler à travers les lignes et faire une passe meurtrière vers le côté gauche de la surface de réparation.

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Lionel Messi et Mathieu Choinière

Tout cela, bien sûr, ne suffit pas à mesurer l’impact d’un joueur qui est aussi un des meilleurs buteurs de la ligue. Avec 10 buts en 9 matchs, Messi affiche un ratio de 1,18 but par 90 minutes jouées. Au lieu de se contenter de tirs de plus en plus lointains à travers des défenses compactes, comme à l’époque du FC Barcelone, il pénètre plus souvent dans la surface de réparation.

C’est toute la MLS qui bat en retraite, pas la MLS qui le pousse vers la sienne.

L’Inter Miami, équipe composée de légendes barcelonaises, ne sera pas considérée comme la meilleure de l’histoire de la MLS – elle est trop incertaine dans son attaque et trop poreuse en défense –, mais samedi matin, elle était en tête au classement, et c’est salle comble partout dans la ligue chaque fois que Messi est en ville. C’est peut-être la meilleure façon de mesurer les plus grands joueurs : on ne peut pas le quitter des yeux, même jusqu’à la fin.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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