De l’autre côté de l’écran, Jesse Marsch nous épate avec sa très bonne mémoire.

« Quand j’allais dans la Petite Italie, au Café Olimpico, quelle était la première chose que je voyais en entrant, à part le café ? », demande le nouveau sélectionneur du Canada lors d’un entretien d’une quinzaine de minutes avec La Presse, mardi après-midi.

« La Gazzetta dello Sport, répond à sa propre question le premier entraîneur-chef de l’Impact en MLS. La façon dont les gens discutaient de la Serie A et de l’équipe italienne de football, ça m’a vraiment marqué. »

L’ironie, c’est qu’il nous parle aujourd’hui d’Italie, où il a élu domicile il y a huit mois avec sa famille après que sa femme a obtenu sa citoyenneté italienne. Marsch pense faire la navette au cours des prochains mois avec Toronto, où se trouvent les instances du soccer canadien, ainsi qu’un peu partout en Europe pour voir les matchs des joueurs de l’équipe installés de l’autre côté de l’Atlantique.

Pour lui, l’exemple du Café Olimpico constitue l’un des plus grands « défis » qui attendent la sélection canadienne d’ici à la prochaine Coupe du monde, partiellement organisée au pays, en 2026.

Il faut rendre l’équipe culturellement viable et assez excitante pour que les Canadiens de toutes les origines la voient comme aussi importante que la leur.

Jesse Marsch

En ce sens, il se rapproche de son prédécesseur John Herdman, qui martelait ce même point conférence de presse après conférence de presse pendant les qualifications de 2022, en vue de la Coupe du monde organisée au Qatar.

« Il y a certainement un bassin de joueurs assez électrisants et talentueux pour faire sortir cette passion », assure le volubile et sympathique entraîneur, qui est passé par New York et les premières divisions autrichienne, allemande et anglaise après son année et demie à Montréal.

« J’ai choisi ceci »

Il a beaucoup été question d’identité lors de cet entretien avec le représentant de votre journal, au lendemain de l’annonce de sa nomination par Canada Soccer. Montréalaise. Québécoise. Canadienne.

Et américaine. Parce que malgré l’enthousiasme général en réaction à l’arrivée de Marsch à la tête de la sélection, certains commentateurs n’ont pas passé sous silence le symbole de voir un Américain, dont la nation est le grand rival de l’unifolié en CONCACAF, venir diriger les Rouges.

On ne s’attendait pas à recevoir une réponse aussi passionnée lorsqu’on l’a interrogé sur le sujet.

« Je le comprends, commence-t-il par dire, avant de rigoler. En passant, ce n’est pas la première fois que je suis traité différemment parce que je suis américain ! »

On estime qu’il nous renvoie ainsi aux nombreuses références à Ted Lasso exprimées à son endroit lorsqu’il a été à la tête de Leeds, en Premier League, de février 2022 à février 2023. C’était son dernier emploi à titre d’entraîneur.

« Je me lance dans un projet de façon réaliste. C’est pour ça que j’ai pris autant de temps [avant d’accepter un autre poste]. On ne peut pas sous-estimer à quel point j’ai à cœur cette relation avec cette équipe nationale et ce bassin de joueurs. J’ai mis du temps, et j’ai eu d’innombrables discussions à propos de ce que je voulais faire dans l’avenir. Et j’ai choisi ceci.

« Tout ce que je peux dire, c’est que mon but ultime est de rendre ce pays fier. Quand l’hymne national jouera avant les matchs, à la Coupe du monde 2026, je veux que le stade au complet, y compris les joueurs, crie de toutes ses forces. Que nous soyons fiers de qui nous sommes et de notre façon de jouer. C’est tout ce qui m’importe. Je veux représenter ce pays, et la mentalité de ses gens, et canaliser toute cette puissance dans la façon dont on joue au football. »

« Être Canadien, ça veut dire tellement plus »

Ses atouts d’orateur sont, pour Patrice Bernier, l’une des grandes qualités du nouvel entraîneur du Canada.

« Jesse Marsch, c’est un très bon communicateur, dit l’ancien numéro 8 au bout du fil. Moi, j’ai eu des moments au début que l’on pourrait qualifier de tendus ou turbulents, parce que je n’ai pas joué beaucoup. Ce que je retiens, c’est qu’il a toujours maintenu les lignes de communication. Il était clair pour dire sa position. »

Le temps qu’il a passé à Montréal a été un moment charnière pour Jesse Marsch.

« J’ai beaucoup appris sur la culture canadienne, estime-t-il. J’avais presque commis l’erreur de penser que le Canada et les États-Unis, c’était très similaire ! Quand j’ai commencé à vivre et travailler au Canada, j’ai compris que c’était très différent. La plus grande différence, c’est que, bien que nous nous considérions comme multiculturels aux États-Unis, il y a beaucoup de pression pour que nous soyons américains. »

Être Canadien, ça veut dire tellement plus, c’est plus complexe. On permet pas mal plus aux gens d’exprimer qui ils sont, par leur origine et leur personnalité.

Jesse Marsch

Ce qui nous amène à son apprentissage du français. Dès son premier jour à Montréal, ou presque, il a senti qu’il allait devoir en faire son devoir.

« Je me souviens de ma première conférence de presse, raconte-t-il. J’avais eu des cours de français à l’école, alors j’avais des bases. Le journaliste, je pense que c’était Philippe [Cantin, de La Presse], m’a demandé si j’allais apprendre le français. J’ai dit oui. Il a dit : “Qu’est-ce qui vous rend différent de tous les autres anglophones qui disent vouloir apprendre le français en arrivant à Montréal ?” »

« J’ai dit : “Je te donne ma parole que je vais essayer.” Il m’a presque mis au défi, et je réponds mieux à la critique qu’aux compliments ! J’ai pris cela au sérieux. »

Marsch est embauché en août 2011. L’Impact de Montréal diffuse, le 7 mai 2012, une vidéo montrant l’entraîneur se débrouillant assez bien dans la langue de Vigneault au côté de son professeur Louis-André Bastien. En voici un extrait.

En quête d’une « identité commune »

Lors de sa présentation au côté du secrétaire général de Canada Soccer, Kevin Blue, la veille, La Presse a demandé à Marsch comment se portait son français, aujourd’hui.

« Très mauvais ! », a-t-il répondu en riant, ajoutant par la suite qu’il avait « bien sûr » l’intention de reprendre son apprentissage.

« Ça m’a permis de m’intégrer à la communauté et de représenter ce qu’elle estime important. J’ai essayé de faire ça au cours de ma propre vie. »

Après son départ de Montréal et ce que plusieurs ont décrit comme des divergences d’opinions avec le propriétaire Joey Saputo – plus ça change… –, les Marsch sont partis faire le tour du monde. Leur blogue, mis à jour pour la dernière fois en septembre 2013, est toujours en ligne.

Le voyage illustre pour Jesse Marsch « ce que représente le football ». Comment la culture, la langue, la nourriture font partie de l’identité de chaque individu, explique-t-il.

« Je dis toujours : “Comment ces différences peuvent-elles nous rendre plus forts, et non plus faibles ?” C’est normal que si des choses nous rendent mal à l’aise, nous soyons tentés de les repousser. Ce qui est important, c’est qu’à travers nos différences, on crée une identité commune, et on trouve ce qui nous unit en tant que groupe. »

« Maximiser le potentiel » des individus

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jesse Marsch avec l’Impact de Montréal en 2012

Jesse Marsch a eu du succès avec les Red Bulls de New York, les menant au Supporters’Shield en 2015, ce qui lui a valu le titre d’entraîneur de l’année en MLS. Il a ensuite fait son chemin dans la grande organisation des Red Bulls. Il est passé par Salzbourg, en Autriche, où il a connu ses plus grands succès jusqu’à maintenant, avec quatre titres en deux ans. Avec Leipzig, en Allemagne, ça a été plus succinct : il a quitté le club d’un commun accord en décembre après une fiche de sept victoires, quatre matchs nuls et six défaites à sa première saison à la barre.

Arrivé en Premier League en février 2022, il est parvenu à sauver Leeds de la relégation cette année-là, puis a été limogé un an plus tard.

Grâce à son « éducation » et à ses « expériences », il se dit aujourd’hui « pas mal différent » de l’entraîneur qu’il était à Montréal en 2012.

« Il ne s’agit pas seulement d’être entraîneur de soccer, dit-il. Il faut apprendre à mieux connaître les gens et les amener à devenir la meilleure version d’eux-mêmes. Si on maximise le potentiel de qui ils sont en tant que personnes, cela va se refléter sur la façon dont ils jouent au soccer. »

Biello… et Bernier ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Mauro Biello

Depuis le départ de John Herdman, c’est Mauro Biello qui a été à la tête de la sélection, à titre intérimaire. Biello est encore membre de Canada Soccer, nous confirme-t-on. Et Jesse Marsch affirme lui avoir parlé depuis l’annonce de sa nomination, lundi. Les deux ont travaillé ensemble à Montréal, à l’époque.

« C’était bien de prendre de ses nouvelles, de lui parler de sa famille, et de voir Alessandro jouer son premier match avec le CF Montréal… puisque ça ne s’appelle plus l’Impact de Montréal ! On a parlé de la possibilité de retravailler ensemble dans l’avenir. On va voir comment ça va se passer. J’espère continuer d’avoir ce dialogue avec lui. »

Patrice Bernier, justement, pourrait-il être considéré pour intégrer son personnel d’entraîneurs ?

« Je n’avais pas pensé à Patrice ! C’est une bonne idée [this is a good shout] ! Je dois le contacter de toute façon, pour prendre de ses nouvelles. »

Marsch concède néanmoins qu’il doit « naviguer » à travers des « ressources financières » serrées, et trouver une façon de les « maximiser ». En d’autres mots : « On ne peut pas faire tout ce qu’on veut d’un seul coup, il faut établir un processus et s’y fier. »