L’équipe canadienne masculine de soccer disputera l’un des matchs les plus importants de son histoire, samedi après-midi, contre Trinité-et-Tobago au Texas. Une victoire, et elle obtient son billet pour la Copa América ainsi qu’un affrontement contre l’Argentine de Lionel Messi. Une défaite, en revanche, se solderait par une amère désillusion. Portrait de cette rencontre cruciale.

L’enjeu

Ce n’est pas compliqué : le Canada n’a pas disputé un match avec un enjeu aussi grand depuis la Coupe du monde de 2022.

Mais pourquoi la victoire est-elle si importante samedi ? C’est qu’il s’agit de la dernière chance qu’a l’unifolié pour se qualifier à la Copa América de l’été prochain.

Ce tournoi, c’est l’équivalent de l’Euro pour la fédération sud-américaine de soccer (CONMEBOL). En 2024, la Copa sera exceptionnellement disputée aux États-Unis, et accueillera des équipes de la CONCACAF pour la première fois en huit ans. Les États-Unis, le Mexique, le Panamá et la Jamaïque (nous y reviendrons) y sont déjà qualifiés.

Vous comprendrez donc qu’une occasion comme celle-là, soit celle de jouer contre de grandes nations comme l’Argentine, le Brésil ou l’Uruguay, dans un contexte compétitif qui plus est, ne se présente pas toutes les années. Surtout que le Canada, qui n’a pas eu l’impact désiré au Qatar, voudrait bien profiter de ce tournoi pour se préparer en vue du Mondial qu’il accueillera en partie en 2026.

On a nommé quelques sélections sud-américaines en exemple, mais il y en a une qui offre aux Rouges un objectif bien concret : s’il se qualifie, le Canada tombera dans le groupe de l’Argentine. Samuel Piette croiserait donc le fer avec Lionel Messi sur la plus grande scène du soccer de l’Amérique, pour le tout premier match du tournoi, le 20 juin prochain à Atlanta. Le groupe A est complété par le Pérou et le Chili.

Une rencontre cruciale, que l’on disait.

Comment en est-on arrivé là ?

La vérité, en revanche, c’est que la simple participation du Canada à cette rencontre éliminatoire contre Trinité-et-Tobago est le résultat d’un cuisant échec.

Reculons à novembre dernier. En quarts de finale de la Ligue des nations contre la Jamaïque, la troupe de Mauro Biello remporte 2-1 le match aller à Kingston. Elle n’a qu’à l’emporter au total des buts dans le cadre du match retour au BMO Field de Toronto pour passer en demies et ainsi se qualifier directement à la Copa.

Le Canada s’incline 3-2, chez lui, encaissant tous les buts lors d’une période de 15 minutes d’horreur en deuxième mi-temps. Il est éliminé au total des buts (4-4) en vertu du bris d’égalité des buts marqués à l’extérieur. On a cru revoir l’ancien Canada, celui qui enchaînait les résultats décevants, celui qui était à des années-lumière de se qualifier à des Coupes du monde, peu importe laquelle au cours des trois dernières décennies.

Le 23 mars 2024 semblait bien loin, à ce moment.

Une nouvelle vague

Entre novembre et aujourd’hui, des décisions ont été prises par le sélectionneur par intérim Mauro Biello. Exit le gardien Milan Borjan, exit le défenseur Steven Vitória, au revoir Mark-Anthony Kaye, pas de Junior Hoilett : tous ces vétérans ont été des piliers de l’équipe au cours de la dernière décennie. Aujourd’hui, place aux jeunes… dont de nombreux Québécois !

C’était déjà l’effectif le plus jeune pour l’équipe masculine depuis 2019. Puis, Jonathan Osorio, âgé de 31 ans, a dû céder sa place pour cause de blessure – le milieu Liam Fraser le remplace. Ce qui veut donc dire que tous les joueurs canadiens qui ont fait le déplacement à Frisco, au Texas, pour ce match sont âgés de moins de 30 ans.

De ces 23 joueurs, 6 sont du Québec : Mathieu Choinière, Maxime Crépeau, Ismaël Koné, Samuel Piette, Jonathan Sirois et Moïse Bombito. Ajoutons à cette liste le Montréalais de profession Joel Waterman, ainsi que le Montréalais de seconde génération Luc de Fougerolles.

PHOTO BRAD PENNER, USA TODAY SPORTS

Le gardien québécois Maxime Crépeau

Et puisque Borjan ne fait plus partie des plans d’avenir de la sélection, le titre de gardien titulaire revient – enfin, diront certains – à Crépeau. Jonathan Sirois vient s’insérer dans la formation au poste de troisième portier, derrière Dayne St. Clair.

Koné et Piette sont déjà des piliers au milieu de terrain. Mais quel rôle donnera-t-on à Mathieu Choinière ? Le produit de l’Académie de l’Impact devrait finalement avoir une chance de se faire valoir sous le maillot canadien. Au minimum pour ce match et, on le lui souhaite, pour l’avenir rapproché.

Un test ultime pour Mauro Biello

Oui, vous avez bien lu plus haut : l’étiquette « par intérim » est encore accolée à Mauro Biello. Et on estime que Trinité-et-Tobago est son dernier examen avant que la décision de le garder, ou non, soit prise.

Biello est sélectionneur intérimaire depuis le départ de John Herdman pour le Toronto FC, en septembre dernier. Il fallait attendre qu’un secrétaire général soit embauché chez Canada Soccer avant d’y aller d’une décision dans le cas de l’entraîneur québécois, disait-on à la fédération. Cette embauche devait avoir lieu autour de Noël. Il a finalement fallu attendre au 29 février dernier pour que Kevin Blue soit nommé, avec quelques détours entre-temps.

PHOTO MICHAEL PEREZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le sélectionneur intérimaire de l’équipe canadienne masculine de soccer, Mauro Biello

À une vingtaine de jours de cette rencontre, il est évidemment impossible de procéder à un changement d’entraîneur. Même que l’on se demande si l’échéance sera aussi trop rapprochée d’ici à la Copa América pour un tel changement de garde à la tête du programme. Et rendu à l’été 2024, ne serait-on pas mieux de continuer de bâtir avec Mauro Biello d’ici à 2026, pour deux années qui s’annoncent occupées, au lieu de repartir à zéro avec un tout nouveau candidat ?

Et tout ça, c’est sans parler du bourbier financier dans lequel baigne la fédération actuellement. On peut supposer qu’un candidat d’envergure pour venir prendre en charge un tel projet ne le ferait pas au rabais.

À moins d’une catastrophe contre Trinité-et-Tobago, et compte tenu du temps passé et à venir, les chances de Mauro Biello de rester à la tête de l’équipe masculine sont de plus en plus belles.

Quel défi devant le Canada ?

Encore faut-il que ses joueurs adhèrent au projet. Le Canada a une très grande occasion d’en faire une démonstration, samedi après-midi.

Et justement, Trinité-et-Tobago, ça donne quoi ? Ce petit pays composé de deux îles et situé au large du Venezuela est probablement mieux connu pour son carnaval, sa musique soca et ses plages que pour son soccer. Son 96rang au classement de la FIFA en est un exemple. Le Canada, pour sa part, est 50e.

Mal avisé serait celui qui sous-estimerait les Soca Warriors, cela dit. Les États-Unis en ont fait les frais en 2018 : une défaite de 2-1 face à Trinité-et-Tobago en qualification avait privé les Américains d’une participation à la Coupe du monde de Russie. Vous vous imaginez le traumatisme chez eux.

Encore à l’automne, les Trinidadiens ont battu nos voisins du Sud 2-1 lors du match retour à Port-d’Espagne en Ligue des nations, ce qui n’a toutefois pas été suffisant pour combler le déficit du match aller (4-2 au total).

Reon Moore et Alvin Jones, rappelés pour le match contre le Canada, avaient marqué en novembre. Levi et Judah Garcia sont deux frères qui évoluent ensemble avec l’AEK Athènes, en première division grecque. Ajani Fortune, d’Atlanta United, est le seul joueur MLS du lot.

Il y a un net écart de talent avec les Alphonso Davies (Bayern Munich), Jonathan David (Lille), Stephen Eustáquio (FC Porto), Tajon Buchanan (Inter Milan) et les 11 MLSiens du groupe de Biello, c’est vrai. Mais l’occasion est trop grande, trop belle pour la laisser passer.

Parce que la préparation pour la Coupe du monde 2026 commence samedi.

Canada c. Trinité-et-Tobago, OneSoccer et FuboTV, samedi à 16 h.