(Orlando) « À partir du moment où le nouvel entraîneur et ses idées sont arrivés, je me suis dit : OK. Là, on s’en va quelque part. Et je pourrai être fier de ce qu’on accomplit. Un jour, je pourrai me dire que j’ai fait partie de ce groupe qui a aidé les jeunes joueurs à grandir, à aller plus loin. Et l’équipe aura bien performé également. C’est ce à quoi je suis destiné. C’est ce que je veux représenter. »

On est presque pris de court par l’éloquence de Victor Wanyama. On le savait heureux, le vétéran kényan. On avait remarqué son plaisir retrouvé de jouer au soccer en cette présaison. Mais peut-être pas autant.

Ces propos, il les formule devant La Presse en matinée, alors que des familles tout droit sorties de la série Big Little Lies se préparent à quitter cet hôtel d’Orlando vers les différents parcs de Disney World.

Wanyama et ses coéquipiers viennent de déjeuner. Certains se dirigent vers un entraînement matinal. Lui reste, tout comme une vingtaine de ses collègues qui disputeront le match préparatoire contre les Rapids du Colorado en après-midi.

Lors de ses interventions avec les médias montréalais au fil des années, le milieu de terrain de 32 ans a toujours parlé avec honnêteté, bien qu’on ait aussi senti une certaine timidité devant les micros. L’impression qu’une discussion plus décontractée lui permettrait de s’ouvrir un peu plus se dégageait. Elle s’est confirmée au cours de notre entretien d’une quinzaine de minutes en Floride.

« Pour être honnête, je suis reconnaissant d’avoir une autre occasion d’être avec cette équipe, dit-il. De jouer et de travailler avec ce groupe. »

« Aider » plutôt que « bouder »

Il ne s’agit pas de paroles en l’air. Ses déboires de 2023 ont été bien documentés. Après un début de saison occupé sous Hernán Losada – 21 départs en 23 matchs, toutes compétitions confondues –, il a pratiquement été ignoré par l’Argentin de juillet jusqu’au fil d’arrivée.

« C’était vraiment difficile, se confie-t-il. Je sentais que beaucoup de choses plombaient le groupe. On ne pouvait pas grandir en tant qu’équipe. Je suis un gars qui va toujours élever sa voix [dans ces circonstances]. Je ne vais pas laisser cela tuer l’équipe. Et quand j’ai dit ma façon de penser, quelqu’un n’a pas aimé ça. »

Wanyama commence par ne pas vouloir nommer Losada directement. Mais rapidement, le « quelqu’un » est devenu « il », « lui ».

L’individu qui était dans une position de corriger la situation n’a pas aimé ça. Et la seule punition qu’il pouvait me donner, c’était de ne pas me faire jouer. Mais selon moi, ce n’est pas moi qu’il punissait, c’était le groupe. C’étaient les jeunes joueurs qui voulaient grandir.

Victor Wanyama

Le cocapitaine du CFM assure que physiquement, « tout allait bien ». Qu’il se battait convenablement pour son poste au milieu de terrain à l’entraînement.

« J’ai même eu quelques rencontres avec lui, pour lui demander ce que je faisais de mal, et voir ce qu’il avait à dire. Il n’avait pas de réponse. C’était comme ça. Tu peux comprendre pourquoi il y avait de la tension. »

T’inquiètes, Victor. C’était clair comme de l’eau de roche déjà il y a quelques mois, au bilan de fin de saison 2023. À l’époque, Losada s’était défendu d’avoir écarté Wanyama en soulignant l’ascension de Nathan Saliba.

« Oui, j’ai pris une décision très difficile, avait énoncé le prédécesseur de Laurent Courtois. Ce n’est pas facile de mettre un gars comme lui sur le banc. Mais je croyais fermement qu’un joueur de l’Académie méritait d’avoir les minutes. »

« Parfois, c’est difficile d’accepter qu’un joueur plus jeune soit juste meilleur que toi », avait-il ajouté.

Wanyama assure qu’il n’a jamais laissé sa frustration transparaître auprès de ses coéquipiers, voulant plutôt démontrer son « professionnalisme ».

PHOTO JEAN-FRANÇOIS TÉOTONIO, LA PRESSE

Le milieu de terrain Victor Wanyama au camp d’entraînement du CF Montréal

« J’ai essayé de me rallier derrière les gars, affirme-t-il. De les rendre heureux, même si je ne l’étais pas, dans le but de nous qualifier pour les séries. Il fallait aider l’équipe, pas arriver à l’entraînement en boudant. »

« Il donne l’exemple »

Comment s’y est-il pris ?

« Il est aimé de tout le monde dans le vestiaire, lance Samuel Piette en souriant lorsqu’on l’interroge sur son collègue au milieu de terrain. Ce n’est pas un gars qui a plein de blagues dans son chapeau, mais il a la remarque facile pour faire rire. »

« J’essaie de plaisanter de temps en temps et de rendre les gens heureux, raconte Wanyama. J’aime détendre l’atmosphère. Je vois les gars silencieux ou un peu nerveux au fond de la salle, et je veux les faire sourire. »

Cette qualité fédératrice n’est pas passée inaperçue chez Laurent Courtois.

« L’expérience qu’on peut attribuer à Victor, c’est la reconnaissance après une carrière déjà étoffée, dit l’entraîneur-chef. D’être dans un environnement où tu peux être toi-même, vu pour ce que tu apportes en matière de valeurs humaines et de joueur. »

Courtois complimente la « gestion » et la « vision dans les décisions » du joueur désigné sur le terrain. Il parle également d’une « justesse » dans ses choix et dans son « positionnement ».

Tu sens que c’est quelqu’un qui a déjà voyagé. Parfois, on utilise ce mot, « expérience », et on dit ça juste parce qu’il est plus âgé que les autres, et ça ne veut rien dire. L’expérience de Victor, c’est son humilité à apprécier où il est, avec qui il est, à pouvoir faire ce qu’il aime le plus au monde. C’est pour ça qu’il donne l’exemple chaque fois.

L’entraîneur-chef Laurent Courtois

Encore de la congestion au milieu

Le non-dit jusqu’ici dans cet article, c’est la possibilité bien réelle… que Victor Wanyama se retrouve à nouveau sur le banc cette saison.

Au milieu de terrain, il y a évidemment Samuel Piette, qui joue à la même position défensive. Nathan Saliba voudra prendre encore plus de galon. Mathieu Choinière se définit aujourd’hui officiellement comme un milieu. Rida Zouhir veut percer l’effectif. Ilias Iliadis est encore avec l’équipe en cette présaison. Bryce Duke et Dominik Iankov, bien que plus avancés sur l’échiquier, contribuent aussi à cette congestion.

« Je pense qu’on a tous des raisons valables pour jouer, croit Piette. On a tous nos qualités, nos défauts aussi. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on a tous des profils différents. Ça va vraiment dépendre de ce que l’entraîneur veut. […] Cette concurrence est vraiment saine et [se vit] avec beaucoup de respect. On s’entend tous bien. Ça fait en sorte qu’à l’entraînement, on se pousse tous. »

De toute façon, Wanyama ne s’en fait pas trop.

« Si tout le monde est compétitif [à l’entraînement], alors tout le monde aura sa chance, estime-t-il. En attendant ton tour, tu dois être positif et soutenir tes coéquipiers. C’est ce que je vais faire cette saison. C’est ce que tout le monde devrait faire. Et si on le fait bien, alors je ne nous vois pas échouer. »

Quand on vous parlait d’éloquence.