(Auckland, Nouvelle-Zélande) Julie Ertz était à la course.

Par une matinée ensoleillée du mois de mai, la défenseure de l’équipe américaine de soccer s’est levée aux aurores pour habiller et nourrir son bébé, Madden, et le préparer pour un voyage. Puis, en se dépêchant, elle a pris son équipement et s’est rendue à une réunion avec son équipe de la Ligue nationale féminine de soccer (NWSL), suivie de plusieurs heures d’entraînement.

Dès la fin de l’entraînement, Julie Ertz a couru à sa voiture, pour aller déposer sa belle-mère et Madden à l’aéroport de Los Angeles dans un vol à destination de Phoenix, en Arizona. À leur domicile, le mari d’Ertz, l’ailier rapproché des Cardinals de l’Arizona Zach Ertz, a pris en charge les tâches parentales, tandis que Julie et son équipe, le FC Angel City, de la NWSL, partaient disputer un match sur la côte Est.

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Julie Ertz (à droite), lors du match opposant les États-Unis aux Pays-Bas jeudi dernier

Dans les semaines qui ont suivi, il y a eu d’autres journées aussi chargées : adieux à l’aéroport, retrouvailles heureuses, séances d’entraînement et voyages en voiture. Bien du temps loin du bébé et du mari. Durant l’entrevue pour cet article, alors que Mme Ertz, 31 ans, décrivait ce calendrier fou et tout ce qu’elle doit faire pour jouer au soccer et être mère, ses yeux se sont remplis de larmes.

« Je ne savais pas si je reviendrais », dit-elle à propos de son retour au soccer quelques mois seulement après la naissance de son premier enfant. Elle voulait participer à sa troisième Coupe du monde.

J’ignorais si ce serait possible, en termes logistiques. Les athlètes ne veulent pas raccrocher les crampons. Mais quand on devient mère, toute la vie change.

Julie Ertz

La maternité impose des restrictions, peu importe l’occupation. Mais il y a aussi des conséquences professionnelles : emplois perdus, promotions manquées et même carrières prometteuses sacrifiées après avoir réalisé les limites de la conciliation travail-famille : il y a rarement assez d’heures dans la journée pour se donner à 100 % aux deux.

C’est la même chose pour les joueuses de soccer de haut niveau comme Julie Ertz et les autres mères participant à la Coupe du monde en Australie et en Nouvelle-Zélande. Ce groupe compte aussi deux autres membres de l’équipe américaine, Alex Morgan et Crystal Dunn, et des joueuses de pays comme la France, l’Allemagne et la Jamaïque.

Ces athlètes professionnelles ont passé leur vie à s’entraîner, à peaufiner leurs performances, à planifier leur carrière. Bref, à se concentrer sur elles-mêmes. Avoir des enfants change la donne. « Désormais, plus de sieste si j’en ai envie », a déclaré Crystal Dunn, mère de Marcel, qui a 1 an.

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Crystal Dunn, membre de l’équipe nationale féminine des États-Unis, tient son fils Marcel dans ses bras après un match préparatoire le 9 juillet dernier.

Les joueuses qui ont choisi de s’éloigner du sport pour avoir un bébé se sont toutes posé les mêmes questions difficiles : Mon corps sera-t-il le même ? Serai-je aussi concentrée ? Aurai-je même envie de revenir ?

Or, le soccer féminin connaît un regain d’intérêt et d’investissement qui a professionnalisé le jeu, augmenté les revenus et rendu plus difficile de garder sa place au sein des meilleures équipes. Les joueuses qui veulent des enfants font face à une nouvelle question :

Quelle est la place des mamans dans le soccer d’élite ?

Choix difficiles

Casey Krueger, défenseure de l’équipe américaine depuis 2016, pensait pouvoir revenir à temps pour la Coupe du monde. Enceinte en 2021, il lui restait près de deux ans avant la compétition. Mais après avoir accouché d’un petit garçon en juillet 2022, elle s’est inquiétée de ne pas être sélectionnée.

Une césarienne d’urgence ayant compliqué l’accouchement, elle a travaillé avec une thérapeute du plancher pelvien pour accélérer son retour. En avril, les choses allaient bon train. Lors d’un match amical contre l’Irlande, Casey Krueger avait retrouvé son niveau d’avant la grossesse.

Mais elle n’a pas été sélectionnée. Pendant son absence, d’autres joueuses l’ont devancée. Elle suit la Coupe du monde à la télé.

« J’étais prête à prendre ce risque », a expliqué Casey Krueger, tenant son fils dans ses bras, durant une entrevue tenue avant que la sélection soit annoncée. « Mais dès qu’on voit ce visage adorable, on se rend compte que rien ne dépasse ça. »

Partout au monde, des joueuses prennent ce risque, ou du moins assument leur choix. Ainsi, l’ex-milieu de terrain américaine Carli Lloyd a déclaré qu’elle a cessé de jouer avant 40 ans parce que son mari et elle voulaient fonder une famille. Une autre Américaine, Becky Sauerbrunn, a décidé de faire congeler ses ovules en 2022 et de poursuivre sa carrière.

La milieu de terrain allemande Melanie Leupolz participe à la Coupe du monde après avoir accouché en 2022, mais pas son ancienne coéquipière, la gardienne Almuth Schult, qui est enceinte de son troisième enfant. La Jamaïque compte deux mères dans son effectif. Une d’elles, Cheyna Matthews, a trois fils. Dans une vidéo publiée avant la Coupe du monde, elle a retenu ses larmes en racontant qu’un de ses garçons lui demande toujours pourquoi elle doit s’absenter pendant « trop de jours ».

« Ça fait beaucoup de sacrifices », a-t-elle ajouté.

Comme une deuxième famille

Selon U.S. Soccer, l’instance dirigeante de ce sport aux États-Unis, 17 mères ont joué dans l’équipe nationale, la première étant Joan Dunlap au milieu des années 1980.

Alex Morgan, l’attaquante vedette des États-Unis, et son mari, l’ancien joueur Servando Carrasco, ont l’aide d’une nounou pour s’occuper de leur fille de 3 ans, Charlie. Mais Morgan, 34 ans, préfère emmener Charlie lors de ses déplacements avec l’équipe américaine. Elle installe un lit gonflable et sa fille dort près d’elle à l’hôtel.

Il faut s’occuper de l’enfant dès qu’on n’est pas sur le terrain, au gym ou en réunion. Ça devient plus facile avec le temps. Ou peut-être que non et qu’on s’habitue à porter plusieurs chapeaux tout le temps.

Alex Morgan

Parfois, les « tantes » au sein de l’équipe agissent comme gardiennes non rémunérées. Ces coéquipières constituent la famille élargie informelle dont dépendent plusieurs joueuses. Après un match amical le printemps dernier, Charlie a tiré sur le short de sa mère alors qu’elle cherchait en vain la défenseure Emily Fox. « Où est Foxy ? demandait Charlie. Je veux Foxy ! »

Mais les tantes ne peuvent pas tout faire. Alors depuis des années, U.S. Soccer paie des nounous durant les voyages. Cela est arrivé sous la pression des premières mères de l’équipe, mais au fil du temps, un soutien accru a été intégré à la convention collective de l’équipe, qui couvre des frais de voyage des enfants et des personnes qui s’occupent d’eux. Dans le camp américain, en tout cas, les mères peuvent mieux se concentrer sur leur travail.

Cinq mères, un record, étaient présentes au camp d’entraînement de l’équipe américaine en avril. Des chaises hautes étaient placées à côté des tables à manger et il y avait des poussettes dans l’hôtel où logeait l’équipe. Lors des matchs préparatoires au printemps, les enfants des joueuses avaient leur propre suite : sur la porte, on pouvait lire un panneau indiquant « USA NANNIES ».

Soutien mitigé

Les accommodements pour les mères sont de plus en plus courants, mais le caractère impitoyable du soccer est parfois encore visible, en particulier en Europe, où le concept est plus récent.

« La mentalité était que grossesse égale la fin de notre carrière », a déclaré Almuth Schult au média allemand Deutsche Welle. « Personne n’était préparé à la présence d’enfants. »

En 2021, l’Islandaise Sara Björk Gunnarsdóttir a pris un congé de maternité. Son équipe, l’Olympique Lyonnais, a refusé de lui verser l’intégralité de son salaire. Avec l’aide de la FIFPro, le syndicat mondial des joueurs, elle a poursuivi la FIFA, l’instance dirigeante du football mondial, et a obtenu un jugement historique.

Il est temps que les équipes se réveillent.

Sara Björk Gunnarsdóttir

Sarai Bareman, cheffe du soccer féminin à la FIFA, a contribué à l’élaboration de nouvelles règles. Les joueuses ont droit à un congé de maternité de 14 semaines rémunéré aux deux tiers du salaire ; leurs équipes doivent les reprendre à leur retour. Aujourd’hui, Mme Bareman, ancienne joueuse, est elle-même mère d’un bambin qu’on peut voir courir autour de l’hôtel principal de la FIFA à Auckland pendant la Coupe du monde.

Selon Sarai Bareman, huit joueuses ont inscrit leurs enfants auprès de la FIFA pour qu’ils accompagnent leurs équipes lors de la Coupe du monde. Plusieurs autres mamans de soccer ont pris elles-mêmes leurs dispositions. Le soutien qu’elles reçoivent – tout comme leur visibilité – était peu commun il y a une dizaine d’années.

« D’après moi, c’est l’Amérique du Nord qui est à l’origine de ça. Des joueuses retournant au jeu après avoir donné naissance ont été très médiatisées, dit-elle. Honnêtement, je pense que ça a encouragé beaucoup de joueuses dans le monde à dire tout haut que, oui, elles ont aussi des enfants. Leurs enfants sont là. C’est une partie essentielle de leur vie. »

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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