Notre journaliste Jean-François Téotonio poursuit son long voyage un peu partout autour du globe. Il sera de retour à son poste, dans nos écrans, en septembre prochain. De l’Afrique du Sud, il vous propose de vivre un match de soccer comme si vous y étiez.

Le rythme des chants est lent, mais soutenu. Lorsque les Chilli Boys s’approchent du filet, le tempo augmente. Comme des pulsations cardiaques. On tape du pied, des mains, tout en maintenant la cadence – et la mélodie, enjouée, belle. La foule de 4000 personnes, regroupées dans un côté du Nelson Mandela Bay Stadium, remplit à sa façon cette enceinte pouvant en accueillir 46 000.

Nous sommes en Afrique du Sud, à Port Elizabeth, dans un stade bâti pour la Coupe du monde de 2010. C’est grand, trop grand pour le modeste Chippa United. Mais en ce glorieux dimanche de l’été sud-africain, sur la côte sud du pays, l’enjeu n’est pas là.

Le groupe de supporteurs – installé dans les premières rangées devant la ligne médiane du terrain – danse et chante pour sortir les Chilli Boys de leur marasme en Premier Soccer League (PSL). Aucune victoire en sept matchs. De l’autre côté, Maritzburg United, établi à Pietermaritzburg, dans l’est du pays. Deux clubs de milieu de classement en première division sud-africaine.

De part et d’autre, en matière de qualité et de frénésie partisane, on est loin des grands Kaiser Chiefs et des Pirates d’Orlando, tous deux du township de Soweto, en banlieue de Johannesburg. Ces rivaux historiques dominent le championnat depuis des décennies. Cette année, les Sundowns de Mamelodi, troisième membre du Big Three en Afrique du Sud, s’envolent avec le titre.

PHOTO JEAN-FRANÇOIS TÉOTONIO, LA PRESSE

La foule s’échauffe dans le « Sunflower »…

Au chapitre de l’ambiance, le journaliste montréalais craignait le pire avant l’entame du match. Les partisans étaient dispersés. Silencieux. Lorsque la musique s’éteignait temporairement, l’écho des dernières notes résonnait longuement, de façon caverneuse, dans le Nelson Mandela Bay Stadium. Treize années s’étaient écoulées depuis le match pour la troisième position disputé ici lors du Mondial 2010, entre l’Uruguay et l’Allemagne (3-2 pour la Mannschaft). Même si d’autres évènements sportifs et culturels y sont tenus régulièrement, on commençait à s’imaginer un après-midi sans histoire.

Mais il suffisait que l’arbitre pose ses lèvres à son sifflet pour éteindre les doutes. Les chants et les danses ont commencé instantanément.

À noter que tous les billets sont vendus en admission générale, à 40 rands sud-africains chacun. Ce qui équivaut à trois dollars canadiens (et la bière est encore moins chère). Donc, dès que le capo du groupe de supporteurs lance la machine, d’autres le rejoignent. Ils étaient au départ une quinzaine devant la ligne médiane. Rapidement, le collectif grossit ses rangs à 20, 30, 40, 50 personnes. Ils en attirent d’autres continuellement, plus l’équipe devant fait monter l’énergie dans les gradins.

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La foule sous un ciel radieux de l’été sud-africain

Chippa donne une belle performance. Du soccer positif, offensif. Ce n’est pas le niveau de la MLS, mais il demeure très respectable. Les Chilli Boys accumulent les occasions, offrant un match divertissant. Finalement, à la 58e minute, ils prennent les devants 1-0, et l’emporteront par cette marque. Les partisans et les deux seuls touristes présents – facilement reconnaissables par la couleur de leur peau – repartent le sourire aux lèvres.

Un amour du sport, bien malgré l’apartheid

Parce que le soccer, historiquement, a été le sport des Noirs en Afrique du Sud. Bien que des Blancs y jouent – le capitaine de Chippa, Roscoe Pietersen, est un Sud-Africain caucasien – et s’y intéressent, le rugby leur tient généralement plus à cœur. Et a toujours bénéficié de plus de financement, évidemment en raison de l’apartheid.

Du début à la fin de ce régime, la ségrégation raciale touchait toutes les sphères de la société. Le sport compris. La législation obligeait les Blancs et les Noirs à jouer dans des ligues distinctes. Les Blancs avaient leurs équipes (Hellenic, Wits University), leurs ligues. Les Noirs et non-Blancs avaient les leurs (les Kaiser Chiefs, les Pirates d’Orlando). On vous laisse deviner lesquels recevaient le plus de soutien institutionnel et financier.

Néanmoins, la population opprimée par la minorité blanche en Afrique du Sud a trouvé dans le soccer une façon de se regrouper. Et d’échapper, au moins pour quelques heures, aux strictes lois ségrégationnistes.

Un stade occupé en 2010

Non, le Nelson Mandela Bay Stadium n’est pas nommé directement en l’honneur du premier président noir de l’Afrique du Sud. Il tient plutôt son nom du district dans lequel il a été construit, soit Nelson Mandela Bay. Sa structure distincte, dont les pétales métalliques sont discernables à des kilomètres à la ronde à Port Elizabeth, lui a valu le surnom de « Sunflower », ou tournesol, par les locaux.

En plus du match pour la troisième place, l’enceinte a accueilli huit rencontres de la Coupe du monde en 2010, dont un huitième de finale (Uruguay 2 – Corée du Sud 1) et un quart de finale (Pays-Bas 2 – Brésil 1).