(Doha) Apôtre du collectif et du résultat, meneur d’hommes pointilleux et pragmatique, Didier Deschamps étoffe au Mondial-2022 son immense palmarès, le plus beau du football tricolore. Dans son sillage, toute une génération de Français s’habitue à la victoire.

Il est le capitaine de la première étoile, celle de la Coupe du monde 1998 en France, et le sélectionneur de la deuxième, vingt ans plus tard en Russie. Et, peut-être, celui de la troisième s’il domine l’Argentine dimanche (16 h) en finale au Qatar.

La compétition reine a souvent fait pleurer les supporters français, sonnés par le traumatisme de la « nuit de Séville » en demi-finale de l’édition 1982 ou le cruel France-Bulgarie des qualifications ratées en 1993.  

L’histoire s’est retournée, la France a appris à soulever des trophées et disputer une finale mondiale devient une habitude : dimanche, ce sera la quatrième en sept éditions.

Deschamps incarne cette nouvelle France, pas toujours belle à voir jouer, mais qui gagne. Avec lui, sur le terrain ou sur le banc, les Bleus ont gagné deux Mondiaux, un Euro, une Ligue des nations.

Avec lui comme capitaine, l’Olympique de Marseille a inscrit son nom au palmarès de la Ligue des champions, en 1993, un exploit unique dans le football hexagonal. Et toujours avec lui, comme entraîneur, l’OM a retrouvé les sommets en Championnat, en 2010, après dix-huit ans d’attente.

Même la grande Juventus Turin attend toujours un trophée européen depuis le sacre de 1996, obtenu avec son N.7 !

« Unique en France »

« Il peut être dur, exigeant, mais il a su par son management, par ses échanges, faire durer le plaisir. C’est unique en France », décrit son adjoint Guy Stéphan auprès de l’AFP. « La grande difficulté du haut niveau, c’est de rester tout en haut et lui, il reste tout en haut. Pourquoi ? Parce qu’il est exigeant avec les joueurs, avec lui-même, avec son staff, et parce qu’il gagne ».

À 54 ans, le natif de Bayonne referme au Qatar une décennie à la tête des Bleus, depuis sa nomination sur les ruines du fiasco de Knysna, en 2012, après une parenthèse de deux ans sous Laurent Blanc.

Secoué après l’élimination en huitième de finale de l’Euro en 2021, en fin de contrat, il devrait rempiler pour plusieurs années à son retour à Paris. Le président de la Fédération Noël Le Graët l’adore et lui adore sa fonction, moins usante que la « machine à laver » du poste d’entraîneur, selon sa formule.

« Quand j’ai débuté comme entraîneur, je disais à ma femme que j’aurais fait le tour à 40 ans. Et regardez aujourd’hui ! », s’épanchait « DD » en fin d’année dernière. « Si je pouvais avoir dix ans de plus de ce que je vis aujourd’hui, ce serait l’idéal. Parce que c’est tout ce que j’aime ».

S’il aborde dimanche un 138e match aux commandes de l’équipe de France, un record, Deschamps le doit forcément à une génération exceptionnelle, de Hugo Lloris à Olivier Giroud en passant par Raphaël Varane, Antoine Griezmann, Paul Pogba et plus récemment Kylian Mbappé, les six hommes de confiance de son ère.  

« Le relâchement l’énerve »

Mais l’ancien milieu de Nantes et la Juve, passé près du précipice durant le barrage de 2013 contre l’Ukraine (0-2, 3-0), a su évoluer dans son management pour s’adapter notamment aux nouvelles générations. « Le maître-mot, c’est s’adapter », répète-t-il inlassablement. Avec sept blessures sur la route de Doha, la devise prend tout son sens.

« Sa plus grande qualité pour réussir à durer, c’est justement de ne jamais se relâcher, être très pointilleux, attentif au petit détail. Il sait se remettre en cause aussi », analyse son vice-capitaine Varane. « Ce qui l’énerve, c’est le relâchement ».

Avec le temps, Deschamps le rigoureux a fini par s’adoucir quelque peu tout de même. Il surprend en rappelant Adrien Rabiot et Karim Benzema après une longue mise à l’écart, par exemple.

Souvent décrié pour son conservatisme et sa frilosité, Deschamps a aussi su se remettre en question, appelant la bagatelle de trente novices depuis le titre de 2018.

Il assume aussi, ces derniers mois, un certain déséquilibre défensif pour remporter la Ligue des nations 2021, puis au Qatar, en installant durablement quatre joueurs à vocation offensive dans son équipe-type.

Mais Deschamps n’oublie pas qu’il a construit ses succès sur une solidité défensive sans faille, une culture du résultat devenue légendaire et une immense capacité à souffrir, des ingrédients propres à sa carrière de milieu de terrain travailleur.

Le dialogue et l’esprit de groupe lui servent de phare. « Le plus important pour moi est de connaître le caractère, l’humain, les sensibilités de chacun », assure le technicien, tout en reconnaissant que « le meilleur ciment, cela reste la victoire ».

« Les tops joueurs, dans un Mondial, ils ont plutôt besoin de petits conseils, plus que de beaucoup travailler. Par rapport à cela, il est très fort », explique à l’AFP David Trezeguet. « Deschamps a compris ses joueurs ».