Jason Di Tullio a été le premier à mettre la main sur la médaille du Championnat canadien, remporté par le CF Montréal en novembre dernier. Il n’était pourtant ni sur le terrain ni sur les lignes de côté pendant la rencontre, mais bien dans les gradins, avec sa copine.

C’est que Di Tullio, adjoint de l’entraîneur Wilfried Nancy, affronte depuis six mois l’adversaire d’une vie : un glioblastome de grade 4, la forme la plus agressive du cancer du cerveau.

« J’étais nerveux parce que j’ai perdu un peu la vue à gauche, explique Jason Di Tullio au bout du fil, quelques jours avant Noël. Mais Wilfried, il est comme ça. Il m’a dit : “Voilà, Jay, tu peux y aller.” On a fait le tour du stade Saputo avec la Coupe dans les mains. »

« Le soir, on est allés manger avec le staff pour célébrer un petit peu, raconte-t-il. J’étais émotif. Je veux avoir la chance de lever la Coupe MLS l’année prochaine. Je ne sais pas si je vais être là. Les statistiques disent parfois oui, parfois non. »

Mais l’ancien défenseur de l’Impact de Montréal ne veut pas se laisser influencer par les chiffres. Disons donc simplement que les taux de survie de ce cancer ne sont pas ses plus grandes sources d’espoir.

« J’ai fait l’erreur au début d’aller sur notre ami Google, et ça m’a frappé fort. Ça me frappe encore aujourd’hui. Il y a des journées où je dois me remettre dans le moment présent. »

Il se rappelle son état d’esprit lors de la fête pour les 61 ans de sa mère, qui est assise à côté de lui lors de notre entretien au téléphone. La question s’est posée, dans sa tête : « Est-ce que je vais être là l’an prochain pour célébrer son prochain anniversaire ? »

Préparer son rempart de défense

Le diagnostic est tombé en juin dernier. Il a depuis subi deux opérations pour enlever toute trace visible du cancer. L’entraîneur adjoint du CF Montréal a aussi surmonté six semaines de radiothérapie et de chimiothérapie, en plus d’entamer en octobre un traitement de chimiothérapie par voie orale qui durera six mois. Ces traitements s’inscrivent dans le protocole international lié à cette maladie, encore peu connue des médecins.

La bonne nouvelle, c’est qu’à son dernier test d’imagerie par résonance magnétique, effectué il y a trois mois, « tout était stable », indique Di Tullio.

« Mais le problème avec ce cancer, c’est que ça revient souvent », ajoute-t-il.

L’entraîneur veut donc mettre toutes les chances de son côté. Il organise sa défense comme un gardien prépare son mur pour bloquer un coup franc. Il y a ces pilules de chimiothérapie. Il prend aussi un cocktail de médicaments naturels. Il s’assure d’avoir une bonne nutrition.

Et 18 heures par jour, il porte le casque Optune. Cette technologie aiderait à traiter les gens atteints d’un cancer du cerveau en y émettant des champs électriques qui perturbent le développement des cellules cancéreuses.

PHOTO FOURNIE PAR JASON DI TULLIO

Jason Di Tullio avec le casque Optune, en compagnie de sa sœur Vanessa et de sa mère, Giulia Garofano

« On n’a aucune idée si ça marche ou non, concède Jason Di Tullio. Mais il y a des études en Ontario et aux États-Unis qui disent que ça prolonge la vie des gens qui l’ont porté, par rapport à ceux qui ne l’ont pas porté.

« J’ai cette mentalité maintenant. Je vais tout essayer. C’est peut-être le joueur ou l’entraîneur en moi : je veux toujours trouver des solutions, être assez ambitieux pour essayer des choses même sans savoir si ça va fonctionner. »

« Merci mille fois »

Une campagne de sociofinancement a été mise sur pied, le 3 décembre dernier. C’est qu’autant il veut être prêt financièrement si un traitement dispendieux voit le jour, autant il souhaite aider la recherche pour contrer cette maladie.

Moins d’un mois plus tard, près de 144 000 $ ont déjà été accumulés.

Consultez la page GoFundMe de Jason Di Tullio

« Merci mille fois, dit Jason Di Tullio avec humilité. C’est beaucoup. Je suis touché. Ce sont les messages, aussi. L’argent va peut-être m’aider dans le futur, mais les messages m’aident maintenant. »

La décision d’ouvrir cette page GoFundMe n’est pas venue aisément.

« Ce n’était pas facile pour ma famille et moi, avoue-t-il. Je suis généralement la personne qui aime aider le monde. J’ai une famille très généreuse. Une des valeurs de notre famille, c’est de toujours aider les moins nantis. »

Un objectif d’un million de dollars a été fixé pour la campagne, mais la somme obtenue n’a pas d’importance, selon Di Tullio.

« La priorité, ça va être de garder ça à côté si jamais, malheureusement, le cancer revient, s’il y a [un traitement] dans un autre pays, ou si je dois avoir une infirmière à temps plein pour donner un répit à ma mère.

« Mais honnêtement, comme mon père a dit, on espère ne pas toucher un seul dollar. Si on y touche, c’est parce qu’on donne à la recherche, ou pour aider quelqu’un. »

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Jason Di Tullio et son père, Antonio

« Une équipe incroyable »

À un moment de notre entrevue, nous sentons le besoin de nous adresser à sa mère, assise à ses côtés, maintenant comme depuis six mois. « Vous prenez soin de Jas… ?

— Oui, et je suis fière de le faire ! lance Giulia Garofano, joviale, avant même que notre question ne soit complètement formulée. Depuis l’opération que je vis ici avec lui. Ça va bien. On fait tout ensemble. On s’entend très, très bien. »

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Jason Di Tullio, sa sœur Vanessa, et sa mère, Giulia Garofano

Avec un risque de crise épileptique omniprésent, Jason Di Tullio ne peut rester seul à la maison. Au moins, s’il y a un seul aspect positif à tirer de tout ça, c’est que ça permet à la mère de se rapprocher du fils.

« Oh, mon Dieu, c’est beau ! se réjouit-elle. C’est bien, d’être avec lui. Depuis qu’il est jeune que je ne suis pas avec lui, et là je suis avec lui tous les jours. On a de bons moments, on rit, on pleure. Des fois on se chicane aussi, c’est normal. C’est un bon garçon. »

L’entourage de Jason Di Tullio, « c’est plein de femmes », explique-t-il, un sourire dans la voix. « J’ai ma nièce, ma sœur, ma mère, ma copine, mon père, mon beau-père et ma belle-mère.

« C’était difficile pour moi, au début. J’ai changé la vie de tout le monde ou presque. Mais comme mes parents me disent toujours : on n’avait jamais eu le temps de s’asseoir, de parler et de vivre ensemble. J’ai appris beaucoup de choses de mon père, de ma mère, de ma sœur. On est devenus tellement proches. »

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De gauche à droite : sa nièce Milanna Zaccheo, sa sœur Vanessa Di Tullio, son beau-frère Graziano Zaccheo, sa mère Giulia Garofano, son beau-père Abderrahim Benbarka et Jason Di Tullio

« Pendant les moments difficiles, même moi, je suis un peu difficile. Mais j’ai une équipe incroyable. Je ne pourrais pas être où je suis aujourd’hui sans eux. »

Giulia Garofano corrobore. « Ce n’est pas facile, concède-t-elle, d’une voix chevrotante. Mais je suis une maman très positive. »

Hors champ, son fils s’exclame en riant : « Je dois dire la vérité, je suis le mamma’s boy ! »

« Je fais tout pour lui, continue Mme Garofano, après quelques rires partagés. Je déplacerais des montagnes. Ce n’est pas vrai que je vais rester ici et le voir comme ça sans trouver de l’aide, des solutions.

« Jason me dit des fois : “Maman, t’es forte.” Oui, je suis forte pour toi. Parce que je t’aime beaucoup. C’est l’amour. Il y a des journées où je suis dans ma chambre et j’ai des larmes qui coulent. C’est de mon fils qu’on parle ! »

La Grinta, au quotidien

Jason Di Tullio, dit « La Grinta », est fier de son surnom. Cette expression italienne employée dans le domaine du sport signifie intensité, combativité face aux épreuves. Une attitude dont Di Tullio fait preuve dans sa vie de tous les jours.

En 2017, alors qu’il était adjoint de l’équipe sénior, il avait été emporté par le grand ménage engendré par le congédiement de Mauro Biello.

« Ça m’a brisé le cœur, ce qui s’est passé en 2017. Mais j’ai aussi appris que ça fait partie du business. J’ai continué à travailler sur le métier, en espérant qu’un jour le club ait envie de m’avoir avec lui. »

Sa grinta a porté ses fruits. Il est réembauché à l’Académie du club en 2019, avant d’être finalement rapatrié dans l’équipe première par Olivier Renard et son « ami » Wilfried Nancy, en mars 2021.

Mais depuis son diagnostic, il avoue que ç’a été difficile de retourner dans son environnement de travail.

« Ça touche l’orgueil. Tout le monde te connaît comme Jason Di Tullio, La Grinta, avec beaucoup d’énergie et d’intensité. Maintenant, je dois faire attention un petit peu. Le staff et Wilfried ont été super avec moi. Ils m’ont dit de revenir à mon rythme. »

« Je voulais mourir sans rien savoir »

Avant de raccrocher, Jason Di Tullio tenait à adresser un message aux lecteurs de ce récit : « Allez consulter un médecin » si quelque chose ne va pas.

« J’avais mal à la tête depuis deux semaines et on me disait de prendre des Tylenol. […] Si je n’étais pas rentré dans la machine [d’imagerie par résonance magnétique] cette journée-là, je ne serais pas ici aujourd’hui, six mois plus tard. »

Six mois depuis le diagnostic qui lui ont permis d’avoir une grande réflexion sur sa vie.

« Je voulais mourir sans rien savoir. Sans douleur, sans penser. Mais je vis des choses avec ma famille, ma copine, ma petite nièce. Imagine si je n’étais jamais allé voir le docteur cette journée-là. Imagine la douleur qu’ils auraient eue s’ils n’avaient pas eu tout ça.

« J’ai sauvé six mois, et encore plus, parce que je sais que je vais le battre. »

Une pizza et une collection en son honneur

PHOTO FOURNIE PAR JASON DI TULLIO

Jason Di Tullio et sa copine, Amanda Vicente, avec des pizzas #LAGR7NTA, du restaurant Industria

Son surnom lui colle tellement à la peau qu’une pizza #LAGR7NTA a été ajoutée au menu des pizzérias Industria. Jason Di Tullio avoue même qu’il se permet parfois de déroger à son régime actuel « parce [qu’il a] besoin de sa petite pizza ».

Les boutiques Evangelista Sports, dans la Petite Italie, et Passion Soccer ont aussi mis en vente une collection du même nom.

Ces initiatives servent à financer directement la campagne GoFundMe de Jason Di Tullio.

« Il y a d’autres choses qui vont arriver bientôt », promet-il.