Elles sont invaincues cette saison. Elles ont égalé le nombre record de points enregistrés dans un calendrier du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ), avec 40. Et elles visent le Saint-Graal du soccer universitaire au pays : le Trophée commémoratif Gladys Bean, remis à l’équipe championne au niveau U Sports canadien.

Les Carabins de l’Université de Montréal y croient.

« C’est notre but ultime, explique la gardienne Catherine Langelier, lors d’un entraînement au CEPSUM un après-midi froid de novembre. On joue vraiment pour ces expériences-là. »

Pendant qu’elle parle, les ballons se gonflent à côté. Les joueuses s’échauffent aux alentours.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, LA PRESSE

Mégane Sauvé

On a tous les éléments pour y arriver. Après, c’est entre nos mains.

Mégane Sauvé, milieu de terrain

« Une fois que tu y touches, tu veux toujours réussir à y retourner », souligne à son tour la défenseure Marie-Ève Bernard O’Breham, qui a remporté ce trophée en 2017.

Mais n’allez pas parler ouvertement de cette ambition à l’entraîneur-chef Kevin McConnell.

« Ici, on ne parle pas de résultats, explique le technicien en poste depuis 2005. Ici, on parle de cheminer vers notre potentiel. […] Les résultats, c’est vraiment secondaire. On cherche en tout temps, peu importe l’année, à être à la hauteur de nos capacités. »

De toute façon, les Carabins ont un défi bien plus immédiat. Elles affrontent les Citadins de l’UQAM vendredi soir en demi-finale du championnat du RSEQ. Avec une victoire, elles joueraient la finale le vendredi suivant.

Les joueuses de l’Université de Montréal pourront se baser sur une saison quasi parfaite pour entamer le match du bon pied : leurs 13 victoires et 1 match nul en 14 rencontres sont bons pour le premier rang du circuit. L’Université Laval (33 points) suit avec la deuxième position. L’Université McGill (3e, 24 points) et les Citadins de l’UQAM (4e, 23 points) complètent le portrait des séries.

Mais il faut regarder la colonne des buts concédés pour comprendre en partie les succès des Carabins. L’équipe n’en a accordé que cinq cette saison. C’est la moitié moins que Laval.

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Catherine Langelier, gardienne de but des Carabins

C’est une bonne fierté pour nous. Le fait d’être invaincues aussi. Il faut juste continuer à ne pas nous mettre de pression avec ça.

Catherine Langelier, gardienne de but des Carabins

Marie-Ève Bernard O’Breham, une vétérane qui en est à sa cinquième et dernière saison universitaire, ajoute une dose de réalisme.

« À la fin de la saison, on a encaissé quelques buts, admet-elle. Il y a des choses à travailler. […] Mais on a été capables d’établir un style de jeu, un collectif qui nous permet d’être défensivement excellentes et constantes. »

« On ne regarde pas trop les statistiques, expose quant à lui l’entraîneur. On veut essayer de maximiser nos occasions et limiter les occasions des adversaires, tout simplement. »

« Une petite famille »

En 15 ans, Kevin McConnell a mené les Carabins à sept championnats du RSEQ. Elles ont aussi remporté leur premier titre national en 2017 sous ses ordres. Mais le défi est de taille en 2021 : 10 des 24 joueuses en sont à leur première année, résultat de la saison annulée en 2020.

Ça n’a toutefois pas joué sur la camaraderie au sein du groupe. Au contraire.

« Cette année, on a une équipe qui est très unie, se réjouit Bernard O’Breham. On a été capables d’établir un environnement où on peut s’épanouir. »

Ses coéquipières chantent en s’échangeant le ballon juste à côté, au moment même où elle prononce ces mots.

« C’est une petite famille, une petite bulle qu’on s’est développée. »

Nulle ne peut en témoigner autant que l’attaquante Maxyme Nobert.

« Mon début de saison a été très difficile, explique celle qui en est à sa deuxième année d’admissibilité. Je pense que j’avais de la misère pour ce qui est de la confiance. Le fait qu’on est vraiment une équipe soudée, ça m’a vraiment aidée. Chaque match, les filles étaient derrière moi. Elles me disaient : “Lâche pas, tu le sais que ça va venir, tu sais de quoi tu es capable, continue.” »

« C’est facile après ça. Les ballons viennent tout seuls parce que les filles ont confiance. »

Et ça a débloqué. Nobert a terminé la saison avec huit buts et une passe décisive, au premier rang de son équipe et au deuxième rang de la ligue.

Pour le descripteur des matchs des Carabins Freddy Mewoanou, la réémergence de Maxyme Nobert est l’histoire de la saison.

« Lorsque tu vois ses appels de balle, lorsque tu vois son placement, sa protection de balle, sa capacité à être clutch de la tête, du gauche, du droit, à multiplier les coups, c’est vraiment ce qui illustre le mieux ce qu’on appelle façonner un joyau brut. »

Mewoanou n’est pas commentateur pour rien. Laissons-le encore illustrer ses propos.

« Avec Kevin [McConnell], c’est l’efficacité, décrit-il au bout du fil. Je vais le comparer à un potier. Il va recevoir la matière brute, il va la façonner et va polir chaque athlète, de telle sorte que l’athlète ressort transformée. Au final, le joyau émerge du travail de l’artiste, mais aussi de tout un groupe qui le soutient derrière. Ça te donne ces athlètes-là qui sont taillées pour la victoire, ces athlètes hypra motivées. »

« Pour moi, c’est ça, la méthode Carabins. Lorsque tu rentres, il y a ce petit côté clutch, qui vise à mettre le but, à faire l’action efficace, au moment où il le faut. »

Mais il y a autre chose qui explique les succès de l’équipe, selon Freddy Mewoanou.

« Je les compare si tu veux à un vol d’oies. Lorsqu’elles volent, lorsqu’elles vont en migration, il y a toujours des leaders qui sont en tête. Dès qu’elles commencent à fatiguer, il y en a d’autres qui prennent la tête. De telle sorte que sur le plan global, tu ne sens jamais qu’elles faiblissent. »

« Chaque fille qui se présente sur le terrain, c’est une machine, exprime encore le descripteur, qui enseigne aussi au primaire. Elles ne s’arrêtent de courir que quand l’arbitre a sifflé le coup de sifflet final. »

« Un gros deuil » après l’université

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Les Carabins de l'Université de Montréal affrontent les Citadins de l’UQAM, vendredi soir, en demi-finale du championnat du RSEQ.

Il n’y a encore aucune ligue professionnelle féminine au Canada. Après le circuit universitaire, les joueuses doivent donc soit s’exiler aux États-Unis ou en Europe, soit retourner à la vie civile.

Mais depuis la médaille d’or des Canadiennes aux Jeux olympiques de Tokyo, il semble y avoir un élan au pays pour l’instauration d’un circuit professionnel féminin.

« On trouve ça plate un peu qu’il n’y ait jamais rien eu, se désole Maxyme Nobert. C’est un gros deuil à faire de finir l’université et en plus de devoir accrocher ses crampons. »

Mais s’il y a une ligue, elle voudra l’essayer, ajoute l’attaquante.

« C’est difficile parce qu’il y a beaucoup de talent dans notre ligue qui se perd, tandis que du côté masculin, ça s’est développé avec la Canadian Premier League (CPL), renchérit Mégane Sauvé. Ils ont une occasion que nous, on n’a pas. »

S’il y a une ligue qui est mise en place, il faut que ce soit de la qualité. Parce que si les joueuses n’arrivent pas à avoir un salaire ou des conditions qui sont décents, tout le monde va se retrouver sur le marché du travail. On a quand même une vie à entreprendre par la suite.

Mégane Sauvé

Même son de cloche pour Marie-Ève Bernard O’Breham.

« J’espère que ça va arriver, juge la défenseuse. Ça fait longtemps qu’on est mûres pour ça. Ç’a été développé en Europe, aux États-Unis. À cet égard-là, le Canada est un peu en retard. »

La situation tracasse aussi Freddy Mewoanou, premier témoin des succès des Carabins.

« Les Américains ont déjà leur mode de recrutement. L’équipe canadienne, c’est souvent par les programmes nationaux. Autant elles vivent leurs plus belles années sous la tunique bleu royal, autant plus dure est la chute lorsque tout cela se termine. »