Il faut toujours du courage pour préférer en première ronde un Finlandais de 5 pieds 9 pouces, trois buts en 45 matchs au compteur, à un Québécois de 6 pieds 4 et 215 livres capable de marquer 33 buts dès sa deuxième saison à Hull dans les rangs juniors.

Le directeur du recrutement du Canadien de l'époque, André Boudrias, l'a pourtant fait en 1993 en repêchant Saku Koivu au 21e rang, trois rangs devant Éric Lecompte.

C'était avant l'arrivée massive des Européens, une période où les Russes venaient à peine d'obtenir le droit de traverser l'Atlantique pour poursuivre leur carrière dans la LNH.

Koivu devenait le premier Européen repêché en première ronde par le Canadien, le premier même choisi parmi les deux premières rondes.

Jyrki Lumme, un compatriote de Koivu, avait été repêché en troisième ronde en 1986. Valeri Bure avait constitué un choix de deuxième ronde en 1992, mais il était déjà bien installé au Canada avec les Chiefs de Spokane.

Saku Koivu a joué 13 ans à Montréal. Il est devenu le capitaine du CH. Dès sa deuxième saison, en 1996, il trônait au sommet des compteurs de la Ligue nationale avec 38 points en seulement 23 matchs lorsqu'il a subi la première d'une série de graves blessures au genou.

Il a obtenu 832 points en 1124 matchs avec Montréal, puis Anaheim, mais qui sait à quel point il aurait produit davantage s'il n'avait pas eu cette malchance en début de carrière.

Jesperi Kotkaniemi est devenu le deuxième Finlandais repêché en première ronde par l'équipe en juin. Pour une majorité d'observateurs,  il deviendra le premier véritable centre numéro un du CH depuis... Koivu.

André Boudrias a perdu tragiquement la vie mardi à Whistler lors d'un voyage de ski. Son coeur aurait cédé sur les pentes. Il avait 75 ans. Le soir-même, le dauphin de Koivu marquait son troisième but en autant de rencontres.

Je me rappelle encore de ce petit point de presse impromptu d'André Boudrias à l'été 1995, quelques semaines avant l'arrivée de Koivu en Amérique du Nord. Boudrias essayait tant bien que mal de vendre son poulain, recruté en compagnie de l'ancienne gloire du CH devenu dépisteur en Europe, Jean-Claude Tremblay.

J'en étais à mes premiers pas avec le Canadien. J'avais couvert une demi-saison de cette année marquée par le lock-out. J'étais à l'aube de mon premier véritable camp d'entraînement.

André Boudrias s'emballait en parlant de Koivu. «Il a du chien, il a du chien. Il a un peu de Doug Gilmour et de Bobby Clarke dans le nez.»

Devant le regard sceptique des journalistes, Boudrias se braquait, sans pour autant faire la morale à ses interlocuteurs. «Attendez, attendez, vous allez voir, il a du chien, je vous le dis!»

Malheureusement, André Boudrias n'a pu «profiter» très longtemps de son joyau. Après seulement quatre matchs, le DG Serge Savard était congédié, de même que son bras droit Carol Vadnais et lui-même. Réjean Houle prenait les guides de l'équipe et Mario Tremblay allait remplacer Jacques Demers derrière le banc.

Savard et Boudrias avaient pourtant été les architectes des deux Coupes Stanley précédentes, en 1986 et 1993, les deux dernières de l'équipe.

Boudrias a été nommé à titre de responsable du recrutement en février 1984. Dès son premier repêchage, il a frappé fort: Petr Svoboda et Shayne Corson en première ronde, Stéphane Richer en deuxième et un certain Patrick Roy en troisième ronde.

En 1987, il a pu mettre la main sur Andrew Cassels, Éric Desjardins, John Leclair et Mathieu Schneider dans les trois premières rondes. Cassels a été échangé un peu trop tôt aux Whalers de Hartford, avant de connaître une très belle carrière, les trois autres sont devenus des acteurs importants dans la conquête de 1993.

Comme tout recruteur, André Boudrias a eu des hauts et des bas. Pendant trois années consécutives, entre 1989 et 1991, le CH a pigé chez les Thunderbirds de Seattle en première ronde, Lindsay Vallis, Turner Stevenson et Brent Bilodeau. Vallis et Bilodeau ont joué un seul match à deux dans la LNH. Stevenson a occupé le rôle de joueur de soutien.

David Wilkie et Mark Pederson ont constitué d'autres choix de première ronde provenant de l'Ouest canadien au cours de cette période. Ils ont déçu eux aussi. On a qualifié ces choix ratés de «boeufs de l'ouest» pendant plusieurs saisons.

Malgré tout, Boudrias parvenait à dénicher des joueurs de qualité dans les rondes subséquentes, Benoit Brunet, Lumme, Lyle Odelein, Peter Popovic, Sean Hill, Patrice Brisebois, Craig Conroy, Oleg Petrov, Brian Savage, Bure, Craig Rivet, Darcy Tucker, José Théodore, Tomas Vokoun, Stéphane Robidas.

Au final, 73 des 157 joueurs repêchés sous son règne ont atteint la LNH, pour un impressionnant taux de succès de 46%.

Boudrias a aussi été l'une des premières grandes vedettes offensives des Canucks de Vancouver. Son record de 62 aides réalisé en 1974-75 a tenu jusqu'en 2006-2007, battu par Henrik Sedin et ses 71 passes.

Je me suis lié d'amitié avec lui après son départ du Canadien. À la suite d'un article dévastateur pour son grand ami Yvan Cournoyer, qu'il n'avait évidemment pas apprécié, il m'a donné son avis sans jamais me juger ni altérer nos rapports, et fourni un précieux conseil qui m'habite encore aujourd'hui.

Nous avons continué à jouer au tennis, au golf et au hockey au fil des années. J'étais un joueur plus agressif à l'époque et j'avais le don de le faire sortir de ses gonds sur la glace.

Il y a une douzaine d'années, je l'avais invité à souper dans ce qui allait être (je ne le savais pas encore) le précurseur des soupers cinéma-hockey que j'ai organisé pendant quelques années à l'occasion de la Guignolée de La Presse.

Le réalisateur Denys Arcand y était aussi et les deux avaient échangé pendant toute la soirée sur leurs domaines respectifs. Des moments riches et fabuleux, au cours desquels j'en ai appris autant sur la genèse du Déclin de l'empire américain que sur les motifs de l'échange d'Éric Desjardins et John Leclair à Philadelphie.

Le monde du hockey perd un personnage important. J'ai perdu un mentor.

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À LIRE

Ça chauffe pour les joueurs de soutien du Canadien. Ils ont huit matchs d'ici la date limite des échanges pour prouver qu'ils peuvent faire le travail et éviter à Marc Bergevin d'acquérir du renfort pour les remplacer, raconte Jean-François Tremblay.