La Chine. Les meilleures boxeuses de la planète. Une poignée de passeports olympiques. Et Sandra Bizier, fille de Rémi, maman de 32 ans, policière à la Ville de Québec et championne canadienne de boxe. Pourra-t-elle réussir l'exploit de se qualifier pour Londres? Les Mondiaux de boxe féminine qui débutent mercredi nous le diront.

Québec Sandra Bizier était au bout du rouleau au début du mois d'avril. Entre sa carrière de policière et sa vie de mère de famille, son emploi du temps cadrait de moins en moins avec le statut de boxeuse internationale.

«Elle en arrachait, avec le travail, un enfant, l'entraînement. Elle était au bord du burnout», rappelle son père, Rémi, qui est aussi son entraîneur.

La boxeuse de 32 ans a réfléchi, tout soupesé, puis a décidé de foncer. Elle prendrait un congé sans solde de deux mois. Au diable les factures. Son conjoint aurait à s'occuper un peu plus de leur petit Nicolas, 2 ans. Ils se serreraient la ceinture. Mais après tout, on n'a pas souvent l'occasion de se rendre aux Jeux olympiques.

Les femmes qui pratiquent la boxe n'avaient en fait jamais eu cette chance avant aujourd'hui. La boxe féminine fera son entrée en tant que sport officiel cet été à Londres. Et aux Jeux de 2016, Bizier aura dépassé la limite d'âge de 34 ans pour concourir en boxe amateur. Elle n'a donc qu'une seule chance.

Ces deux mois de congé, Bizier les a consacrés à sa préparation en vue des Mondiaux de boxe féminine qui commencent mercredi en Chine. Cette dernière étape du cruel processus de sélection olympique doit décider de sa participation aux Jeux.

La marche vers Londres a déjà eu raison d'une amie de Bizier. La meilleure boxeuse que compte le Québec, la double championne du monde Ariane Fortin, n'a pas réussi à se tailler une place. Elle a été victime du nombre restreint de catégories de poids chez les femmes à Londres. Fortin s'est battue pour une place contre une autre championne du monde, Mary Spencer. L'Ontarienne l'a emporté (voir le texte ci-contre).

Bizier s'est aussitôt retrouvée à l'avant-scène. Elle est maintenant la seule boxeuse québécoise toujours en course pour se rendre aux Jeux. Le jour de notre visite au gym de Québec où elle s'entraîne, une caméra de la télé filmait son entraînement. Les attentes venaient de monter d'un cran.

«Sincèrement, je ne pense pas que les gens me voyaient aux Jeux olympiques. Pour Ariane, la boxe est une vie et c'est pour ça que c'est plate qu'elle n'aille pas aux Jeux, raconte Bizier, assise sur une chaise pliante dans un coin du gym. Pour moi, c'est une passion. J'ai ma carrière, j'ai ma famille. Je n'ai jamais été championne du monde et ma catégorie est super forte. Il y a beaucoup de talent à 132 livres. Ça va être très difficile.»

Pour obtenir sa qualification olympique en Chine, elle devra grosso modo faire mieux que toutes les boxeuses des Amériques dans sa catégorie de poids et finir parmi les huit premières. «C'est une grosse commande. Mais Sandra est la plus expérimentée de l'équipe nationale. Elle a énormément de coeur, de courage, de détermination, énumère l'entraîneuse responsable de l'équipe canadienne de boxe féminine, Danielle Bouchard. Et c'est une guerrière. Si une fille veut lui livrer une guerre, elle va être servie!»

Bouchard sera dans le coin de Bizier pour les Mondiaux. «C'est la seule, à part moi, qui peut diriger Sandra, explique son père. Moi, je ne vais pas en Chine parce que je me fais vieux pour des longs voyages comme ça. Mais elle va être en bonnes mains avec Danielle.»

Une histoire de famille

Rémi Bizier est la bougie d'allumage qui a amené Sandra et son petit frère à la boxe. Kevin Bizier (17-0, 12 K.-O.), cadet de la famille de Québec, est aujourd'hui un boxeur professionnel dans l'organisation du promoteur Yvon Michel.

Le père avait mis ses enfants au karaté dès l'enfance. Sandra est même devenue championne canadienne. «On était tous rendus ceinture noire, alors on s'est blasés», raconte cet homme affable.

Puis la boxe a fait son entrée par la grande porte, quand Rémi a installé un ring de fortune dans le sous-sol. À l'époque, il était propriétaire d'un bar et d'un restaurant. «Quand le ring du sous-sol n'a plus suffi, j'ai fermé mon restaurant et j'ai fait un club de boxe. On avait la piqûre.»

Il s'est mis à entraîner ses enfants puis d'autres jeunes du quartier. À un moment, son écurie a compté cinq champions canadiens. Mais sa relation avec Sandra et Kevin a toujours été unique.

Y a-t-il un avantage à être le père des athlètes qu'on entraîne? Rémi Bizier sursaute. «Il n'y a aucun avantage! Elle me répond tout le temps. Mes autres boxeurs ne me répondent pas...»

«On n'est pas capables de faire la séparation entre notre relation de famille et notre relation de boxe», admet Sandra Bizier, qui devra se séparer de son père et entraîneur pendant les prochaines semaines.

Elle s'est envolée lundi pour Vancouver avec l'équipe canadienne. Les trois filles qui essaient encore de se qualifier pour les Jeux - Sandra Bizier (60 kg) ainsi que les Ontariennes Mary Spencer (75 kg) et Mandy Bujold (51 kg) - y sont pour un camp d'entraînement d'une semaine avant les Mondiaux qui ont lieu du 9 au 21 mai.

Rémi Bizier ne sera pas trop loin. Il explique qu'il «a fait entrer l'internet à la maison», histoire de parler à sa fille sur Skype. «Je suis en train d'apprendre l'ordinateur. L'électronique, je ne connais pas ça... Mais je voulais lui parler pendant le tournoi», lance Rémi Bizier, dans une phrase où on discerne mal qui, de l'entraîneur ou du père, parle.

Il estime que sa fille a une chance sur deux de réussir l'exploit de se qualifier pour Londres. Un pari que Sandra Bizier a décidé de relever. «Je me suis dit que j'allais me donner une chance, que j'allais arrêter de travailler, qu'on s'organiserait avec le budget, dit-elle. J'ai juste une chance de me rendre aux Jeux. On va la prendre.»

Trois Canadiennes vont tenter aux Championnats du monde de boxe de se qualifier pour les Jeux olympiques.

Mandy Bujold (51 kg) Ontario, 24 ans

Sandra Bizier (60 kg), Québec, 32 ans

Mary Spencer (75 kg), Ontario, 27 ans

Photo Érick Labbé, Le Soleil

Sandra Bizier et son père.