Une Québécoise a remporté jeudi dernier pour la deuxième fois de l'histoire, après Karine Sergerie en 2008, une médaille olympique en taekwondo. Sauf que Marlène Harnois, 25 ans, l'a fait sous les couleurs de la France. Voici l'histoire étonnante de la cinquième médaillée québécoise des Jeux de Londres.

Quand le téléphone a sonné à l'aube, un matin de 2006, Marlène Harnois n'a pas répondu. À cette époque, la jeune femme de 19 ans dormait tard. Souvent jusqu'en après-midi. Elle avait abandonné l'école et ne savait plus quoi faire de ses 10 doigts. Elle pensait entrer dans l'armée. Elle était une «drop-out», selon ses propres mots.

La petite blonde de Brossard s'est finalement levée à midi puis a regardé son téléphone. Un numéro français s'affichait sur l'écran, celui de la médaillée olympique de taekwondo Myriam Baverel. Elle ne le savait pas au moment de composer le numéro à huit chiffres, mais cet appel allait changer sa vie.

Quinze ans plus tôt, sa mère l'avait inscrite au taekwondo. Mireille Harnois nous montre des photos de Marlène: «Là, elle était toute petite, elle flottait dans son costume. Elle a commencé à 4 ans et tout de suite on a vu qu'elle avait du talent.»

Elle a grimpé les échelons de cet art martial coréen à toute vitesse. Elle a d'abord gagné ses ceintures de couleur, puis rapidement de petits tournois dans la région de Montréal. À 12 ans, elle a remporté le prestigieux US Open junior. À 13 ans, elle a obtenu la médaille de bronze aux championnats du monde junior.

«J'ai eu une progression rapide très jeune», raconte celle qui croisait souvent Karine Sergerie, qui a aussi grandi sur la Rive-Sud.

Mais Marlène Harnois a vite dû composer avec le manque de soutien dont souffre le sport amateur au Québec. Ses parents devaient puiser dans leurs poches pour lui permettre de disputer ses tournois. «Il n'y avait pas non plus de sport-études en taekwondo. Moi, je rêvais d'aller aux Jeux olympiques, mais je ne savais vraiment pas comment j'allais y arriver.»

En France, la révélation

Puis, elle entend parler d'un programme d'échange avec la France, qui permet à un jeune athlète étranger d'intégrer les structures sportives françaises. On retient sa candidature et la voilà qui part pour l'année. Elle a 14 ans.

Tout de suite, elle constate la différence du modèle français. On la loge dans un centre sportif à Aix-en-Provence: l'école n'est pas loin, le centre d'entraînement non plus. «On vivait en équipe, on s'entraînait, on étudiait, on voyageait ensemble. Comme, en Europe, tout est proche, je participais à plein de compétitions: en Espagne, en Allemagne...»

Après cette année - la plus belle de sa vie -, le retour au Québec est brutal. Un «énorme électrochoc» attend Marlène Harnois. Elle ne comprend pas comment elle pourra concilier ses études et le sport de haut niveau. Ni comment elle pourra financer toutes ses compétitions. Son rêve olympique lui filait entre les doigts.

«C'était après Sydney, quand le taekwondo est apparu aux Jeux, et le niveau montait. L'idée de m'entraîner dans mon club avec quelques ceintures noires et des ceintures de couleur m'a tellement découragée... C'était trop dur pour moi de continuer. J'ai arrêté le sport.»

Elle avait 16 ans. Commençait pour elle une traversée du désert de quatre ans. Elle a abandonné l'école, n'avait plus d'ambition. «Quand tu n'as plus d'ambition, tu n'as plus de rêves et tu crois en rien. Rien ne te passionne dans la vie, c'est là que tu t'accroches à n'importe quoi.»

«Je sortais, j'ai arrêté l'école, j'étais une drop-out. Je me suis complètement perdue moi-même. Je m'étais toujours définie comme une championne, et là, ce n'était plus ça. Ç'a été un gros passage à vide.»

La renaissance

Puis est venu ce coup de fil, un matin de 2006. Myriam Baverel, médaillée d'argent à Athènes, avait rencontré Marlène quand elle avait vécu en France à 14 ans. Elle se souvenait d'une jeune athlète fougueuse, bourrée de talent. Désormais entraîneuse de l'équipe féminine de taekwondo française, elle voulait la recruter.

«Je lui explique que je ne fais plus de sport. Je ne suis pas inscrite au gym. Et si je suis inscrite au gym, c'est pour aller au salon de bronzage, dit en rigolant Marlène Harnois. Je ne suis plus sportive. Mais Myriam ne voulait rien savoir. Elle m'a dit: "T'es cap, ou t'es pas cap?"»

Quand elle raccroche, Marlène n'hésite pas longtemps. Le billet d'avion qu'elle achète pour la France est un aller simple. Elle n'a pas la citoyenneté, mais elle se dit qu'elle pourra bien l'obtenir. Elle se rappelle être restée étendue sur son lit à regarder le plafond. Puis s'être dit à elle-même: je pars pour la France, pas pour un an, mais pour un bout. «J'avais 19 ans, toute ma famille, tous mes amis étaient au Québec.»

La France l'a accueillie à bras ouverts. Elle a obtenu sa citoyenneté juste avant les Jeux de Pékin, mais une blessure à un bras l'a tenue éloignée de la compétition. Elle attendrait Londres. Puis le temps de la confirmation est venu: un titre d'Europe, un bronze aux championnats du monde en 2011.

Mais l'histoire de Marlène Harnois a pris son meilleur tour jeudi dernier, aux Jeux de Londres. Au sommet de sa forme, la «Française» a vaincu trois adversaires pour gagner la médaille de bronze en taekwondo dans la catégorie des moins de 57 kg.

Deux jours après son exploit, assise dans un couloir du Centre ExCel dans l'est de la capitale britannique, l'athlète de 25 ans est heureuse de raconter son histoire. L'entrevue dure depuis 30 minutes quand on lui demande ce que cette médaille représente pour elle.

«Je suis fière. Pas tant de la médaille elle-même que de mon parcours. Je suis fière d'être partie de rien et d'avoir réalisé quelque chose. C'est plutôt la route qui était cool que la destination», lance-t-elle.

«Ç'a été comme un gros all-in au poker. Je n'avais pas les cartes, mais j'ai misé sur moi», résume-t-elle.

Repartie pour quatre ans

À côté d'elle pendant toute l'entrevue, son copain, Samuel Coco, tantôt s'étire sur le sol, tantôt écoute Marlène raconter son histoire. Il fait partie de la sélection française d'athlétisme en 110 m haies. Blessé, il a manqué les Jeux de Londres.

Les deux aimeraient maintenant être ensemble à Rio. Marlène, qui à son départ pour l'Hexagone se voyait rentrer au Québec dès 2009, envisage un autre cycle olympique. Encore une fois pour la France, où elle vit désormais, explique-t-elle dans un accent québécois ressorti des boules à mites le temps d'une entrevue. «Elle parle à la française sinon», se moque gentiment sa mère.

«Là, j'ai juste hâte que les Jeux finissent pour aller à Montréal. J'essaye de passer souvent, j'ai besoin de revoir mes amis, ma famille, explique-t-elle. Je serai toujours québécoise.»

Elle aimerait faire découvrir le Québec à Samuel. Mais son pays, maintenant, c'est la France. Marlène Harnois n'oubliera jamais qui a cru en elle lorsqu'elle-même n'y croyait plus, lorsque les journées commençaient à midi et que la «championne» semblait morte et enterrée.

«Ça m'a fait plaisir de redonner cette médaille à la France, parce qu'elle m'a fait confiance, lâche Marlène Harnois, vêtue d'un survêtement bleu, blanc et rouge. Sans la France, mon rêve n'aurait pas été possible.»