Jack, coureur amateur d’origine britannique, s’entraîne en matinée avec l’équipe féminine Asics. « Un minibus nous a coupés avant de s’immobiliser. Des agents de l’Athletics Integrity Unit en sont sortis et nous ont obligés à les suivre. On s’est dirigés vers un petit hôtel où nous avons dû donner des échantillons de sang et d’urine. C’était surréel. »

Le pays fait face depuis plusieurs années à des accusations de dopage visant à améliorer les performances. Un cas célèbre est celui d’Asbel Kiprop, médaillé d’or et triple champion du monde. Actuellement, 66 athlètes kényans professionnels sont suspendus de la compétition en raison de violations liées au dopage.

Plusieurs athlètes interrogés déplorent la culture de l’argent rapide qui s’est instaurée. « Nous venons tous de milieux très humbles. Pour certains, le risque en vaut la peine. Leur objectif n’est pas de laisser leur nom dans l’histoire du sport, mais simplement de subvenir aux besoins de leur famille, payer les frais de scolarité de leurs sœurs ou rembourser des dettes après une mauvaise saison agricole. La nécessité peut parfois prendre le dessus sur l’éthique sportive », nuance Vivian Koskey, une marathonienne émergente qui fait partie de l’équipe testée.

Si tu étais aux prises avec l’extrême pauvreté depuis ton enfance, serais-tu tenté aussi ?

Vivian Koskey

« Jusqu’à présent, chaque médaille kényane, sans exception, provient du milieu rural, souligne le frère Colm O’Connell, qui, en 47 ans comme entraîneur, a vu tous les scénarios. Les jeunes des terres voient souvent l’athlétisme comme une occasion de sortir de la pauvreté. Mais ils doivent reconnaître que le sport de haut niveau est de plus en plus exigeant. Le Kenya doit continuer de rêver, mais il est essentiel de veiller à ce que le rêve ne vire pas au cauchemar. »

PHOTO JEAN BOURBEAU, URBANIA, COLLABORATION SPÉCIALE

Iten incarne, à sa manière, l’essence d’une époque. Une fresque collective, peinte par les espoirs et les ambitions d’une génération qui trouve ici son épanouissement.

Difficile de ne pas se laisser séduire par l’ambition lorsque l’on croise Eliud Kipchoge et Faith Kipyegon sur des panneaux publicitaires géants dans les beaux quartiers de Nairobi, la capitale, alors qu’ils sont originaires de modestes villages kalendjins.

Il est important d’être réaliste, de ne pas tout miser sur une seule ambition, avoir un plan B en tête. Devenir un champion demande du temps.

Le frère Colm O’Connell

Je croise Bernard en train de se faire raser le crâne dans l’un de ces petits kinyozis mal éclairés qui bordent les rues, saisissant l’occasion de lui poser une dernière question avant les au revoir.

« Pour moi, le rêve kényan est ouvert à tous, pas seulement aux Kalendjins. À Iten, tout est possible si tu travailles dur, que tu sois Daniel [Ebenyo], Cornelius, ou William, mon coéquipier originaire du Soudan du Sud. Nous le vivons chaque jour ensemble quand nous réussissons à courir et à partager un repas complet. »

PHOTO JEAN BOURBEAU, URBANIA, COLLABORATION SPÉCIALE

William Yach Majok, de Juba, au Soudan du Sud

Iten incarne, à sa manière, l’essence d’une époque. Une fresque collective, peinte par les espoirs et les ambitions d’une génération qui trouve ici son épanouissement.

Dans cet univers, les triomphes côtoient les épreuves, les grands récits prennent vie ou s’effritent, mais le rêve reste une puissante source d’inspiration pour le Kenya, dans ses moments les plus brillants comme dans les plus sombres.

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international et publié dans Urbania.

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