Plus de 95 des 100 meilleurs temps du marathon sont détenus par des athlètes originaires de l’Afrique de l’Est, soulignant l’extrême domination de cette région dans la course à pied. À titre d’exemple, au dernier marathon de la capitale autrichienne, 8 Kényans figuraient au sein du top 10.

Chaque année, les grandes marques organisent des compétitions chronométrées à Iten, où seuls les athlètes les plus performants se voient accorder des bourses. L’âge importe peu dans cette équation ; ce sont les chronos qui priment, car un seuil de temps minimal doit être atteint pour être admissible à ces précieux parrainages.

Pour un marathonien qui termine la course en 2 heures 10 minutes, cela équivaut à une enveloppe de 1,5 million de shillings, soit 14 175 $, tandis que pour un temps de 2 heures 6 minutes, la récompense s’élève à 3 millions de shillings, soit 28 350 $. Faut-il préciser que si ces temps sont réservés à l’élite mondiale, au sein de l’exception qu’incarne Iten, ils sont légion.

Wesley Kimutai, coureur de 27 ans originaire d’Eldoret et spécialiste du demi-marathon, a choisi de s’entraîner à Iten en raison de son affiliation avec Adidas. Sa carrière l’a mené de l’Allemagne au Maroc en passant par l’Italie, le Japon et la France, où il représente fièrement la marque depuis maintenant cinq ans. Ses succès sur la piste lui valent non seulement des bourses, mais également des primes de son commanditaire. Actuellement, il se prépare activement pour une course à Vienne dont la cagnotte avoisine les 10 000 euros.

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Wesley Kimutai

J’ai grandi au sein d’une famille d’éleveurs de bétail avec sept frères et sœurs. Si Dieu ne m’avait pas conduit sur la voie de la course, j’aurais suivi la tradition familiale. Ma carrière sportive est liée au soutien d’Adidas qui, en plus d’un salaire, me fournit chaque année des vêtements et 26 paires de chaussures.

Wesley Kimutai

Grâce à ce soutien, son frère cadet Evans s’est également lancé dans une carrière de coureur, se concentrant sur la distance de 10 000 mètres. Wesley envoie aussi de l’argent à deux autres frères courant aux États-Unis, l’un en Alabama et l’autre dans le Dakota du Nord.

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Evans Kimutai

Assis sur les ruines du stade Kaminary, je lui demande ce que signifie pour lui le rêve kényan. « C’est devenir le meilleur coureur pour améliorer les conditions de vie de ma famille. Mes parents ne portent que du Adidas grâce à moi. Finis les vêtements déchirés. J’espère pouvoir leur acheter une nouvelle maison et offrir des vaches à mon père. »

Un espoir commun à plusieurs coureurs.

Le hustle kényan

En raison de la concurrence, les occasions de succès financier sont toutefois de plus en plus limitées, ce qui incite les athlètes kényans à faire preuve d’une grande créativité pour diversifier leurs revenus.

James Kwalia, entraîneur d’un groupe élite, m’explique la stratégie de déploiement pour son groupe d’une douzaine de coureurs. « Nos déplacements à l’international sont en fonction des bourses disponibles et du niveau de compétition. Si, lors de l’édition précédente, il n’y avait pas beaucoup d’Africains, que les temps étaient lents et que les prix étaient attrayants, certains d’entre nous seront sélectionnés pour rapporter des devises étrangères à l’équipe et financer nos activités. »

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James Kwalia

Les plus jeunes coureurs explorent désormais des occasions en cherchant à rejoindre, en fonction des processus d’immigration ciblés, les équipes militaires ou nationales de pays moins compétitifs tels que le Qatar, le Kazakhstan, la Corée du Sud, ou toute autre destination offrant de meilleures perspectives d’avenir.

De nouvelles voies ont récemment suscité l’intérêt des athlètes d’Iten, notamment les courses organisées dans des destinations différentes telles que la Chine, l’Inde, l’Amérique centrale, ainsi que les compétitions de trail, d’ultra-trail, voire de cyclisme. « Si une récompense substantielle est en jeu, il est fort probable que des Kényans tenteront d’y participer », ajoute James.

Selon l’entraîneur frère Colm O’Connell, cette créativité découle du fait que le gouvernement kényan offre un soutien très limité, voire absent, pour l’encadrement de ses athlètes, les obligeant à dépendre uniquement des bourses et des commanditaires pour leur développement.

« On ne sait jamais d’où sortira la prochaine vedette. Le réservoir est si vaste. L’abondance de talents exceptionnels et leur succès partout sur la planète légitiment, au grand dam de plusieurs, l’absence d’intervention du gouvernement. Si tu ne réussis pas, il y en a plein derrière qui attendent leur tour. Contrairement à d’autres pays comme l’Ouganda ou l’Éthiopie, le Kenya laisse ses coureurs se débrouiller eux-mêmes. C’est scandaleux. »