Le temps était frisquet lundi matin ? Les meilleures nageuses artistiques canadiennes peuvent en témoigner : de 7 h à 9 h, elles s’entraînaient dans les eaux froides du bassin de natation du complexe aquatique du parc Jean-Drapeau.

Chassées de l’Institut national du sport au Stade olympique après l’incendie aux conséquences catastrophiques du 21 mars, les athlètes ont trouvé refuge un mois plus tard dans la piscine de plongeon de l’île Sainte-Hélène, où l’eau est chauffée. Or, le bris d’une pompe les a forcées à squatter une partie du bassin de natation.

« C’est très, très froid », a confirmé Florence Tremblay, ajoutant que la moitié de l’équipe porte des combinaisons isothermiques pour se tenir au chaud.

Après un cycle olympique mouvementé, marqué par la démission surprise de l’entraîneur-chef l’an dernier, l’arrivée d’une nouvelle coach il y a trois mois, l’adaptation à un nouveau système de pointage, une qualification olympique in extremis et des refontes de routine, ce dernier désagrément d’ordre thermique était un moindre mal.

De toute façon, moins de deux heures plus tard, l’enthousiasme des neuf nageuses et de leurs proches chauffait à lui seul la grande pièce à l’entrée de la Maison olympique canadienne, au centre-ville. Dans une espèce de fébrilité cacophonique – sujets à acouphènes s’abstenir –, elles attendaient leur nomination officielle pour les Jeux olympiques de Paris, où leurs compétitions se dérouleront du 5 au 10 août.

Le rêve s’est en quelque sorte concrétisé au moment où le chef de mission Bruny Surin les a aidées à enfiler la veste de l’équipe canadienne. La fermeture-éclair a donné des ennuis à la plupart des heureuses élues. Raphaëlle Plante a été la seule à réussir à la remonter du premier coup !

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Raphaëlle Plante et le chef de mission, Bruny Surin

« Je le pratiquais dans ma tête ! », a rigolé la nageuse de 21 ans, originaire de Québec. Quelques minutes plus tard, elle a été émue en écoutant la capitaine Kenzie Priddell rappeler à quel point la dernière année avait été « super stressante » pour le groupe.

« C’est venu me chercher. J’ai eu de petites larmes parce que c’est comme si tout le stress des dernières années venait de tomber. C’est comme fait ! »

La voltigeuse de l’équipe a disputé l’ultime Coupe du monde de Markham, à la fin de mai, ne sachant pas ce qui l’attendait. Elle a été l’une des dernières à obtenir la confirmation de sa sélection de la bouche des entraîneuses, jeudi. Ce n’est qu’en rentrant à la maison que la réalité l’a rattrapée.

« Je marchais et ça m’a frappée : j’ai commencé à braaaaailler ! », a témoigné Raphaëlle Plante, sous l’oreille attentive de sa mère et de sa sœur, venues célébrer le moment avec elle, ce qui faisait changement des nominations de 2021, en pleine pandémie.

C’est là que tu te dis dans ta tête : je m’en vais aux Olympiques ! Nager aux Olympiques, c’est fou ! Je suis vraiment fière et très contente.

Raphaëlle Plante

Native de Vienne – son père était musicien pour le Cirque du Soleil –, Raphaëlle Plante a fait ses premières armes au club Nevada Desert Mermaids, où la famille s’était installée pour suivre le cirque. À sept ans, elle a été accueillie par l’entraîneuse Stéphanie Bissonnette, ancienne membre de l’équipe canadienne recrutée par Sylvie Fréchette – qui était présente lundi – pour le spectacle O.

À 14 ans, elle est rentrée à Québec avec sa mère et sa sœur avec l’ambition de poursuivre sa progression dans le système canadien, puisqu’elle ne détenait pas la citoyenneté américaine. Elle a rejoint Kasia Kulesza, ex-coéquipière de Stéphanie Bissonnette, qui coachait à Québec Excellence Synchro. En 2020, les deux se sont retrouvées au centre national de Natation artistique Canada, à Montréal, où Kulesza est dorénavant entraîneuse.

« J’étais sous le choc ! »

Florence Tremblay est une autre athlète qui est passée par Québec Excellence. La nageuse de 19 ans s’est développée au club Vivelo de Rimouski, sa ville natale. Arrivée au centre national à l’automne 2022, elle s’est révélée « comme un pilier de l’équipe lors des dernières compétitions », l’a louangée Kulesza. « C’est une très bonne technicienne », a ajouté celle qui assistera la nouvelle entraîneuse-chef Anna Volshyna, une Ukrainienne d’origine qui travaillait avec l’équipe américaine depuis cinq ans.

Après un long et stressant processus amorcé en septembre, Tremblay a été observée comme toutes les autres dans le cadre de routines évaluées par des juges indépendantes. Elle a appris qu’elle obtenait son billet pour Paris sans s’y attendre.

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Florence Tremblay enfile sa veste avec l’aide de Bruny Surin.

« Les coachs ont commencé par me donner des commentaires sur la façon dont la sélection s’était passée. Après, elles m’ont annoncé que je faisais partie de l’équipe. J’étais sous le choc ! Je ne croyais pas qu’elles allaient me l’annoncer cette journée-là ! J’étais très contente. C’est vraiment mon plus grand rêve qui devenait réalité. Donc, c’est génial ! »

Lundi, Florence Tremblay a pu le vivre de manière plus formelle avec son père, sa sœur et ses huit collègues : Plante, Priddell, Scarlett Finn, Jonnie Newman, Claire Scheffel, Sydney Carroll (remplaçante) et celles qui seront également les duettistes, la championne mondiale Jacqueline Simoneau et Audrey Lamothe.

« C’était un très beau moment à partager avec les coéquipières avec qui je m’entraîne chaque jour, a souligné Tremblay. Je les considère un peu comme ma famille. Avec tout le monde derrière qui sont là pour nous soutenir, c’était vraiment spécial. »

Maintenant, si quelqu’un pouvait réparer la fameuse pompe, Bruny Surin serait probablement prêt à tenter sa chance « avec un flotteur »…

Toutes pour une

En plus de recevoir leur veste olympique, les nageuses de l’équipe ont reçu un cadeau inattendu de la Fondation olympique canadienne dans le cadre de l’initiative « Great to Gold » : une bourse de 80 000 $. Théoriquement, chacune devait recevoir 10 000 $ en vue de sa préparation pour les Jeux de Paris, mais elles ont choisi d’inclure Sydney Carroll, confinée à un rôle de remplaçante à Paris, dans le partage de la cagnotte.

Lyza est toujours là

Yelyzaveta Yakhno, qui a fui l’Ukraine en guerre pour s’installer au Canada à l’automne 2022, fera partie de l’équipe canadienne à titre d’entraîneuse. La médaillée de bronze aux Jeux de Tokyo en 2021 a été rejointe par sa mère à Montréal. « J’ai fait ma demande de résidence permanente », a fièrement annoncé Lyza, dont la fuite de Kharkiv avait été racontée dans La Presse. En Anna Volshyna, nageuse ukrainienne la plus titrée de l’histoire, elle retrouve une coéquipière avec qui elle a remporté deux médailles de bronze aux Championnats du monde de 2017.