(Paris) Impact psychologique, entraînements chamboulés, peur des combats et déménagements forcés… Les para sportifs ukrainiens préparent les Jeux paralympiques de Paris, avec la guerre en toile de fond depuis deux ans, alors que leur délégation était parmi les plus performantes lors des dernières éditions.

« L’objectif principal de chaque journée, c’était de rester en vie », explique à l’AFP Danylo Chufarov, 34 ans, se remémorant les jours et les nuits passés sous les bombes avec sa femme à Marioupol en 2022.

Comme le vice-champion paralympique de natation du 400 m en catégorie S13 (déficience visuelle importante) de Pékin-2008, les têtes d’affiche ukrainiennes, médaillables lors des Jeux de Paris, ont vu leur préparation passer au second plan en février 2022, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine.

La délégation jaune et bleue fait souvent belle figure sur la scène paralympique : sixième du tableau des médailles à Tokyo en 2021, elle avait même pris la troisième place cinq ans plus tôt à Rio avec 117 médailles (41 en or).

« On reste »

Comme Chufarov, Mykhailo Serbin, 20 ans et champion paralympique du 100 m dos S11 (déficience visuelle) a subi « dix jours de bombardements permanents » à Kharkiv, avant de partir pour une autre ville.

« Mon entraîneur et moi étions dans le même état d’esprit : “On reste, on travaille, et on gagne, quoiqu’il arrive” », a-t-il déclaré à l’AFP.

Serbin dit avoir le soutien de sa famille : « ils ne voulaient pas que j’abandonne ce qui est ma raison d’être ». Le jeune nageur assure « ne pas regretter de rester en Ukraine ».

« Qui peut savoir ce qui se passerait ailleurs, quelles épreuves nous y attendraient ? Être à la maison, c’est toujours mieux », juge le spécialiste du dos.

Mais rester au pays implique de devoir composer avec une guerre entrée dans sa troisième année le 24 février. « Récemment, quand nous sommes arrivés à l’entraînement, la ville a été attaquée, nous avons dû descendre dans l’abri anti-bombe et attendre la fin du bombardement », raconte-t-il.

Pour Chufarov, triple champion du monde à Manchester en 2023, 15 ans après ses deux médailles paralympiques de Pékin, l’enfer vécu à Marioupol, tombée aux mains des Russes en mai 2022, a eu « un impact énorme sur notre santé ».

« Pendant cette période, toutes nos pensées étaient concentrées sur notre survie », dit le nageur, avant d’ajouter : « Ceux qui ont réussi à survivre sont devenus des personnes différentes, et ça ne pourra plus changer. »

Selon les autorités ukrainiennes, le siège de Marioupol (février à mai 2022), grande ville portuaire aujourd’hui sous contrôle russe, a, à lui seul, fait au moins 25 000 morts, enterrés dans des charniers.

« Au stress et à la surcharge mentale s’ajoutaient le manque de sommeil, de nourriture et d’eau potable », explique le trentenaire qui a fui la ville du sud de l’Ukraine avec sa compagne.

Il a ensuite passé six mois sans s’entraîner : « ça paraissait n’avoir plus de sens », confie-t-il.

Larmes et médailles

Et même loin de Marioupol, la guerre a continué à perturber ses entraînements. « Les attaques aériennes et les missiles fréquents faisaient qu’il était parfois impossible d’aller à la piscine ou au gymnase », décrit-il.

Andrii Demchuk, champion paralympique d’escrime en fauteuil roulant en 2016 à Rio, a préféré quitter le pays, direction la Pologne et Varsovie.

Le sabreur de 36 ans a toutefois participé à l’effort de guerre à sa façon, en échangeant avec les soldats revenus mutilés du front.

« J’étais avant tout là pour communiquer, et essayer de gagner la confiance des soldats, pour qu’ils me parlent d’amputation, des prothèses, du sport […] », déclare-t-il à l’AFP.

« À mon avis, le plus gros problème auquel doivent faire face les soldats amputés est de comprendre qu’on peut continuer à vivre et qu’une vie presque sans soucis est possible », poursuit l’escrimeur, qui s’alignera aux Championnats d’Europe prévus en France en mars.

« La guerre ajoute un contexte émotionnel » aux compétitions, estime-t-il. « Presque chaque médaille vient avec des larmes parce que vous comprenez que beaucoup de vos proches et amis ne verront pas cette victoire et ne pourront pas la célébrer avec vous. »

Et Andrii Demchuk de conclure : « Toutes les victoires sont bonnes à prendre pour l’Ukraine désormais, sur la ligne de front comme dans le monde du sport ».