(Lausanne) Saluée par certains sportifs, la décision inédite de World Athletics de verser des primes aux médaillés d’or des JO-2024 sème la zizanie dans le monde de l’olympisme, où ni le CIO ni les autres fédérations internationales, moins riches pour la plupart, n’ont été consultés.

Certes, le combat pour l’amateurisme du fondateur des Jeux modernes, Pierre de Coubertin, était déjà un lointain souvenir lorsque l’instance mondiale de l’athlétisme est devenue, la semaine dernière, la première à annoncer des récompenses, à hauteur de 50 000 dollars, pour ses futurs champions olympiques.

Mais son initiative « soulève plus de questions complexes qu’elle n’en résout », estime vendredi l’association regroupant les sports olympiques d’été (ASOIF), qui compte informer World Athletics des « préoccupations » de ses fédérations membres.

L’enveloppe permettant de primer les 48  épreuves d’athlétisme, soit 2,4  millions de dollars, sera prise sur l’allocation versée tous les quatre ans par le CIO à World Athletics, qui avait perçu près de 40 millions de dollars après les JO-2020 de Tokyo comme après ceux de 2016 à Rio.

« C’est une très bonne initiative », s’est réjoui le sprinteur norvégien Karsten Warholm, alors que le perchiste français Renaud Lavillenie, titré aux JO-2012 de Londres, a salué « un bon progrès » qui « augmentera l’importance d’une performance victorieuse ».

« Solidarité » délaissée

Mais « la proposition n’a pas été discutée » avec le reste du mouvement olympique, a déploré jeudi David Lappartient, le président de l’Union cycliste internationale (UCI), évoquant « un changement des valeurs olympiques » si cela doit « aller au bout ».

« Une médaille d’or olympique n’a pas de prix et ne devrait pas en avoir », estime de son côté l’ASOIF, quand bien même chacun monnaie sa gloire sportive en contrats divers – dans des proportions extrêmement variables selon les nationalités et les disciplines.

À l’encontre du principe olympique « de solidarité », World Athletics va « renflouer les comptes en banques des athlètes non nécessiteux plutôt que d’aider ceux qui en ont le plus besoin », dénonçait en début de semaine l’Association des comités olympiques nationaux d’Afrique (Acnoa), rappelant « le gouffre » entre les sportifs des pays les plus riches et les autres.

Jeudi, sa commission des athlètes s’est également inquiétée « au sujet du sport propre, car en augmentant encore l’incitation à gagner, les athlètes pourraient être exposés à des paris, des manipulations ou des pressions pour se tourner vers le dopage ».

Plus largement, le cavalier seul de World Athletics brise l’unité de traitement entre champions de sports différents, mettant chaque fédération internationale dans une position délicate alors que leurs ressources financières sont très hétérogènes.

« Pressions » sur d’autres sports

« Il est clair que d’autres sports vont faire l’objet d’un examen minutieux, voire de pressions de la part d’athlètes qui diront “Qu’en est-il de notre sport, comment se fait-il que ce sport puisse le faire et pas nous ?” », relevait mercredi le patron du comité olympique britannique, Andy Anson, auprès de la chaîne Sky Sports.

« C’est un débat que nous pouvons avoir, mais nous devons l’avoir au bon moment, au bon endroit et ensemble », a-t-il ajouté.

Aucune fédération internationale n’a annoncé vouloir imiter World Athletics : celle de tennis a indiqué que tout plan de ce type devrait être « conçu en consultation avec l’ASOIF et le CIO », et celle de basket a rappelé qu’elle soutenait déjà « ses fédérations membres de diverses manières, pour couvrir leurs coûts d’organisation ou de participation aux compétitions de sélections ».

Peu d’instances pourraient de toute façon dégager un budget comparable, puisque World Athletics fait partie des mieux dotées par le CIO avec la gymnastique et la natation, en plus de ses ressources propres tirées des droits télé de ses compétitions.

Les fédérations internationales d’été sont réparties en cinq groupes et le rugby, le pentathlon moderne et le golf ne touchent que 13 millions de dollars, soit trois fois moins que les sports rois. Pour la plupart d’entre elles, la manne olympique est essentielle à leur survie.

Contacté par l’AFP, World Athletics a défendu vendredi son « engagement inébranlable en faveur des athlètes », jugeant « important » de reverser une partie des revenus olympiques « à ceux qui font des Jeux le spectacle qu’ils sont ».