(Tokyo) Dans le bol de thon du centre de presse, par-dessus le riz, quelque chose m’observait. Pas plus parano qu’un autre, enfin peut-être un peu, je me suis tout de même mis à examiner mon plat de plus près. Oh ! Un petit œil luisait au bout de ce que j’avais pris pour de succulentes nouilles miniatures grisâtres.

C’étaient des bébés poissons entiers.

J’ai souvent vu au marché des sacs pleins de ces poissons minuscules, mais je n’y avais jamais goûté.

Les Japonais les appellent shirasu. Ce sont des rejetons de sardines ou de harengs, pêchés selon une technique de rabattage à trois bateaux. Je vous épargne les détails, d’abord parce que c’est juste une carte postale, et ensuite parce que je n’y entends absolument rien.

On les fait bouillir. Puis sécher. Et on dépose ça pour agrémenter un plat. C’est considéré comme un autre de ces super aliments japonais. Il y a, paraît-il, tellement de calcium et d’autres trucs fabuleux que tu te demandes comment ça entre dans un si petit corps, et ensuite comment ça ne cale pas direct au fond de l’océan.

C’est franchement bon, une fois qu’on a accepté le concept, et par « bon », je ne veux pas dire « pour un truc exotique ». C’est comme un condiment doucement salé.

Il n’en reste pas moins, pour revenir au concept, que c’est l’équivalent de manger des centaines de veaux microscopiques avec son steak.

Ce n’est pas seulement un aliment plein de vertu, c’est un aliment plein de ce qu’on appelle ici « umami », ou cinquième saveur.

L’umami, c’est un peu comme l’obscénité en droit : difficile à définir, mais facile à reconnaître.

Tous ces goûts un peu poissonneux, les algues, mais aussi les protéines animales, certains fromages et la mode des dernières années : les aliments fermentés. L’umami apporte une profondeur de goût, une complexité et déniaise les papilles en les emmenant dans des sentiers plus sinueux. Les Japonais sont évidemment les maîtres pour jouer de l’umami.

Techniquement, les chimistes ont identifié que l’umami se compose en diverses proportions de glutamate, d’inosinate et de guanylate, dont on peut s’amuser à mesurer les proportions. Chacun ses loisirs.

Ça me mène à parler d’un des aliments incontournables ici : l’umeboshi. C’est une prune qu’on fait macérer dans la saumure et sécher ensuite. Elle conserve une teinte rosâtre et une texture moelleuse en bouche. Mais le sucre du fruit s’est endormi, et c’est la saumure qui l’a rejoint.

Maintenant, qu’avait en tête le type qui a commencé cette transfiguration d’un fruit pourtant facile à aimer ? La question reste ouverte.

J’avoue aussi : j’aurais dû me mettre en garde contre mon enthousiasme pour la bouffe japonaise, avant de dire à Alex Pratt, mon voisin de palier : « Goûte à ça, c’est merveilleux ! » D’autant qu’on ne mange pas ça bêtement tout seul, comme je fais ; on met ça dans du riz, par exemple.

Alexandre a tout recraché. « Pire chose que j’aie (pas) mangée », a-t-il dit en grimaçant. Heureusement, je me suis fait pardonner avec des écorces de mandarines confites achetées au même marché (on a droit à 15 minutes, ce qui rappelle L’épicerie en folie).

Vous ai-je dit que l’umeboshi contient 17 choses bonnes pour plein d’autres choses, comme le foie et, d’après moi, la bonne humeur ?

Umami, mon ami, merci d’être là.