On dit souvent que le hockey est comme un petit monde. Un monde où on ne sait jamais où un contact développé plusieurs années auparavant peut nous mener.

C’est par ce réseau tentaculaire qu’un bon jour, Mario Durocher, vétéran dirigeant dans la LHJMQ, s’est retrouvé en tête-à-tête avec Dainius Zubrus. Oui, oui. LE Dainius Zubrus qui a tant fait rêver à Montréal, il y a un quart de siècle.

L’entremetteur derrière cette rencontre : Dan Lacroix, entraîneur-chef des Wildcats de Moncton, ancien entraîneur adjoint chez le Canadien et, surtout, ancien cochambreur de Zubrus à Philadelphie dans les années 1990. Les deux hommes sont restés proches au point où Lacroix était garçon d’honneur au mariage de Zubrus.

Retraité depuis 2016, Zubrus est président de Hockey Lietuva, la fédération lituanienne de hockey sur glace. À la recherche d’un entraîneur-chef pour ses équipes U18 et U20, il a demandé conseil à Lacroix. Sa recommandation : Mario Durocher, DG adjoint chez le Drakkar de Baie-Comeau, ancien entraîneur-chef d’à peu près la moitié des clubs de la LHJMQ. Le Mike Sillinger des coachs.

« Je venais à Montréal pour visiter mon ex-conjointe et nos enfants, donc j’ai rencontré Mario, on a dîné ensemble, on a parlé et rapidement, je me suis dit que s’il acceptait le poste, on serait chanceux de l’avoir », raconte Zubrus à La Presse, au bout du fil.

« J’ai aimé son professionnalisme, sa gestion, comment il prépare les entraînements. Il était prêt pour tout ce que je lui demandais. Il connaît son hockey, mais aussi les détails, comment faire les choses, et j’ai confiance en ses méthodes. Il enseigne et il demande de la discipline, des choses en lesquelles je crois. »

Deux ans plus tard, discrètement, Durocher cumule donc les doubles fonctions de DG adjoint du Drakkar et d’entraîneur-chef des équipes U18 et U20 de la Lituanie. Discrètement parce que la Lituanie n’étant pas une nation de hockey, le pays se bat constamment pour être promu dans les meilleures divisions internationales.

Choc culturel

C’est un peu avant Noël 2022 que Durocher s’est envolé une première fois vers le pays des cigognes qui n’est pas l’Alsace.

« On a fait un camp, on avait 60 gars de moins de 18 ans. Je ne connaissais pas les coachs, je ne savais pas dans quoi je m’embarquais », admet Durocher.

La première chose que j’ai demandée à Dainius en arrivant : c’est tu la guerre là-bas ? Il y a tu une bombe qui va me tomber sur la tête ?

Mario Durocher

C’est en effet une question légitime pour un pays qui partage une frontière avec l’enclave russe de Kaliningrad. En fait, le Québécois moyen connaît très peu la Lituanie, pour la simple et bonne raison qu’à quelque 2,7 millions d’habitants, c’est un des pays les moins peuplés d’Europe.

« On n’est pas un gros pays, pas un pays de hockey non plus, pas encore, précise Zubrus. Tous mes amis étaient préoccupés, et Mario aussi, c’est normal, car ils ne savent pas si la frontière est proche. Mais ça fait maintenant deux ans. Les premiers mois, c’était tendu. Même dans les soupers entre amis, les gens suivaient les nouvelles. C’était choquant de voir ça, en 2022, 2023, des bombardements. »

Le choc sur la glace était moindre. « Je n’ai aucun problème à dire qu’en termes d’habiletés individuelles, ils sont aussi bons qu’ici, affirme Durocher. C’est plus au niveau tactique, dans la compréhension du système de jeu, qu’ils avaient des problèmes, et c’est ma force. »

« Son mandat est de préparer les jeunes, rappelle Zubrus. Ils ont eu un camp, ils participent à des tournois et ensuite, ils retournent à leur équipe à temps plein… Leur expérience avec le programme national leur donne une structure, ils savent ce qui leur est demandé. Les jeunes ont leur cahier pour le système, les règles, le code vestimentaire. »

PHOTO FOURNIE PAR DAINIUS ZUBRUS

La Lituanie compte environ 1500 joueurs inscrits au hockey.

Il reste que le pays vient au 24rang mondial et compte 10 patinoires, selon la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF). Zubrus, Darius Kasparaitis et Andrey Pedan, qui a brièvement joué à Vancouver en 2015-2016, demeurent les seuls Lituaniens de naissance à avoir atteint la LNH, selon les différents sites de référence.

« Le basketball est n1 ici, rappelle Zubrus. On manque d’arénas. La raison pour laquelle je suis devenu président de la fédération, c’est pour inciter les villes à construire des arénas. Beaucoup de gens aiment le hockey, mais ils n’ont nulle part où inscrire leurs enfants. On a environ 1500 jeunes inscrits. Mon but est de faire croître ce chiffre, et peut-être qu’on aura un autre joueur dans la LNH un jour. »

Gymnastique compliquée

Pour Durocher, ce mandat implique une certaine gestion de son horaire. Il calcule devoir se rendre quatre fois par année en Lituanie. « En novembre pour le tournoi des Quatre Nations des U20, aux Fêtes pour le Championnat du monde junior, une semaine pour les Quatre Nations U18 et le Championnat du monde des moins de 18 ans », détaille-t-il.

Certains de ces tournois sont obscurs au point où il est difficile d’en trouver des traces dans l’internet, du moins en anglais. C’est le cas du tournoi des Quatre Nations de la semaine dernière, par exemple, mais Durocher nous indique que son club a terminé la compétition avec une victoire, une défaite en temps réglementaire et une en prolongation, tournoi que la Pologne a remporté.

Il parvient malgré tout à remplir ses obligations avec le Drakkar, la meilleure équipe junior au Canada jusqu’ici cette saison avec une fiche de 43-8-3. « Il se couche tard ! », note Jean-François Grégoire, entraîneur-chef et DG de l’équipe. « Des fois, il est 2 h, 3 h du matin là-bas et on se parle. Mais ça lui fait vivre une autre expérience et nous, on en bénéficie, parce qu’il se fait des contacts là-bas. »

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Mario Durocher est aussi directeur général adjoint du Drakkar de Baie-Comeau, dans la LHJMQ.

Pour Durocher, l’important demeure de développer des joueurs, mais aussi, pour lui personnellement, « d’aller chercher l’adrénaline de coacher. C’est mon feu sacré en dedans », dit-il.

« Je dis toujours que je suis un ti-cul de la rue Grosvenor à Sherbrooke. Mais j’arrive là, je suis entraîneur-chef de l’équipe nationale. Tout est une question de respect, et les gens sont respectueux là-bas. Oui, il y a de la magouille comme ici. Il y a des parents qui trouvent que leur gars ne joue pas assez. Mais en venant de l’extérieur, je suis plus neutre.

« J’en entends parler par mes assistants, j’entends du placotage, mais ils ne viennent pas me voir. Donc je prends l’équipe, je fais mes sélections. Ce n’est pas plus le fun là qu’au Canada, car tu es le briseur de rêves ! Mais il faut que tu saches où tu t’en vas. »