(Hamden, Connecticut) L’entraînement tire à sa fin en ce jeudi midi au centre sportif de l’Université Quinnipiac. L’entraîneur-chef de l’équipe masculine, Rand Pecknold, rassemble ses troupes au centre de la patinoire.

Les joueurs posent un genou sur la glace. L’entraîneur prononce quelques mots inaudibles et conclut le tout par un mot d’ordre en vue des matchs de la fin de semaine, les deux à domicile. Let’s take care of our rink. Autrement dit, assurons-nous de gagner devant nos partisans.

Puis, les coachs s’éloignent, les joueurs se rassemblent, échangent quelques paroles, puis ils lèvent tous leurs bâtons en l’air, pour un cri de ralliement, qui commence par le classique one two.

Ils font ça à la fin des entraînements sur la glace. Même au gymnase, ils le font. Il y a toujours un gars qui dit quelque chose. Je ne sais pas quoi, car je me retire. C’est dans leur culture.

Rand Pecknold, entraîneur-chef de l’équipe masculine de l’Université Quinnipiac

Ce genre de rituel se voit de plus en plus chez les équipes juniors, et dans un programme axé sur la culture d’équipe, et où cette culture semble être plus qu’un mot galvaudé, il ne faut pas s’étonner devant une telle pratique. Même après un banal entraînement du jeudi, en plein mois de novembre, à quatre mois des séries éliminatoires.

Nous voici chez les Bobcats de l’Université Quinnipiac, champions en titre de la NCAA. Un programme parti de rien, dirigé par le même entraîneur depuis 30 ans, qui réussit maintenant à lutter avec les titans du Minnesota, du Massachusetts et du Michigan. Et qui compte quatre Québécois dans ses rangs.

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L’aréna de l’Université Quinnipiac

John Lahey a connu l’avant et l’après à l’Université Quinnipiac. Il en a été président de 1987 à 2018.

« La blague en 1987, c’était que si tu savais comment prononcer Quinnipiac, tu étais admis. Et si tu étais capable de l’épeler, tu obtenais une bourse ! », lance l’ancien administrateur en riant.

Le collège partait de loin. « En 1987, c’était une école de 2000 étudiants, qui ne vivaient pas sur le campus, poursuit Lahey. On avait un terrain de 100 acres et seulement trois écoles spécialisées. Notre fonds de dotation était de 5 millions de dollars, énumère-t-il.

« Je savais qu’une école de 2000 étudiants, privée, sans financement public, était fragile. Mon but était de transformer ce petit collège en université reconnue nationalement. »

Et le programme de hockey ? Toutes les histoires qui circulent sur le début des années 1990 semblent tout aussi invraisemblables les unes que les autres. Par exemple :

• L’université n’avait pas son propre aréna, donc les matchs à domicile étaient joués dans l’aréna d’une école secondaire. « On n’avait pas de vestiaire pour entreposer l’équipement. Les joueurs devaient rapporter leur sac à la maison. Je me sentais mal pour ceux qui avaient des colocs ! », raconte Lahey. « C’était pas mal Mickey Mouse », concède Pecknold.

• Lors du premier camp d’entraînement dirigé par Pecknold, en 1994, il y avait « 17 patineurs et 12 gardiens », soutient Pecknold. « J’ai demandé aux gardiens s’ils avaient déjà joué comme patineurs ! » Personne n’a levé la main, assure-t-il.

• Les entraînements avaient lieu à minuit, « la seule plage horaire disponible », relate Pecknold. « À notre deuxième année, on avait la glace à 21 h 40. C’était mieux, mais pas optimal. »

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L’entraîneur-chef de l’équipe masculine de hockey de l’Université Quinnipiac, Rand Pecknold

Pecknold lui-même occupait un double emploi. De jour, il enseignait l’histoire au secondaire, ce qu’il a fait jusqu’à ce que le programme accède à la Division I de la NCAA, en 1998.

Pour l’amateur de hockey moyen, le nom de Quinnipiac demeure méconnu, car les vedettes à en sortir sont rares. On compte seulement deux anciens du collège dans la LNH cette saison : Devon Toews et Connor Clifton. Le Canadien a accueilli un seul Bobcat dans son histoire : le Franco-Ontarien Matthew Peca.

De plus, le nom du programme n’a jamais été entendu au premier tour du repêchage de la LNH, et une seule fois au deuxième tour. C’était en 2003.

Pourtant, Quinnipiac a remporté le championnat national de la NCAA le printemps dernier. C’était son premier titre, mais sa troisième finale en 10 ans. Seule Minnesota-Duluth s’y est retrouvée aussi souvent dans la dernière décennie.

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Les Bobcats de l’Université Quinnipiac ont hissé leur bannière de champions de la NCAA en octobre dernier.

Pecknold ne s’en cache pas : lui aussi aimerait attirer les Logan Cooley, les Adam Fantilli de ce monde. « Le problème, c’est que les meilleurs espoirs vont tous dans les sept ou huit mêmes collèges », regrette-t-il. Il n’a pas tort ici. Dans les trois derniers repêchages, 24 choix de premier tour sont passés par le système universitaire américain. Dix-sept d’entre eux étaient regroupés dans trois programmes : Michigan (8), Minnesota (5) et Boston College (4).

« Donc on a trouvé une niche. Les deux choses dont on a besoin pour connaître du succès, c’est un gros QI hockey et un niveau élite de caractère. On recherche aussi le talent, mais ça prend d’abord ces deux éléments. »

Avec ces traits de caractère, Pecknold a pu instaurer cette fameuse culture, tant vantée par les joueurs. Une culture qui commence au camp d’entraînement, quand ils sont conviés, le samedi matin, à des sixers. Sixers, comme dans 6 h du matin, heure à laquelle ils sont attendus au gymnase.

« Tu ne peux pas vraiment sortir le vendredi soir, reconnaît l’attaquant Christophe Fillion, un des quatre Québécois de l’équipe. Si tu veux avoir le temps de déjeuner, tu dois te lever à 5 h 15 ! Il veut qu’on soit rigoureux, et ça rend l’équipe vraiment tight. »

C’est au gymnase que cette culture se transmet. Charles-Alexis Legault, un espoir des Hurricanes de la Caroline, est arrivé ici à l’été 2022. Fillion et l’autre Christophe, Tellier celui-là, l’ont pris sous leur aile. « On parle de culture… Il y a des choses que tu ne veux pas faire en tant que recrue », reconnaît Legault.

Ce que les deux Christophe lui ont montré ? « Des détails dans le gym. Tu ne peux pas t’asseoir, tu ne peux pas mettre tes mains sur tes genoux. Il faut que tu restes debout, droit. Pas de casquette, pas de collier, pas de gomme. C’est le standard.

« Être penché dans le gym, c’est mauvais parce que tu n’as pas autant d’oxygène. La casquette, ce n’est pas professionnel. La gomme, tu peux t’étouffer. C’est la même chose sur la glace. La différence entre nous et les autres équipes, c’est la marge que ces détails-là nous donnent. Tu les additionnes et ça fait une grosse différence. »

« On ne se bat pas nous-mêmes »

Sur la glace, le mot d’ordre est inscrit dans le vestiaire : 40 for 40. Selon l’entraîneur Rand Pecknold, dans un match, il y a en moyenne 40 moments où les joueurs doivent se replier défensivement. Le standard, c’est que les joueurs doivent se replier les 40 fois.

« On est une équipe de petit gabarit, mais on travaille, on ne rate jamais un repli, détaille Christophe Tellier. On est disciplinés, on est matures, on ne se bat pas nous-mêmes. »

Les détails sont un autre élément crucial. L’équipe compte sur des jeux prédéterminés à chacun des neuf points de mise en jeu. « On est structurés, mais on donne aussi de la liberté. Voici le plan : si ce n’est pas là, faites un jeu. Ce n’est pas robotique. Mais on veut des gars intelligents qui peuvent faire des lectures de jeu et réagir », soutient Pecknold.

Le but gagnant en finale le printemps dernier a justement été inscrit sur un jeu préparé, appelé le « Jet ». « C’est un jeu qui est fait pour qu’on entre en zone offensive en possession de la rondelle, explique Legault. C’est ça, le but, mais des fois, ça crée des surnombres. » Dans ce cas, ça a créé un but, et rapporté un championnat.

Regardez le but gagnant du championnat 2023 de la NCAA

Et Pecknold, dans tout ça ? Avec autant de règles, on pourrait s’imaginer un coach à l’approche militaire, d'autant que certains le trouvent froid, en raison de son obsession pour les détails et la vidéo. On aborde la question en fin d’entrevue, au moment où Christophe Tellier passe par là. « Est-ce que je suis si distant que ça ? », demande-t-il à Tellier. Le jeune homme pouvait difficilement répondre par l’affirmative, mais leur poignée de main chaleureuse semble bien sincère.

Est-ce que je suis un players’ coach ? Non. Mais je ne suis pas non plus un dictateur. L’an passé, j’ai crié une fois après un joueur. Dans toute l’année. Qui fait ça ? Personne !

Rand Pecknold, entraîneur-chef de l’équipe masculine de l’Université Quinnipiac

« On valorise le renforcement positif, précise le coach. Par exemple, on n’est pas bons pour cacher la vue du gardien. Disons que dans un match, on rate 10 occasions de le faire. Le lundi, je ne vais pas montrer ces 10 jeux. Je vais montrer les quatre fois où un gars l’a fait, pour qu’ils se disent : moi aussi, je veux être dans la vidéo !

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L’entraîneur Rand Pecknold dirige ses joueurs derrière le banc durant l’entraînement.

« On va te montrer ton erreur en privé, dans un environnement protégé. Avant, tu la lui montrais devant ses 27 coéquipiers. Le jeune est humilié. Il comprend, mais c’est mauvais pour la confiance, le gars sait qu’il rate le jeu qui s’en vient. Je coachais comme ça il y a 20 ans, comme tout le monde. C’est plus personnalisé aujourd’hui. »

Pecknold n’est pas seul à mener la barque. Le préparateur physique, Brijesh Patel, a reçu les éloges de tous les intervenants rencontrés. « Il est très positif. Avec lui, ce n’est pas good morning, c’est great morning », illustre le gardien Vincent Duplessis.

Les plus cyniques diront que les succès des Bobcats viennent du fait qu’ils alignent des joueurs plus âgés. Il reste que selon les données de College Hockey News, Quinnipiac vient au 46e rang (sur 64 programmes) pour la moyenne d’âge (22 ans) des joueurs cette saison.

Collectivement, l’équipe produit des résultats. Individuellement, les joueurs y trouvent leur compte. Le printemps dernier, sept d’entre eux – le quart du programme – ont signé des contrats chez les professionnels ; l’un d’eux, le gardien québécois Yaniv Perets, a décroché un contrat de la LNH.

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Le gardien québécois Yaniv Perets (à gauche)

Et à l’école ? « C’est une petite école, le ratio étudiants/prof est bon. Je ne voulais pas être dans des classes de 300 étudiants, où le prof ne connaît pas ton nom », a admis Fillion.

Le programme « 3 +1 » que font notamment Legault, Fillion et Tellier permet aux joueurs de faire leur bac et leur MBA en quatre ans. « Ils condensent six ans de scolarité en quatre ans », rappelle Pecknold.

C’est donc une machine bien huilée qui est en place dans ce petit collège du Connecticut, dans la cour arrière de la prestigieuse Université Yale. Une option intéressante pour ceux qui voient leur carrière comme un marathon, et non un sprint.

Qui y aurait cru il y a 30 ans ?

St-Louis « coachait pour développer »

Rand Pecknold a tissé des liens étroits avec l’entraîneur-chef des Hurricanes, Rod Brind’Amour, notamment parce que le fils de ce dernier, Skyler, a joué quatre ans à Quinnipiac. Mais Pecknold a aussi des liens avec Martin St-Louis, puisque leurs fils ont joué ensemble au hockey mineur. « Je l’ai même remplacé lors de son intronisation au Temple de la renommée ! révèle Pecknold. Je l’ai trouvé excellent. Ses entraînements étaient excellents. J’ai volé certains de ses exercices, il m’en a aussi volé ! », révèle Pecknold. « Des fois, tu prends son idée et tu l’adaptes à ta façon, précise St-Louis. Je lui lève mon chapeau pour ce qu’il a bâti. » Pecknold n’a que de bons mots à dire au sujet du pilote du Canadien. « Là où il était très bon, c’est qu’il voulait gagner, mais il ne coachait pas pour gagner. Il coachait pour développer. Il dirigeait une des meilleures équipes au pays. Les 2005 de Mid-Fairfield étaient toujours dans le top 5 au pays. Plusieurs entraîneurs coachent seulement pour gagner. Je voyais des équipes qui faisaient du dump and chase [dégager la rondelle en fond de territoire] tout le match. À 11 ans. Ce n’est pas du développement. Ils essayaient de gagner, mais tu ne peux pas leur demander de faire ça à cet âge ! »