Depuis son entrée en poste, il y a moins de deux ans, Martin St-Louis parle régulièrement de valeur.

Non pas au sens judéo-chrétien du terme, tant s’en faut. Mais bien de celle, au singulier, de ses joueurs.

Visualisez la courbe d’une action en Bourse, qui monte et descend au gré de différents facteurs. Dans cette perspective, l’entraîneur-chef du Canadien lance à ses ouailles le défi de hausser leur valeur le plus possible, et en tout temps.

La production offensive est évidemment une méthode très concrète pour faire monter sa valeur. Mais c’est incomplet. Car ce n’est pas tout le monde qui jouera en avantage numérique. Et les minutes à cinq contre cinq ne seront jamais distribuées à parts égales. Pour certains joueurs, il faut donc chercher ailleurs. Par exemple, en désavantage numérique.

Samedi soir, dans la victoire de 3-2 du Canadien contre les Capitals de Washington, deux éléments ont retenu notre attention dans la distribution du temps de jeu à court d’un homme.

D’abord, David Savard n’a pas terminé au premier rang chez les défenseurs. Pas même au deuxième. Ce sont plutôt Jordan Harris et Johnathan Kovacevic qui ont pris la tête. Ensuite, chez les attaquants, derrière l’indélogeable Jake Evans, Jesse Ylönen s’est classé deuxième. Une hausse notable pour un néophyte en la matière.

Le cas du Finlandais illustre bien la philosophie de St-Louis. L’ailier a déjà avoué qu’avant cette saison, il n’avait presque jamais joué en infériorité numérique, sinon pas depuis des années. Or, s’il a réussi à engranger des points à un rythme intéressant dans la Ligue américaine, cette production ne s’est pas encore transposée dans la LNH. Il lui fallait trouver autre chose.

Le voilà donc jumelé à Evans sur le principal duo chargé d’écouler les punitions. Force est d’admettre qu’il s’en sort très bien jusqu’ici.

« J’aime que mes gars, dans mon équipe, aient un rôle, a dit St-Louis en fin de soirée samedi. Le rôle d’Ylo, présentement, c’est de tuer des punitions. Peut-être qu’il ne s’en rend pas compte tout de suite, mais ça a beaucoup de valeur. Un joueur fait monter sa valeur quand il est capable de faire ça. »

Du reste, « son côté offensif, il ne le perdra pas », a rappelé l’entraîneur. Son côté défensif le sert bien, en tous les cas, puisqu’Ylönen a obtenu deux présences en toute fin de match, alors que le Canadien désirait d’abord protéger son avance de 2-1, puis sauver l’égalité avant la prolongation. « J’ai confiance en lui », a résumé St-Louis.

Rôles

On sent dans l’utilisation actuelle des joueurs du Canadien une réelle intention de créer des spécialistes de chaque phase de jeu.

Pour l’heure, seuls Mike Matheson et Sean Monahan sont employés à profusion à la fois en avantage numérique et en désavantage numérique. En évoluant sur le troisième trio à cinq contre cinq, Monahan voit sa charge globale de travail s’équilibrer. Il n’y a donc que Matheson pour qui les vannes sont ouvertes en toutes situations.

Évidemment, toute comparaison avec la saison dernière doit être accompagnée d’un astérisque : la quantité astronomique de blessures a forcé certains joueurs à prendre les bouchées doubles, et d’autres à jouer un rôle qui ne leur ressemblait pas. Alex Belzile en avantage numérique ? Oui, c’est arrivé.

Il n’empêche qu’on semble assister à un rééquilibrage des forces, particulièrement en infériorité numérique.

La LNH compile désormais la proportion des minutes qu’un joueur dispute sur les unités spéciales par rapport au total de son équipe lorsqu’il est en uniforme. Par exemple, lorsque David Savard était en santé, la saison dernière, il a disputé 63,6 % des minutes que le Tricolore a passées en infériorité numérique. Le fossé entre Savard et Joel Edmundson, au sommet, et le reste de l’escouade défensive est abyssal.

Or, voilà Edmundson parti, sans que la direction l’ait remplacé. Malgré cela, bien que Savard demeure l’arrière le plus sollicité, son utilisation représente une part moins importante de la tâche totale en désavantage numérique.

A priori, ce sont surtout Kovacevic et Harris qui ont pris du galon. Kovacevic était déjà un régulier l’an dernier, mais son mandat s’est élargi. Droitier comme Savard, c’est résolument lui qui mange des minutes à son aîné. Quant à Harris, il a surtout été appelé en relève après que Kaiden Guhle se fut blessé.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Johnathan Kovacevic (26)

En attaque, on assiste au même genre de phénomène, mais avec un personnel renouvelé. On a parlé d’Ylönen, mais Rafaël Harvey-Pinard a désormais sa place à temps plein en infériorité numérique, lui qui est principalement jumelé à Sean Monahan.

Tanner Pearson met lui aussi l’épaule à la roue, ce qui laisse à Nick Suzuki un rôle de soutien. On peut même se demander si le capitaine ne sera pas complètement soulagé de cette tâche lorsque Christian Dvorak reviendra au jeu. Et Josh Anderson a été presque complètement effacé de l’équation.

Martin St-Louis avait d’ailleurs affirmé, dès le camp d’entraînement, qu’il souhaitait libérer Suzuki du travail en infériorité numérique. Il est certes capable de remplir ce rôle, mais si d’autres options s’offrent à son entraîneur, aussi bien les utiliser.

Tout le monde pourra mieux trouver sa valeur à la bonne place. Nous aurions envie d’ajouter « dans la bonne chaise », mais nous n’irons pas là.