La scène se déroule à la fin de décembre. Les Coyotes de l’Arizona viennent de vaincre l’Avalanche du Colorado 6-3. Quatre jours plus tôt, ils avaient battu les Kings de Los Angeles en tirs de barrage.

Comme à ses habitudes après les matchs, le directeur général des Coyotes, Bill Armstrong, entre dans le bureau d’André Tourigny, qui décompresse en compagnie de ses adjoints.

« Vous autres, les coachs, vous êtes en train de tout me gâcher ça ! »

Armstrong a évidemment le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Il s’agit d’un compliment déguisé, et le ton est à la taquinerie, mais il y a néanmoins un fond de vérité.

On n’échange pas son gardien numéro un, ses deux premiers défenseurs et trois de ses meilleurs compteurs contre des choix au repêchage en espérant remporter des championnats à court terme.

« On en parle ouvertement, confie avec franchise l’entraîneur-chef des Coyotes. Idéalement, il voudrait obtenir le meilleur choix au repêchage possible.

« En même temps, Bill est extrêmement compétitif. Il ne veut jamais perdre. Il est misérable après une défaite et il est très fier quand on gagne. C’est très difficile d’accomplir les deux. Bill regarde le classement, il sait que les gens nous voyaient derniers… il y a une grande différence entre repêcher premier et sixième ou septième. »

Les Coyotes occupent le 27rang du classement général, un point devant le Canadien. Si le repêchage avait lieu aujourd’hui, ils choisiraient au sixième rang, avec 7,5 % de chances de remporter la loterie, 6,5 % de piger au deuxième rang, 34,1 % de rester à la même place, 41,4 % de reculer au septième rang et 9,1 % de repêcher huitièmes.

« On s’agace avec ça, dit Tourigny. Mais il n’en fait pas une maladie. Il me dit toujours : si c’est ça le destin… En même temps, tu regardes les Devils [du New Jersey] l’an dernier, ils sont passés du cinquième au deuxième rang. »

Tu peux gagner un peu plus que prévu et gagner à la loterie. On ne sait jamais.

André Tourigny

Avec le départ récent de leur meilleur défenseur, Jakob Chychrun, échangé aux Sénateurs d’Ottawa contre un choix de premier tour en 2023 et deux choix de deuxième tour, en 2024 et en 2026, on ne visera pas le championnat en Arizona l’an prochain non plus.

« Les équipes en reconstruction veulent parfois progresser trop rapidement, souligne Tourigny. Certaines équipes en reconstruction prétendent depuis deux ou trois ans qu’elles sont à l’étape de participer aux séries et elles n’y sont toujours pas. Il faut laisser les choses se mettre en place de façon naturelle. »

Bill Armstrong a déjà indiqué en entrevue qu’il fallait patienter au moins sept ou huit ans pour une reconstruction réussie.

« On a fait l’exercice et en fait, c’est plutôt entre huit et treize ans à compter du moment où tu la commences, précise Tourigny. Chicago et Pittsburgh l’ont fait plus rapidement. Mais avant d’obtenir [Sidney] Crosby, les Penguins avaient repêché Marc-André Fleury au premier rang en 2003 et Evgeni Malkin au deuxième rang en 2004. Ils ont gagné la Coupe six ans après avoir terminé au 26rang, en 2002. »

Les exemples du Lightning de Tampa Bay et de l’Avalanche du Colorado sont encore plus renversants. « Tampa Bay, ça a pris 11 ans, et l’Avalanche a mis 12 ans. Le Colorado a repêché [Matt] Duchene au troisième rang en 2009, [Gabriel] Landeskog au deuxième rang en 2011, après il y a eu [Nathan] MacKinnon et [Cale] Makar, et ils ont gagné la Coupe en 2022. »

Ces équipes ont tout de même accédé aux séries éliminatoires à plusieurs reprises avant de remporter la Coupe Stanley. Leur traversée du désert ne ressemblait pas à celle des Sabres de Buffalo, tout de même.

« Quand un club devient compétitif, il faut quelques participations aux séries et des défaites douloureuses avant d’espérer soulever la Coupe, dit Tourigny. Je regardais le visage de Landeskog et de MacKinnon quand ils ont perdu au deuxième tour en 2021, ils étaient assommés. Ils venaient de réaliser à quel point c’était difficile.

« Tampa, il a fallu qu’ils perdent en quatre contre Columbus avant de gagner leurs deux Coupes Stanley. C’est pour ça que Toronto risque d’être dangereux cette année. S’ils parviennent à gagner en première ronde, ça peut être l’ÉQUIPE. »

Les vétérans partent

Les Coyotes ont vu les vétérans Andrew Ladd, Phil Kessel, Loui Eriksson, Anton Stralman, Antoine Roussel et Jay Beagle quitter l’équipe avant le début de la saison. Ils ne produisaient plus comme jadis, mais avaient un ascendant important sur les jeunes.

« La plupart avaient joué plus de 1000 matchs en carrière, on avait six ou sept Coupes Stanley dans notre vestiaire, rappelle Tourigny. J’avais des doutes au camp d’entraînement. Je me demandais si nos plus jeunes avaient assez appris d’eux et si le savoir allait se transmettre d’une génération à l’autre. Clayton Keller, Lawson Crouse, Nick Schmaltz et Christian Fischer ont pris le relais sans problème. »

Les Coyotes ont déjà dix points de plus que la saison précédente avec encore sept matchs à disputer. Clayton Keller, 24 ans, a explosé avec 82 points, dont 36 buts, en 77 matchs. Il en avait obtenu seulement 35 en 56 rencontres sous le prédécesseur de Tourigny, Rick Tocchet, il y a deux ans.

« Je suis allé manger avec lui à mon arrivée en Arizona en 2021 et je ne savais pas qu’il était ambitieux à ce point. Il a de grandes attentes envers lui, beaucoup plus hautes qu’on pourrait s’imaginer. Je trouvais qu’il avait beaucoup de chemin à faire pour réaliser ses objectifs. Mais il avait seulement besoin de sentir qu’on avait confiance en lui. »

L’éclosion de Barrett Hayton

Barrett Hayton constitue l’autre grande histoire dans le camp des Coyotes.

Ce cinquième choix au total en 2018 ne semblait pas progresser depuis le début de sa carrière professionnelle. Il montrait trois maigres passes en 27 matchs à la mi-décembre, après une saison de seulement 24 points en 60 matchs l’an dernier. Depuis son premier but de la saison contre Buffalo le 17 décembre, Hayton, 22 ans, a amassé 37 points en 49 matchs, mais 16 points… à ses 14 derniers matchs.

« C’est drôle parce que je lui ai demandé, à mon arrivée en Arizona, où il comptait habiter. Il m’a dit : chez Keller, raconte Tourigny. Je connaissais Barrett à ce moment-là parce qu’il avait joué pour moi au Championnat du monde junior, mais pas Keller.

« Aujourd’hui, je le sais. Clayton est un gars tranquille, mais un féroce compétiteur. Ils se ressemblent beaucoup. Ils n’arrêtent jamais de travailler. Keller a été une bonne influence pour lui. »

PHOTO JEROME MIRON, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Barrett Hayton

Hayton ne produisait pas offensivement l’an dernier, mais Tourigny lui confiait des missions délicates malgré son jeune âge.

« Il était tellement bon défensivement que je le faisais jouer contre les meilleurs à tous les matchs, Kopitar, McDavid, Kane. Il a connu un très bon camp cette année, mais il s’est mis beaucoup de pression et il ne produisait pas offensivement dans les premiers mois. Il était incapable de marquer.

« Mais même s’il vivait des moments difficiles, il ne baissait jamais les bras. C’est facile de travailler quand ça va bien, mais quand tu n’as pas encore de but à Noël et que tu continues à travailler avec acharnement, c’est spécial. Il n’y a pas une journée où il semblait affecté, il avait toujours le regard du tigre. »

Après son premier but, tout a débloqué. « Je savais quel genre d’être humain il était. Il était déjà dans la Ligue nationale quand les Coyotes ont accepté de nous le prêter pour le Championnat du monde junior en 2020.

« Le camp de l’équipe canadienne commençait le 10 décembre à Oakville, en Ontario, et on quittait pour l’Europe quatre jours plus tard. On lui a offert de nous rejoindre le 14. Mais il a insisté pour participer au camp. Il renonçait à quatre jours dans la LNH pour participer à notre camp. On réalisait que c’était un vrai. »

Hayton a été dominant dans ce tournoi. Mais il a failli rater la finale.

« Il s’est disloqué l’épaule en demi-finale. Nos médecins nous ont dit qu’il serait mieux de ne pas continuer. Il a décidé de jouer. On lui a proposé de jouer à l’aile pour éviter de prendre les mises au jeu. Il voulait rester au centre. Il a joué et il a marqué le but égalisateur, puis on a gagné. Après il a raté un ou deux mois avec les Coyotes. »

Je ne suis pas surpris par ses succès actuels, et je suis très fier de lui.

André Tourigny, au sujet de Barrett Hayton

Keller et Hayton pourraient accueillir un autre attaquant de talent sous peu. Logan Cooley, troisième choix au total en 2022, devant Shane Wright, rejoindra sans doute les Coyotes après sa saison dans la NCAA.

Son équipe, l’Université du Minnesota, affrontera Boston University et Lane Hutson en demi-finale la semaine prochaine.

« Il y aura des discussions entre Bill et le conseiller de Logan Cooley après sa saison. Il n’a pas fermé la porte à l’idée de terminer l’année avec nous, et nous ne fermons pas la porte non plus… »

Même si son équipe ne trône pas au sommet du classement, André Tourigny semble prendre beaucoup de plaisir à voir ses jeunes progresser. Il n’a sans doute pas fini de s’amuser… 

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  • 52-87-20
    Fiche d’André Tourigny avec les Coyotes de l’Arizona
    SOURCE : Hockeydb.com