L’annonce de l’embauche de Nick Bobrov comme codirecteur du recrutement amateur du Canadien, il y a deux semaines, a été éclipsée par celle de Vincent Lecavalier comme conseiller spécial au directeur général, Kent Hughes. La Presse s’est entretenue avec Bobrov.

C’est Chantal Machabée qui nous a mis la puce à l’oreille. « Il est venu me jaser ça en français dans mon bureau ! », nous écrit la vice-présidente aux communications du CH.

Puis, dimanche matin, Nick Bobrov nous envoie un texto pour convenir de l’heure de l’entrevue, en français. Et au bout du fil, c’est dans cette langue que le nouveau codirecteur du recrutement amateur du Canadien engage la conversation.

« Je n’ai pas parlé français depuis 20 ans. Ça va me prendre quelque temps pour le ramener à un niveau convenable », s’excuse-t-il.

Au bout du compte, ce Russe qui est établi aux États-Unis depuis près de 30 ans réussira à donner plus de la moitié de l’entrevue dans la langue de Richard Séguin. Il le fera avec l’accent unique du gars qui a d’abord appris un français international à l’école, qui a travaillé quelques mois à Metz et qui a ensuite frayé avec des Québécois du monde du hockey, notamment au Middlebury College, au Vermont.

« Je suis arrivé à Middlebury et il y avait plusieurs Québécois », explique-t-il, en référence aux François Gravel, Martin Lachaîne, François Bourbeau, Sébastien et Étienne Bilodeau qui peuplaient alors le vestiaire de l’équipe. « Ensuite, j’ai travaillé deux ans comme coach vidéo chez les Bruins [de Boston], avec Pat Burns [l’entraîneur-chef] et Jacques Laperrière [son adjoint]. C’était plus facile de communiquer avec eux. »

La question de la LHJMQ

Quiconque ayant vaguement suivi le Canadien ces dernières années est bien au fait des tiraillements causés par le repêchage de joueurs de la LHJMQ. En fait, sous Marc Bergevin, ce fut tout ou rien : quatre joueurs du circuit Courteau repêchés en 2013, quatre autres en 2021, mais seulement quatre en tout dans les sept repêchages entre 2014 et 2020, tous des choix tardifs. Trevor Timmins, ancien grand responsable du repêchage, était devenu le paratonnerre des critiques qui trouvaient le CH trop distant de la LHJMQ.

Le Canadien se dote maintenant d’une structure différente. Bobrov et Martin Lapointe sont chacun codirecteur du recrutement amateur. Les responsabilités de chacun demeurent vagues.

Lapointe demeure dans la région de Chicago depuis plusieurs années, mais a un pied-à-terre à Montréal, tandis que Bobrov est établi à Boston et possède une maison au Vermont. Il entend s’en servir comme base quand il aura affaire en ville. « Ce travail nécessite d’être moins à Montréal pour bien l’accomplir », croit-il.

On saisit l’allusion à la pression populaire. Interrogé sur la particularité du marché montréalais pour les joueurs locaux, Bobrov admet que « les joueurs qui peuvent réussir à Montréal doivent être résilients ».

« J’ai beaucoup pensé aux nuances de ce marché, à la culture, à la pression. Je comprends qu’on ne puisse pas faire certaines choses comme ailleurs. C’est pourquoi c’est très, très important pour moi de m’intégrer à la culture de la province. C’est différent. On s’occupe de la plus vieille équipe du hockey, avec les partisans les plus instruits au monde. On veut créer un environnement où ces partisans peuvent nous aider. Il y a une façon d’utiliser cette connaissance. »

Bobrov donne en exemple Yannick St-Pierre, qui s’est fait connaître grâce à sa chaîne YouTube nommée Draft Dynasty, suivie par plus de 10 000 personnes. Le Tricolore l’a embauché comme dépisteur vidéo il y a deux ans.

« Il était ma ressource préférée sur YouTube, donc j’étais déçu quand ils l’ont embauché, rigole-t-il. Mais là, j’ai le privilège de travailler avec lui ! »

Ce n’est pas un hasard s’il mentionne les vidéos de St-Pierre. Jeff Gorton et lui ont amorcé leur parcours dans la LNH en valorisant la vidéo et l’analyse de données, deux concepts qu’il évoquera à plusieurs reprises pendant l’entretien.

Philosophie commune

Bobrov est débarqué à Boston à 16 ans, sans ses parents, au moment de l’éclatement de l’URSS. « C’était comme l’Ukraine en ce moment, il y avait beaucoup d’incertitude, le pays tombait en ruine », décrit-il.

Il avait en poche une invitation pour jouer dans un réputé collège de la région, Belmont Hill, grâce à des contacts du milieu du hockey. Son père, Sergei, a toujours été impliqué dans le hockey de haut niveau à Saint-Pétersbourg ; il est aujourd’hui directeur de l’académie du SKA de l’endroit.

De Belmont Hill, il a été recruté par Middlebury College, là où Kent Hughes a étudié. Ils n’ont pas joué ensemble ; Bobrov est arrivé en 1995, trois ans après le départ de Hughes. Mais les deux ont appris sous Bill Beaney, réputé entraîneur-chef qui a fait des Panthers le meilleur programme de division III des années 1990 et 2000.

L’équipe a d’ailleurs gagné le championnat national à chacune des quatre saisons de Bobrov à cette institution.

« Je n’ai pas assez de vocabulaire pour décrire le génie de Bill Beaney, dit-il. Il a étudié Anatoli Tarasov, Scotty Bowman et les meilleurs entraîneurs de l’histoire. Son enseignement était basé sur les sens, l’espace et la créativité. Les entraînements étaient vraiment exigeants intellectuellement, et le but était d’amener les joueurs à voir les espaces et les occasions différemment. »

Le lien avec l’approche de Martin St-Louis est limpide. Bobrov l’explique avant même qu’on l’évoque. « En ce moment, il y a un entraîneur à Montréal qui prêche les mêmes valeurs. »

Bobrov estime que ses années à Middlebury lui ont ouvert des portes. À sa sortie du collège, en 1999, les Red Wings de Detroit, sous les ordres de Bowman, dominaient la LNH. « Pat Burns m’a demandé d’être son coach vidéo parce que Middlebury pratiquait le left-wing lock, le même système que Detroit. Pat et Jacques essayaient de comprendre ce système, et je pouvais les aider puisque j’avais joué dans ce système. »

Son travail à Boston l’a amené à côtoyer davantage Jeff Gorton, vice-président exécutif des opérations hockey du Canadien, qui était alors directeur général adjoint. Après deux années comme responsable de la vidéo, il a été muté au recrutement. « Ils avaient besoin d’un gars célibataire, prêt à voyager en Europe », décrit-il.

Bobrov a donc été impliqué dans les repêchages de 2002 à 2006 chez les Bruins, années au cours desquelles l’équipe a jeté les bases de sa Coupe Stanley de 2011.

C’est à cette époque que Patrice Bergeron, David Krejci et Brad Marchand ont été repêchés, entre autres. Krejci est le seul Européen du lot, mais dans ses fonctions de directeur du recrutement en Europe, il venait aussi épier des espoirs en Amérique du Nord afin de varier les points de vue, du « multisegment » dans le jargon du métier. Par le fait même, il en est venu à fréquenter les arénas du continent, dont ceux de la LHJMQ.

De là, il travaillera pour les Kings de Los Angeles lors des repêchages de 2007 et 2008, soit quelques années avant les championnats de 2012 et 2014. Alec Martinez, Dwight King et Slava Voynov, promis à une belle carrière avant d’être accusé dans une troublante histoire de violence conjugale, ont été recrutés lors de ces deux repêchages, de même que Wayne Simmonds, qui a servi de monnaie d’échange pour obtenir Mike Richards.

Bobrov renouera avec Gorton chez les Rangers de New York à compter de 2016. Le bilan des New-Yorkais au repêchage pendant ces années est moyen pour le moment, mais certains de ces joueurs sont en plein développement. Les Rangers font certes partie des puissances de la LNH cette saison, mais le rôle de leurs récents choix au repêchage n’y est pas central.

« Je ne sais pas si c’est une coïncidence ou de la chance, mais toutes les équipes pour lesquelles j’ai travaillé ont fini par remporter la Coupe Stanley. Et les Rangers sont forts maintenant. J’ai toujours comme but de laisser une équipe dans un meilleur état que ce qu’elle était à mon arrivée. »