C’était un accident. Un choc malheureux, entre le genou de Corey Perry et la tête de John Tavares. Mais le résultat, lui, était effrayant.

Le capitaine des Maple Leafs, désorienté, était étendu sur la glace. Le thérapeute a tenté de le stabiliser, notamment en tenant son cou. Lorsque Tavares a essayé de se relever, il a chuté vers l’arrière. Comme s’il perdait connaissance. Le soigneur a immédiatement demandé des renforts. Un moment angoissant. Plusieurs coéquipiers de Tavares ont sauté sur la patinoire. Le directeur général des Leafs, Kyle Dubas, est descendu de sa loge en courant. Le front de Tavares était ensanglanté. Puis l’image a coupé.

Mon cœur a fait trois tours.

C’était insupportable.

Après de très longues minutes d’incertitude, les médecins l’ont évacué sur une civière. En quittant l’aréna, Tavares a levé son pouce en l’air. « Il est conscient et il peut communiquer », a indiqué son entraîneur Sheldon Keefe après la rencontre. Les premiers tests n’ont rien révélé. Mais le centre des Leafs a quand même passé la nuit à l’hôpital. Il subira d’autres examens ce vendredi.

Si j’ai trouvé ça intenable dans mon salon, imaginez comment c’était sur place. Sur la glace. Comment se sentaient ses coéquipiers. Ses entraîneurs. Mais aussi ses adversaires. Notamment Carey Price, Shea Weber et Corey Perry, qui ont joué avec lui au sein de l’équipe canadienne. Surtout Perry, en fait. L’ailier du Canadien traîne une réputation de joueur salaud dans la Ligue nationale. Or, sur ce coup, il n’avait rien à se reprocher.

Les hockeyeurs ont beau être des professionnels, des incidents comme celui-là les remuent quand même. « Nous étions ébranlés », a confié Wayne Simmonds à Sportsnet, lors du premier entracte. « Ça faisait peur », a dit Zach Hyman. « C’était horrible de le voir souffrir », a ajouté Nick Foligno.

Dans l’ensemble, les joueurs des Maple Leafs sont restés sobres dans leurs commentaires. Mais le témoignage de leur entraîneur, Sheldon Keefe, laisse deviner qu’ils étaient plus bouleversés qu’ils ne l’ont laissé paraître.

« Comme joueur ou entraîneur, j’ai vécu plusieurs choses difficiles, a raconté Keefe. Plusieurs blessures, des choses comme ça. Mais dans un aréna vide [comme jeudi soir], c’est probablement la situation la plus inconfortable que j’aie vécue sur la patinoire. C’était difficile de passer au travers. Nos joueurs étaient ébranlés et préoccupés. J’étais préoccupé aussi […]. Ça nous a pris du temps pour retrouver [notre énergie] par la suite. »

* * *

John Tavares ne reviendra sûrement pas au jeu samedi. Et je serais franchement renversé s’il rechaussait ses patins dans les 10 prochains jours.

Son absence aura évidemment un impact important sur la suite de la série entre les Leafs et le Canadien. D’abord, parce qu’il est un attaquant talentueux. Il a terminé la saison avec 50 points. C’est plus que n’importe quel joueur du Tricolore. Mais son accident risque aussi de nuire au moral de plusieurs joueurs. C’est ici que les psychologues sportifs dans l’entourage des deux équipes peuvent changer la donne.

Dans son livre The Sport Psychologist’s Handbook, Joaquin Dosil relate trois incidents traités par des psychologues sportifs de la Boston University sur une période de 10 ans. Les trois incidents avaient une connexion avec le hockey. Lors du premier, un gardien de but avait subi un grave accident de vélo. Lors du deuxième, un joueur avait été paralysé après avoir heurté la bande tête première. Lors du troisième cas, beaucoup plus tragique, un hockeyeur de 16 ans était mort à la suite d’une mise en échec.

« Les athlètes ne veulent généralement pas que des psychologues cliniciens externes les aident avec ce traumatisme émotionnel, écrit Dosil. Ils préfèrent plutôt travailler avec des gens qui connaissent la culture de leur sport. Habituellement, avec un psychologue sportif, qui connaît les joueurs et la dynamique au sein de l’équipe. »

La plupart des équipes, sinon la totalité, ont maintenant recours à ces spécialistes. Les organisations ont aussi généralement déjà des protocoles en place pour gérer des situations difficiles, comme celle de jeudi soir. Le Canadien a d’ailleurs dû gérer plusieurs évènements bouleversants depuis 20 ans. Pensez à Trent McCleary, qui avait été atteint à la gorge par une rondelle. À Max Pacioretty, qui s’était fait écraser contre un muret par Zdeno Chara. Ou, dans un autre registre, au capitaine Saku Koivu, qui était atteint d’un cancer.

Le défi, explique Dosil, c’est de faire parler les hockeyeurs. Ce qui, vous vous en doutez bien, n’est pas toujours facile. « Les psychologues doivent aider les athlètes à gérer leurs émotions, afin qu’elles ne soient pas toujours brutes [raw] », explique-t-il.

Comment les joueurs des Maple Leafs réagiront-ils dans les prochaines heures ? L’accident subi par leur capitaine soudera-t-il le groupe encore davantage ? Ou nuira-t-il au moral des troupes ? Et le Canadien, lui ? Sera-t-il plus confiant, ou non ?

Nous aurons des réponses rapidement. En attendant, les partisans du Canadien savoureront la victoire des leurs. Et s’encourageront du fait que lors de ce premier match, jamais le Tricolore n’a paru déclassé. Ni complexé.