Pourquoi et comment devrait-on décortiquer un duel opposant l’une des meilleures équipes de la LNH à un club de la Ligue américaine ? Quand bien même on voudrait discourir pendant des heures sur le match de jeudi, ce serait un peu malhonnête de le faire.

Tenons-nous-en donc aux faits : le Canadien s’est incliné 4-0 contre les Hurricanes de la Caroline. Il a fourni un effort louable à forces égales, mais les unités spéciales ont exposé ses faiblesses. En ont résulté trois buts des locaux en avantage numérique et un autre à court d’un homme.

La meilleure équipe, sur papier et sur la glace, a gagné. Fin.

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Maintenant une question : ce match aurait-il dû avoir lieu ? Mieux encore : le prochain, samedi à Sunrise, devrait-il être maintenu à l’horaire ?

La réponse de la LNH, à tout le moins jusqu’ici : absolument. Le commissaire adjoint du circuit, Bill Daly, a déclaré sans rire, dans une entrevue au réseau TSN, que « si vous acceptez le fait qu’une fois que vous avez été frappé par la COVID, vous ne le serez plus de l’année, nous ne voyons pas de problème à [poursuivre] la saison ».

Passons sur la faiblesse des fondements scientifiques en amont — Evgeny Kuznetsov, des Capitals de Washington, a déjà contracté le virus trois fois.

La déclaration, surtout, trahit une considération minimale, voire absente, pour la santé des joueurs.

Plus personne

Avant les Fêtes, on a commencé à tester davantage les joueurs, à durcir les règles sanitaires. Or, la flambée des cas positifs s’est poursuivie, notamment et surtout chez le Canadien.

Pour la troisième fois en quatre jours, jeudi, l’équipe a annoncé avoir ajouté des noms au protocole de surveillance du circuit. Cette semaine seulement, neuf joueurs se sont ainsi isolés du reste du groupe. Au moment d’écrire ces lignes, ils sont 12 au total.

PHOTO JAMES GUILLORY, USA TODAY SPORTS

Michael Pezzetta (55) et Jesperi Kotkaniemi (82)

Dans les circonstances, et avec les nombreuses blessures qui affligeaient déjà le Tricolore, on a puisé dans les dernières ressources disponibles. Littéralement. Six des douze attaquants du CH en Caroline avaient amorcé la saison dans la Ligue américaine. Deux autres, Cole Caufield et Alex Belzile, y joueraient sans doute présentement sans l’éclosion de COVID. Ajoutons à cette liste les défenseurs Corey Schueneman, qui s’est bien débrouillé par ailleurs, et Kale Clague, retranché par les Kings de Los Angeles au camp d’entraînement, ainsi que le gardien auxiliaire Michael McNiven.

Après eux, il n’y a plus personne. Ou presque. De l’escouade de réserve, il ne reste que Cam Hillis, qui a amorcé la saison dans l’ECHL. Chez le Rocket de Laval, seul Jean-Sébastien Dea, dernier attaquant sous contrat, attend un rappel. Autrement, on a épuisé tous les défenseurs et les gardiens en santé.

Voilà en plus que Jonathan Drouin et Brendan Gallagher sont amochés (quelques détails sont à la fin de ce texte). S’ils devaient se faire porter pâle avant le match en Floride, il n’y aurait plus que 20 joueurs pour remplir 20 chandails. Puisera-t-on dans les rangs juniors ?

« Difficile »

Toute la semaine, on nous a répété le même refrain : nous faisons confiance à la ligue et à l’équipe pour prendre la bonne décision. Jake Evans, jeudi après-midi, et Nick Suzuki, après le match, l’ont réitéré.

Brandon Baddock aussi, d’une certaine manière, lorsqu’il a souligné qu’il y a « tellement de bons joueurs dans cette ligue que dès qu’une chance se présente, tu dois la saisir ».

L’entraîneur-chef Dominique Ducharme a un peu joué avec nos sentiments en déclarant que si la décision lui revenait, son équipe disputerait la rencontre samedi contre les Panthers, car autrement, « ce ne serait pas juste pour les gars qui sont ici et qui se battent pour une chance ».

Cédric Paquette, lui, semble en avoir marre. Plus d’une fois, il a rappelé qu’il ne voulait « pas chialer », et qu’il était conscient que son travail était d’abord de jouer au hockey. Le Québécois a quand même confirmé ce qu’on savait tous déjà un peu : « Ça n’a pas de bon sens. »

PHOTO JAMES GUILLORY, USA TODAY SPORTS

Sam Montembeault (35) bloque un tir d'Andrei Svechnikov (37)

Les cas positifs à la pelletée, les portes tournantes des remplaçants, l’incertitude qui plane, partout, constamment…

« Voir des gars tomber au combat chaque jour, ce n’est pas évident », a-t-il avoué en visioconférence après le sifflet final.

« On se pose tous des questions, a-t-il poursuivi. On ne sait pas à combien de cas ou de blessés ça va arrêter. […] C’est démoralisant, c’est dur à regarder, dur de jouer. »

Et le coup de grâce : « À voir tout le monde [tomber malade], on se demande si ça va nous arriver. S’il y a encore d’autres cas [jeudi ou vendredi], j’en viens à me demander s’il faut jouer le match de samedi. Je sais que les partisans ont payé leur billet, mais le produit sur la glace n’est plus le même qu’au début de l’année. »

Tout est là. Paquette, comme plusieurs de ses coéquipiers, se battra pour un poste quand les innombrables blessés ou malades reviendront. Mais à 28 ans, et après plus de 500 matchs dans la LNH, il ne craint plus d’exprimer le fond de sa pensée. Un peu comme Jonathan Drouin l’avait fait, avant Noël, en déclarant qu’il n’était pas chaud à l’idée d’affronter les Bruins, au moment où le virus proliférait dans le vestiaire à Boston.

Dominique Ducharme doit s’asseoir avec son patron Jeff Gorton vendredi pour déterminer la suite des évènements. L’organisation, dit-on, demeure en communication avec la ligue.

Le match de jeudi et celui de samedi feront certainement partie des discussions, sachant en plus que le CH retourne en Floride, berceau américain de la COVID. Les victoires morales dans la défaite ont leurs vertus, mais aussi leurs limites.

Qui gagne à faire délibérément jouer une équipe décimée et aux prises avec une éclosion incontrôlée de COVID ? Certainement pas les joueurs du Canadien, en tout cas. Et probablement pas la ligue non plus.

Alors, faites-leur donc une faveur. Laissez-les rentrer à la maison.

Dans le détail

Handicap au cercle

PHOTO KARL B DEBLAKER, ASSOCIATED PRESS

Nick Suzuki

On ne juge évidemment pas une ligne de centre par le seul succès de ses membres au cercle de mise au jeu. Mais il est indéniable qu’il s’agit là d’une composante fondamentale de l’emploi. Contre les Hurricanes, l’une des meilleures équipes de la ligue à ce chapitre, et en l’absence de Christian Dvorak, seul joueur de centre constant et efficace dans cette phase du jeu, le Canadien s’est fait manger tout rond. Les locaux ont remporté pas moins de 72 % des mises au jeu du match, soit 43 sur 60. Jordan Staal a été particulièrement dominant avec une performance de 17 gains en 21 tentatives (81 %). Dans le camp tricolore, tout le monde a peiné : Nick Suzuki (22 %), Jake Evans (33 %), Ryan Poehling (33 %) et Cédric Paquette (25 %). Le CH a été particulièrement atroce en infériorité numérique, ne gagnant qu’un duel sur sept (14 %). Et les Hurricanes ont marqué trois buts à cinq contre quatre. Rappelons que l’entraîneur-chef des Ouragans, Rod Brind’Amour, a été l’un des plus grands spécialistes des mises au jeu de l’histoire de la LNH, lui qui, en 1484 matchs en saison, a présenté un taux d’efficacité de 58,7 %.

Drouin et Gallagher tombent (eux aussi)

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan Drouin

Surprise à quelques secondes du début de la rencontre : Jonathan Drouin, qui avait pourtant participé à la période d’échauffement à la gauche de Nick Suzuki et de Brendan Gallagher, a été retiré de la formation du Tricolore. Lukas Vejdemo a donc été muté sur le premier trio et le costaud Brandon Baddock s’est vu offrir un premier match dans la LNH. Après la rencontre, Dominique Ducharme a indiqué que Drouin ne se sentait « pas bien du tout », et que malgré un test rapide de dépistage de la COVID-19 qui s’est révélé négatif, il a fait l’impasse sur la rencontre, car il n’avait « pas d’énergie ». Chez le Canadien, on croise les doigts pour qu’il soit remis à temps pour le match de samedi. Comme un malheur ne vient jamais seul, Brendan Gallagher a quitté le match en troisième période, victime d’une blessure au « bas du corps ». Ducharme a estimé que son cas n’était « pas trop grave ». Son état sera réévalué au jour le jour.

Le baptême de Baddock

À 26 ans, le dur à cuire Brandon Baddock n’avait encore jamais disputé de match dans la LNH et, en toute honnêteté, on ne croyait pas trop que ce jour viendrait pour lui. Une pandémie et un malaise subi par un joueur vedette plus tard, le troisième numéro 81 de l’histoire du Canadien a vécu son baptême jeudi à Raleigh. L’Albertain s’est d’abord joint à l’escouade de réserve, lundi matin, puis il a fait l’objet d’un rappel officiel le lendemain avant le match contre le Lightning à Tampa. Et lorsque Drouin a déclaré forfait, il était l’unique remplaçant disponible. On lui a indiqué tellement tard qu’il jouerait qu’il a seulement eu le temps d’envoyer un texto à sa femme. Il prévoyait appeler ses parents plus tard en soirée. « C’est un rêve devenu réalité, a-t-il raconté après le match. J’ai travaillé tellement fort, j’ai attendu tellement longtemps ma chance… Finalement c’est arrivé. J’ai trimé dur à chaque présence. » Sans surprise confiné à un rôle de soutien sur le quatrième trio, Baddock a fait un travail honnête et fait sentir sa présence devant le filet. Il a conclu cette rencontre avec quatre mises en échec.

En hausse : Cédric Paquette

PHOTO JAMES GUILLORY, USA TODAY SPORTS

Cedric Paquette (13) tente de déjouer Antti Raanta (32)

Le Québécois passerait sans doute son tour souvent dans une formation en santé. Mais il n’a pas mal paru dans les circonstances. Il s’est bien défendu en désavantage numérique et a obtenu l’une des meilleures chances de marquer de son équipe en deuxième période.

En baisse : Cole Caufield

PHOTO KARL B DEBLAKER, AP

Sebastian Aho (20) et Cole Caufield (22)

Son trio avec Ryan Poehling et Rafaël Harvey-Pinard s’est peu démarqué dans cette rencontre. Or, des trois, c’est certainement Caufield qui a été le moins visible. Une déception pour l’un des rares attaquants qui porte une étiquette de la LNH.

Le chiffre du match

25,4

La somme des salaires des 20 joueurs en uniforme pour le Canadien s’élevait à peine à 25,403 millions de dollars, loin du plafond de 81,5 millions pour les équipes de la LNH. Le total a même chuté à 18,903 millions quand Brendan Gallagher a quitté le match.

Ils ont dit

Leur désavantage numérique est l’un des meilleurs de la ligue, ils mettent beaucoup de pression en avantage numérique et font bien circuler la rondelle… On n’a pas fait du mauvais travail à quatre contre cinq, mais ils ont marqué trois buts quand même. On va regarder des vidéos et voir si on peut faire mieux.

Nick Suzuki

La motivation est là chaque fois que tu sautes sur la glace. On essaie tous de montrer qu’on a notre place ici. Tu joues dans la LNH, ce n’est pas une mauvaise situation ! On a travaillé fort contre une bonne équipe.

Nick Suzuki

Je devais participer à la séance d’échauffement, et quand je suis arrivé à l’aréna, j’ai su que je pourrais être appelé à jouer. C’est devenu officiel seulement 10 ou 15 minutes après l’échauffement.

Brandon Baddock, qui a disputé son premier match dans la LNH

C’est un bon patineur, il a un bon sens du hockey. Comme [les autres jeunes qui ont été rappelés], il doit utiliser ses forces, garder le jeu simple et bien utiliser ses outils. Il a bien fait.

Dominique Ducharme sur Lukas Vejdemo

À cinq contre cinq, je trouve qu’on a fait de bonnes choses. Malheureusement, on n’a pas réussi à marquer sur les chances qu’on a eues. À cinq contre cinq, ç’a fini 0-0. C’est vraiment sur les unités spéciales que la différence s’est faite.

Dominique Ducharme