Il vente, il fait froid, les conditions météo ne sont pas idéales, mais on reconnaît Richard Sévigny dès l’instant où il sort de son véhicule.

Il n’a pas trop changé : petite stature, air sympathique, sourire franc. En ce midi tranquille dans l’est de la ville, il se fond dans le paysage, et les gens qui passent à ses côtés ne se doutent probablement pas qu’il a jadis gardé le filet du Canadien avec brio, au point de récolter un trophée Vézina.

Mais ça, c’est bien lui : modeste, réservé, pas trop enclin à se vanter d’un passé pourtant fabuleux.

« Je ne me suis jamais servi de ça, explique-t-il d’emblée. Je n’ai jamais dit à personne que je suis un ancien gardien de la LNH pour essayer d’obtenir quelque chose. »

Origine modeste

On lui raconte que jadis, il n’y a pas si longtemps, un ami et collègue nous avait parlé d’une école de gardiens de but le samedi matin à l’aréna Camillien-Houde, dans le quartier Centre-Sud. Un certain Richard Sévigny en était le responsable, et notre réaction avait été la suivante : Richard Sévigny, l’ancien gardien du Canadien et des Nordiques ? Ce Richard Sévigny là ?

Oui, celui-là. Il se trouve qu’il provient lui aussi des milieux modestes du hockey mineur montréalais, ayant enfilé ses premières jambières à l’aréna Père-Marquette du quartier Rosemont, à l’âge de 8 ans.

J’ai jamais été inscrit dans une école de hockey... Mon premier entraînement, je ne savais même pas patiner, alors je voulais être gardien.

Richard Sévigny

« Je suis tombé sur la glace et mon frère, qui me suivait derrière, a reçu un coup de bâton dans l’œil. Sa carrière s’est terminée ce jour-là... »

De la vieille patinoire Père-Marquette au Forum de Montréal, il y a un pas de géant, qu’il a fait de la seule façon possible : avec détermination. Il a toujours été celui qui partait de loin de toute façon, et en 1977, le Canadien a pris un risque avec lui, au prix d’un choix de septième tour au repêchage. « Le 124e au total ! », rappelle-t-il non sans fierté.

La grande équipe

Il s’est ensuite pointé au camp du grand club en pleine dynastie.

Imagine : à mon premier camp avec le Canadien, ils m’ont donné une place dans le vestiaire du Forum, avec Ken Dryden à ma droite et Guy Lafleur à ma gauche. J’ai regardé ça et je me suis dit : ça marche pas, j’ai pas d’affaire là...

Richard Sévigny

À son souvenir, 12 gardiens étaient présents au camp des Glorieux ce jour-là, et de toute évidence, le choix de septième tour ne faisait pas partie des priorités. « Mais il y a un dépisteur qui m’a remarqué, et il m’a demandé si je voulais aller à Kalamazoo, où jouait le club-école des Red Wings de Detroit. J’y suis allé, parce qu’on ne sait jamais. Une fois là-bas, j’ai été retranché, et je me suis dit que c’était terminé pour moi, mais peu après, ils ont changé d’entraîneur et ils m’ont rappelé. J’ai joué avec eux, et à l’été, j’ai reçu un appel d’un agent, parce que je n’avais pas d’agent moi-même. Le gars m’a dit que le Canadien voulait m’offrir un contrat... »

Il se souvient encore des chiffres sur les chèques : 6000 $ à Kalamazoo, 14 000 $ pour aller jouer dans la Ligue américaine en Nouvelle-Écosse, là où était alors domicilié le club-école du Canadien. « J’ai plus que doublé mon salaire d’un seul coup ! » Il a touché 60 000 $ à sa première saison au Forum, en 1979-1980.

« J’ai jamais pensé me rendre dans la LNH, ajoute-t-il. Mon rêve, c’était de faire une année dans le semi-pro pour vivre l’expérience des voyages en bus, des voyages aux États-Unis. Finalement, j’ai joué 11 ans dans les rangs professionnels. Il faut apprécier la vie qu’on a... »

Après avoir touché le « gros lot » avec les Nordiques en 1984-1985 (« 140 000 $, mon plus gros salaire dans la ligue »), il finit par prendre sa retraite, pour ensuite aller diriger des équipes de hockey en France. À son retour au Québec, il décide de revenir à la base et aux arénas plus modestes.

« Je suis revenu de Briançon, et un ami qui travaillait au Collège de Montréal m’a parlé d’un poste... Je lui ai dit de donner mon nom. Quelques jours plus tard, j’ai eu une rencontre et j’ai commencé dans ce milieu-là. C’était en septembre 1992. »

Redonner

Ce goût de redonner et de donner un coup de pouce aux jeunes ne s’est pas estompé. Il a par la suite contribué à la création d’un programme de hockey au Collège de l’Assomption, une aventure qui a duré tout près de 20 ans.

« C’était pas de l’élite. C’était surtout pour les jeunes qui n’avaient pas eu la chance de jouer au civil. »

Je me suis occupé de six équipes lors d’une même année ! Les jeunes, pour la plupart, n’avaient jamais joué au civil, et ça leur permettait de porter un chandail de hockey, d’aller faire un petit voyage à Saint-Jérôme dans un autobus scolaire avec leur équipement... Ils ont trippé !

Richard Sévigny

Au fil de notre discussion, il citera avec fierté les noms de quelques-uns de ses jeunes qui ont gravi les échelons, dont Marie-Pierre Jalbert, devenue arbitre au hockey international. « J’ai travaillé presque 52 semaines sur 52, et je ne me suis jamais plaint. Juste un sourire de la part de ces jeunes-là et pour moi, c’était suffisant. Aussi, j’ai beaucoup de difficulté à dire non ! »

Ces jours-ci, en plus des matchs avec les Anciens Canadiens qu’il espère reprendre sous peu, il demeure impliqué dans le monde du hockey mineur, et on peut le croiser avec un chandail d’arbitre sur les patinoires de la région de Sorel. Il le fait parce qu’il aime ça... et aussi parce qu’il sent qu’il doit le faire.

« Le gros problème, c’est que dans quelques années, il n’y aura plus de bénévoles au hockey pour s’occuper des enfants... Il n’y aura plus personne pour arbitrer les matchs de ces enfants-là. C’est sûr qu’à 15 $ ou 20 $ le match, c’est très peu payé. Il y a des matchs qui sont annulés parce qu’il n’y a plus d’arbitres, et si les jeunes ne jouent pas, graduellement, ils vont délaisser le hockey pour aller vers un autre sport. »

Un homme de franchise

À 64 ans, Richard Sévigny demeure ce qu’il a toujours été : un homme de franchise et un homme de passion. Des regrets, il n’en a pas, et le mot « chance » est saupoudré çà et là lors de notre conversation. La chance d’avoir vécu ceci, la chance d’avoir vécu cela...

La chance d’avoir pu être Richard Sévigny.

« On me demande parfois si je suis jaloux des gros salaires d’aujourd’hui dans la LNH... La réponse est non, parce que aujourd’hui, moi, à 5 pi 8 po, je ne jouerais même pas ; tous les gardiens sont des gars de 6 pi 4 po ! Mais je ne pense pas à ça. J’ai connu des gars qui ont joué dans la LNH et après, ç’a été un désastre, ils ne savaient plus quoi faire de leur vie. Moi, le hockey m’a amené à connaître des gens. Et ce fut un privilège... »