(Nashville) À quel moment de l’année n’est-il plus trop tôt pour parler de la date limite des transactions ?

À Montréal, la question est réglée depuis un moment déjà. Avec la saison du Canadien qui coule au rythme des défaites qui s’accumulent, les conversations convergent, lentement mais sûrement, vers l’idée d’une liquidation du printemps.

À Nashville, cette obsession n’est, sans surprise, pas aussi présente. Cela n’empêche pas que les Predators se rapprochent chaque jour d’un dilemme qu’ils seront forcés de trancher.

La cuvée des joueurs autonomes sans compensation de l’été prochain est impressionnante, mais les noms les plus connus sont ceux de joueurs dans la trentaine, parfois avancée, dont la plupart risquent de demeurer fidèles à leur club actuel (Evgeni Malkin, Kristopher Letang, Patrice Bergeron…) ou sont virtuellement assurés de changer d’adresse (Phil Kessel en tête).

Parmi ceux qui, à 27 ou 28 ans, profiteront pour la première fois de ce statut, les chefs de file sont Johnny Gaudreau, Filip Forsberg et Tomas Hertl.

Le cas de Forsberg mérite qu’on s’y attarde. Car il défie une certaine logique.

PHOTO CHRISTOPHER HANEWINCKEL, USA TODAY SPORTS

Filip Forsberg (9)

Depuis son entrée à temps plein dans la LNH, en 2014-2015, le Suédois est le meilleur pointeur des Predators, en saison comme en séries éliminatoires.

Ses 400 points en saison en font le cinquième marqueur de l’histoire de la franchise, et s’il s’établissait à long terme au Tennessee, il prendrait la tête d’ici trois ou quatre ans. En séries, il est le meneur incontesté autant pour les buts que pour les points.

Pourtant, le joueur et son équipe tergiversent quant à leurs intentions sur l’avenir de leur relation. « Je n’y pense pas vraiment », a déclaré le Suédois, plus tôt cette semaine, après avoir inscrit quatre buts dans une victoire de 6-0 contre les Blue Jackets de Columbus. Le directeur général David Poile, pour sa part, a dit qu’il ne se donnait pas de date limite pour prendre sa décision.

Invraisemblable

Voilà deux déclarations difficiles à croire. Forsberg évolue dans la même équipe que les joueurs de centre Ryan Johansen et Matt Duchene, dont la contribution offensive des dernières saisons n’a absolument rien à voir avec le salaire annuel de 8 millions qu’ils empochent tous les deux. Soulignons qu’ils connaissent toutefois un excellent début de campagne : ont-ils été fouettés par le fait que la direction les a tous les deux laissés sans protection au récent repêchage d’expansion ? Il faudra le leur demander.

Il est donc difficile, dans ces circonstances, de croire ce qu’avance l’ailier lorsqu’il dit que son prochain contrat n’occupe pas ses pensées. Et son DG n’est pas davantage crédible lorsqu’il affirme ne pas avoir d’échéancier pour se décider.

La date limite des transactions a été fixée au 21 mars prochain. Si son équipe n’est pas en position d’accéder aux séries éliminatoires, Poile devra trancher : voit-il Forsberg à Nashville pour longtemps ? Sinon, il l’échangera à coup sûr pendant que sa valeur est élevée.

Cela étant dit, la posture actuelle de son club ne lui facilite pas la tâche. Avec une fiche de 12-10-1, les Preds sont à quelques pouces d’une place en séries. Le nombre de matchs qu’ils ont disputés les désavantage quelque peu, mais ils peuvent encore s’accrocher aux deux derniers laissez-passer, et même finir dans le top 3 d’une division Centrale où la hiérarchie attendue est bousculée.

Si la situation ne changeait pas, monnayer Forsberg pour de jeunes joueurs et des choix au repêchage, et par conséquent mettre une croix sur du hockey de printemps, pourrait passer difficilement auprès des partisans, qui raffolent de l’attaquant.

Quel impact réel ?

Mais revenons à Forsberg. Peu de médias suivent le quotidien de l’équipe dans cette ville où le hockey jouit pourtant d’une grande popularité, mais leur couverture du moment témoigne de l’importance de l’enjeu.

Invoquant principalement les services rendus, le journal The Tennessean pose la question franchement : « Les Predators ont-ils les moyens de le laisser partir ? »

Le journaliste Adam Vingan, de The Athletic, croit pour sa part que les Predators devraient lui dire au revoir. Il se demande en fait si Forsberg est à ce point un joueur d’impact.

Consultez l'article du site The Athletic (en anglais)

L’argument est franchement intéressant. Pendant les trois semaines d’activités qu’il a ratées en novembre en raison d’une blessure, son équipe a poursuivi son bon travail en avantage numérique – son taux d’efficacité de 24,6 % est le septième de la LNH. Et la haute direction a prouvé, au fil des ans, que les décisions difficiles ne l’effrayaient pas. Shea Weber et, plus récemment, Ryan Ellis et Viktor Arvidsson ont tous été remplacés.

En outre, quelques indicateurs trahissent le fait qu’en dépit de récoltes offensives intéressantes, Forsberg n’est pas, à l’échelle de la LNH, un joueur dominant pour produire de l’attaque.

Depuis le début de la saison 2019-2020, parmi les 306 attaquants ayant disputé plus de 1200 minutes à cinq contre cinq, il arrive au 90rang pour les buts attendus par tranche de 60 minutes lorsqu’il est sur la glace (3,43), au 118rang pour les chances de marquer de qualité (10,98) et au 139rang pour les buts marqués (2,57). Dans aucune de ces trois catégories n’est-il même le meneur des Predators.

Cela jette donc un doute sur sa capacité à produire à long terme, alors que s’amorcera invariablement son déclin pendant la durée de son prochain contrat.

David Poile a réalisé un coup de maître, en 2013, lorsqu’il a arraché Filip Forsberg aux Capitals de Washington. C’est aujourd’hui à lui de déterminer de quelle manière son investissement continuera de prendre de la valeur. En en faisant un Predator à vie. Ou en lui souhaitant bonne chance dans ses prochains défis.