Comment oublier les sourires de Joe DiPenta et de Kent Huskins lorsqu’ils ont soulevé la Coupe Stanley avec les Ducks d’Anaheim en 2007 ? Ou les yeux dans l’eau de Ryan Parent, défait avec les Flyers de Philadelphie en finale en 2010 ?

Dans quelques années, on pourra ajouter le nom d’Erik Gustafsson à cette liste au prestige approximatif des défenseurs ayant atteint la finale de la Coupe Stanley en jouant un rôle marginal, dans l’ombre de leurs collègues.

Depuis que Gustafsson est entré dans la formation du Canadien pour ne plus en sortir, au début du cinquième match du premier tour contre les Maple Leafs de Toronto, son rôle ne pourrait être plus clair : un coup de main en avantage numérique et quelques présences épisodiques à cinq contre cinq. Point.

Seulement 38 de ses 154 présences (25 %) ont eu lieu en troisième période. Dans 8 des 13 matchs qu’il a disputés, il a effectué trois présences ou moins au dernier tiers. Il n’a pas joué une seconde en prolongation.

L’utilisation parcimonieuse de Gustafsson et, dans une moindre mesure, celle de Jon Merrill ont forcément gonflé le temps d’utilisation du top 4 du Tricolore. À ce chapitre, Shea Weber (1er), Ben Chiarot (2e), Jeff Petry (5e) et Joel Edmundson (6e) sont tous parmi les meneurs de la LNH chez les défenseurs ayant disputé les demi-finales. Victor Hedman, du Lightning de Tampa Bay, prendrait le troisième rang à Montréal.

Cette disparité au sein d’une même équipe n’est pas étonnante. À mesure que monte l’intensité dans une rencontre et que les matchs importants se succèdent, tous les entraîneurs « coupent le banc ».

Or, dans un passé récent, rares sont les équipes qui l’ont fait de manière aussi extrême que le Canadien. Utilisé en moyenne 9 min 31 s par match depuis le début des séries, Gustafsson passe 63 % moins de temps sur la glace que le meneur Weber (25 min 38 s). Mais l’écart est tout aussi manifeste (59 %) avec Edmundson, quatrième du Canadien, qui passe chaque soir 23 min 22 s sur la patinoire.

Classe à part

En postulant que cette disparité demeure stable au tour suivant contre le Lightning, il s’agirait de l’une des plus importantes des dernières années. En comparant ces données à celles des 30 équipes qui ont joué en finale de la Coupe Stanley depuis le lock-out de 2004-2005, le Canadien prendrait le cinquième rang pour l’écart entre l’utilisation de son premier et de son sixième défenseur, et le quatrième rang pour l’écart entre son quatrième et son sixième défenseur.

Le Canadien de 2021 est dans une classe à part avec les Flyers de Philadelphie de 2010, les Ducks d’Anaheim de 2007, les Blackhawks de Chicago de 2015 et les Oilers d’Edmonton de 2006. Curieusement, Chris Pronger a fait partie de trois de ces formations (Flyers, Ducks, Oilers).

Dans ces brigades défensives, on retrouve aussi le nom de Scott Niedermayer (Ducks), membre du Temple de la renommée du hockey comme Pronger, et celui de Duncan Keith, des Blackhawks, double gagnant du trophée Norris. Tous les trois ont avoisiné, voire dépassé, les 30 minutes de jeu par match.

À l’autre extrémité du spectre, les Penguins de Pittsburgh qui ont remporté la Coupe Stanley en 2017 ont été les plus équitables pour leurs défenseurs. Il faut dire qu’avec un meneur nommé Brian Dumoulin en l’absence de Kristopher Letang, le choix des entraîneurs était limité, si bien qu’à peine trois minutes ont séparé Dumoulin d’Ian Cole, sixième arrière du club.

Serrer la vis

L’écart dans l’utilisation des défenseurs du Canadien n’a jamais été aussi grand que pendant le sixième match de la série contre les Leafs, remporté 3-2 en prolongation. Gustafsson et Brett Kulak ayant été limités à respectivement trois et deux présences en troisième période (aucune en prolongation), les quatre autres ont compensé. Ce soir-là, Shea Weber a disputé un peu plus de 37 minutes. En prolongation, la fatigue était devenue évidente.

« C’est ça, la situation, avait alors admis l’entraîneur-chef Dominique Ducharme. Est-ce qu’on pourrait faire ça pendant sept matchs ? Probablement pas. En saison non plus. […] On gère chaque moment, chaque match est différent. »

Le Canadien a joué 11 matchs depuis et la tendance n’a pas changé. Visiblement, on a fait la paix avec la formule.

Luke Richardson, qui remplace Ducharme depuis que ce dernier a contracté la COVID-19, a confirmé que son top 4 pourrait se voir confier encore plus de minutes en finale.

« Avec des matchs serrés jusqu’à la fin, parfois, il faut serrer la vis encore plus, a-t-il souligné. Des gars forts comme ça peuvent absorber de grosses minutes. Même qu’ils peuvent jouer encore mieux, être plus alertes sur la glace. En séries, c’est comme ça. Toutes les équipes ont de gros défenseurs physiquement assez forts et endurants pour disputer beaucoup de minutes. En avoir un ou deux, c’est bien. On en a quatre, c’est encore mieux. »