Jeff Petry qui patine en zone neutre, de reculons, puis de côté, un coup de patin fluide comme lui seul en a le secret. Il voit Caufield décamper, se met lui-même à accélérer.

Brady Tkachuk, trop épuisé pour le couvrir de près. Tim Stützle, trop occupé à regarder aller Petry pour voir Caufield passer en coup de vent derrière.

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La passe parfaite de Petry à Caufield. L’explosion de joie. Les haut-parleurs qui sont en liesse.

Habituez-vous ; vous risquez de voir et revoir cette séquence, celle du tout premier but de Cole Caufield dans la LNH, point d’exclamation d’une victoire de 3-2 du Canadien sur les Sénateurs d’Ottawa en prolongation, samedi, au Centre Bell.

Un sentiment « incroyable », a dit le héros du jour. « Ça ne m’a pas encore frappé. Je n’ai pas encore vu la reprise, je ne me souviens pas de tout. Mais c’est un moment spécial. »

Spécial, mais aussi improbable. Comme si toutes les forces s’étaient liguées pour empêcher ce premier but de Caufield.

Il y a une semaine, on était encore à attendre qu’un joueur se blesse pour que le Canadien puisse intégrer Caufield à sa formation. À cela s’ajoutait la gymnastique du plafond salarial, qui faisait en sorte qu’il était plus simple de faire appel à Jake Evans, pour une histoire de quelques milliers de dollars. Lundi dernier, la porte s’est finalement ouverte et Caufield a joué son premier match.

Improbable aussi pour des raisons plus collectives. Le CH a toutes les misères du monde à aligner deux victoires depuis son départ fou en janvier. Ça n’était pas arrivé en un mois, et jusqu’à tard dans ce match, la séquence noire semblait destinée à se poursuivre.

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Nick Suzuki s’est vu refuser un but en troisième période.

Le Canadien a aussi connu sa part de soirées difficiles contre les Sénateurs cette saison. Même si les Montréalais jouaient bien, c’était tout de même 2-0 Ottawa avec 12 minutes à jouer. Et puis, quand ils pensaient avoir créé l’égalité à mi-chemin en troisième période, le but de Nick Suzuki a été refusé.

Que dire de la prolongation ? Les entraîneurs vivent généralement une lune de miel à leur arrivée en poste, mais la gestion de la prolongation a coupé court à celle de Dominique Ducharme.

Dans les circonstances, on peut comprendre en quoi le but de Caufield était libérateur. Ça s’est traduit par de l’allégresse sur la patinoire, et de la taquinerie dans le vestiaire. Laissons Petry décrire la scène.

« On l’attendait dans le vestiaire et quand il est arrivé, nous sommes tous restés silencieux. Ça s’est vu par le passé, tu laisses le joueur s’asseoir, il est un peu confus. Et tout le monde a explosé de joie ! », a raconté le vétéran défenseur.

« Je ne savais pas à quoi m’attendre. Je ne l’ai pas vu venir ! Mais les gars ont été bons avec moi ! C’est surréel en ce moment. »

Les jeunes à la rescousse

La donne change vite en cette saison écourtée avec des matchs exclusivement à l’intérieur de la division. Il y a quelques jours, on se demandait si les Flames pouvaient ravir le dernier billet des séries au CH. Voilà qu’il est plus probable que la toute première série Canadien-Leafs depuis la prise d’otage de diplomates américains en Iran soit bousillée. Le Tricolore n’est plus qu’à deux points des Jets de Winnipeg et du 3rang de la Division nord.

La déconfiture des Jets y est pour quelque chose. Mais pendant ce temps, le Canadien a remporté trois de ses quatre matchs cette semaine, notamment grâce à une contribution inattendue des jeunes, au-delà du but de Caufield.

Suzuki a disputé un autre fort match. Son trio a généré de l’attaque toute la soirée, et le jeune homme de 21 ans, qui traversait une rude séquence depuis l’équinoxe du printemps, compte sept points à ses cinq derniers matchs.

Evans a aussi mangé ses croûtes. Samedi, il a passé 15 min 6 s sur la patinoire, un sommet pour lui en 54 matchs dans la LNH. Il a gagné la confiance de Ducharme à un point tel qu’il était sur la patinoire avec 20 secondes à jouer en troisième période et, accessoirement, en prolongation pour le but gagnant.

« Sa vitesse, les jeux qu’il fait avec rondelle, sa confiance, son jeu en général, je trouve qu’il nous aide dans plusieurs facettes, a énuméré Ducharme. Les deux ensemble [Caufield et Evans], avec leur vitesse, c’est dangereux à 3 contre 3. »

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Cole Caufield (22) avec Corey Perry (94)

On pourrait même ajouter Alexander Romanov, appelé à jouer un rôle majeur en l’absence de Shea Weber. Il a œuvré pendant 21 minutes dans ce match, qu’il a conclu avec un -1 qui serait un point non-mérité s’il était un lanceur au baseball.

Tout n’est pas parfait, remarquez. Jesperi Kotkaniemi continue à se faire discret. Mais dans les circonstances, il a le temps de retrouver ses marques dans l’ombre de ses confrères.

On retiendra longtemps de ce match le but de Caufield, et avec raison ; c’était un joueur attendu pour ses qualités de marqueur, qui a trouvé le moment parfait pour faire ce qu’il fait de mieux dans la vie.

Mais à l’approche des séries, la tenue générale des jeunes, ces jeunes qui avaient tant influencé les décisions de Marc Bergevin l’automne dernier, est peut-être la meilleure nouvelle pour Ducharme.

Dans le détail

Pas qu’une guerre d’usure

Depuis que Dominique Ducharme a été nommé entraîneur-chef du Canadien, les périodes de prolongation sont devenues autant de parties d’échecs. Lorsque les joueurs du Tricolore s’emparent de la rondelle, ils la gardent le plus longtemps possible, quitte à sortir de la zone adverse si aucune ouverture ne se présente à eux. S’adapter à cette stratégie n’a pas été facile, a avoué Jeff Petry. Mais on a vu samedi l’illustration exacte de l’objectif recherché. Thomas Chabot et, surtout, Brady Tkachuk se sont retrouvés prisonniers sur la patinoire, incapables de rentrer au banc pour changer. Pendant ce temps, le Tricolore a pu utiliser trois unités différentes. Chabot a souligné que Tkachuk et lui voulaient « bien défendre, mais aussi être le gars qui marque le gros but ». Il a par contre concédé que leurs adversaires avaient contrôlé le jeu de A à Z. Ducharme, quant à lui, s’est défendu de seulement vouloir épuiser ses opposants. Selon lui, la clé réside dans l’attente du « bon moment pour attaquer » – par exemple, ne pas gaspiller un lancer ordinaire pour risque un surnombre en contre-attaque.

Les Sénateurs éliminés

L’enjeu n’avait pas été discuté avant la rencontre, mais les Sénateurs sont désormais mathématiquement éliminés de la course aux séries éliminatoires. Alors que le début de la saison laissait présager un interminable chemin de croix, la bonne tenue des Ottaviens au cours des dernières semaines a fait en sorte que seuls les cinq derniers matchs du calendrier n’auraient pas de signification pour le classement. D. J. Smith n’a pas fait de cachette : « Je pense que tout le monde savait réalistement qu’on n’était plus dans cette course depuis un bon moment, a-t-il dit. Ça ne change rien pour nous. On veut garder notre intensité jusqu’à la fin. » Thomas Chabot a quant à lui rappelé qu’il était attendu depuis le début de l’année que le travail de la saison en cours trouve son aboutissement seulement en 2021-2022. Il s’est toutefois réjoui que, depuis janvier, son équipe ait tenu tête « chaque soir à des équipes qui aspirent à gagner la Coupe Stanley », et ce, sans jamais abandonner. « On sait qu’on a une bonne équipe, a-t-il ajouté. On gagne en confiance. Il nous faut maintenant finir sur une bonne note et bâtir là-dessus. »

Gustavsson méritait mieux

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Le but de Jeff Petry sur le gardien des Sénateurs Filip Gustavsson, en troisième période

Les partisans du Canadien ont vu à l’œuvre quatre des cinq gardiens qu’ont utilisés les Sénateurs cette saison, et ils pourraient compléter leur carte de bingo mercredi si Marcus Högberg défend le filet à Ottawa. Comme même le prolifique Anton Forsberg avait su remporter une victoire contre le Tricolore avant lui, le jeune Filip Gustavsson avait décidé qu’il ne jouerait pas les figurants. Et même s’il n’avait pas joué dans la LNH depuis le 1er avril, il s’est dressé sans complexe devant les locaux. Bombardé de 39 lancers, dont 18 en troisième période seulement, il n’a cédé que sur trois pièces de jeu parfaitement exécutées. « Si on avait mieux joué devant lui, on gagnait ce match, c’est certain », a résumé l’entraîneur-chef des Sénateurs, D. J. Smith. « Chaque fois qu’il est devant notre filet, il est bon pour nous », a ajouté Thomas Chabot. De fait, malgré ces trois buts concédés au Canadien, Gustavsson, 22 ans, revendique désormais une fiche de 2-1-2, avec un taux d’efficacité de,940 et une moyenne de buts alloués de 2,06. Les Sénateurs auraient-ils enfin trouvé un vrai bon gardien ? À suivre l’automne prochain.

Ils ont dit

Comme équipe, on a traversé une crise d’identité. On comprend mieux ce que chacun a à faire. On a appliqué pendant ces deux matchs de suite une recette qu’on doit garder [pour la suite].

Dominique Ducharme

Dans les choses qu’on contrôle, il y a la façon de jouer, le système, mais il y a aussi l’attitude, le caractère. J’ai adoré notre week-end à cet égard. On a été résilients dans les deux matchs. Il y a encore des hauts et des bas, mais nos bas sont moins bas et on a été plus constants.

Dominique Ducharme

Notre équipe a toujours eu la foi, même si par moments on ne jouait pas le hockey qu’on aurait voulu. D’ici la fin de la saison, on sait ce qu’il nous reste à faire. Ces deux victoires vont nous aider.

Jeff Petry

On a continué de croire qu’on pouvait remonter [quand on tirait de l’arrière]. On ne s’est pas apitoyés sur nous-mêmes. Le moral sur le banc est demeuré élevé. Ça a paru dans ces deux matchs.

Nick Suzuki

On a bien joué pendant deux périodes, mais en troisième, on n’a pas su composer avec la situation. Ça ne nous ressemble pas. [Le Canadien] était plus désespéré que nous, c’était évident.

D. J. Smith, entraîneur-chef des Sénateurs

Je me suis avancé dans mon demi-cercle et [Corey Perry] m’a touché avec son patin, alors quand j’ai voulu me déplacer, j’étais coincé. C’est arrivé au même moment où [Suzuki] tirait. J’étais certain que le but serait refusé.

Le gardien Filip Gustavsson sur le but refusé au Canadien en troisième période

En hausse : Jeff Petry

Le premier but de Caufield a éclipsé le sien. Petry a ainsi mis fin à sa séquence de 22 matchs sans avoir marqué. Il l’a fait sans montrer aucune solidarité pour son homologue au numéro 26 des Sénateurs, Erik Brannstrom, qui va en faire des cauchemars.

En baisse : Jon Merrill

On découvre de plus en plus ses limites. Une de ses bévues a notamment permis à Tim Stützle de s’échapper.

Le chiffre du match : 3680

C’est le nombre de jours depuis le dernier but d’une recrue du Canadien en prolongation. Le 5 avril 2011, P. K. Subban réussissait le tour de force, dans les débuts d’une longue relation paisible et sans histoire avec le Tricolore, qui s’est super bien terminée.